— Par Jean Samblé —
Depuis le vendredi 13 septembre 2024, Fort-de-France, en Martinique, est secouée par une vague de manifestations contre la vie chère, un mouvement qui s’est rapidement transformé en un véritable brasier social. Ce mardi 17 septembre au matin, le quartier de Sainte-Thérèse porte encore les stigmates des affrontements de la veille. Des voitures brûlées gisent sur l’avenue Maurice-Bishop, un axe névralgique de la ville, tandis que des commerces pillés et des débris jonchent les rues. La circulation y est toujours paralysée, empêchant tant les véhicules que les transports en commun de passer, et laissant les habitants face à une situation de plus en plus préoccupante.
Ce mouvement de contestation, mené par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), est né d’un profond mécontentement vis-à-vis de l’écart de prix entre la Martinique et la métropole. En effet, en 2022, les produits alimentaires étaient en moyenne 40 % plus chers sur l’île qu’en France hexagonale, selon les chiffres de l’Insee. Ce coût de la vie exorbitant pèse lourdement sur les foyers martiniquais, notamment sur ceux des classes les plus modestes, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté. Ce fossé économique, qui ne cesse de se creuser depuis les années 2010 malgré les précédents mouvements de protestation, attise aujourd’hui la colère d’une population à bout de souffle.
La demande centrale du RPPRAC est claire : un alignement des prix des denrées de base sur ceux pratiqués en métropole, une revendication qui, pour beaucoup, relève du « fantasme », selon les propos du président de la Chambre de commerce et d’industrie de la Martinique. Face à cette situation explosive, plusieurs réunions de négociations ont été organisées entre les représentants de l’État, les distributeurs alimentaires et les collectivités locales. Toutefois, ces rencontres sont régulièrement avortées, le RPPRAC exigeant qu’elles soient filmées et diffusées, une requête refusée par les autorités, créant un blocage supplémentaire dans les discussions.
Depuis le début du mois de septembre, la mobilisation s’intensifie. Des barrages routiers ont été installés sur plusieurs grands axes, rendant la circulation extrêmement difficile, notamment entre le nord et le sud de l’île. Les manifestants, vêtus de rouge et parfois cagoulés, n’hésitent pas à reprendre les routes dès que la police les dégage. La situation a pris une tournure inquiétante au cours du week-end, lorsque des scènes de pillages ont éclaté et qu’un commissariat de police à Fort-de-France a été la cible de tirs à balles réelles. Lundi soir, six policiers ont été blessés par des tirs de plombs, et un émeutier aurait également été touché.
Les forces de l’ordre, débordées par l’ampleur des violences, peinent à contenir les débordements. La nuit de lundi à mardi a vu plusieurs incendies se déclarer dans différents quartiers de Fort-de-France, et les pompiers, constamment sollicités, sont eux aussi pris pour cible par les manifestants. La préfecture a fait état de véhicules retournés et incendiés, souvent après avoir été siphonnés de leur carburant, un combustible qui alimente ensuite les barricades enflammées.
Ces scènes de chaos sont alimentées par la détérioration des conditions économiques sur l’île. En plus des prix alimentaires, d’autres produits comme les fournitures scolaires ou les produits de première nécessité affichent des écarts faramineux avec la métropole. Par exemple, un pack de six bouteilles d’eau minérale coûte plus de 11 euros en Martinique, contre 3,66 euros dans l’Hexagone. Face à cette situation, le gouvernement a mis en place un « bouclier qualité prix », un dispositif censé réduire de 20 % le prix de 2 500 produits de base. Mais pour de nombreux Martiniquais, cette mesure est jugée insuffisante et ne fait que ralentir l’augmentation des prix sans les faire véritablement baisser.
L’octroi de mer, une taxe héritée de l’époque coloniale et appliquée sur les produits importés ou locaux, est également dans le collimateur des manifestants. Cette taxe, bien que cruciale pour le financement des collectivités locales, est perçue comme un obstacle à la baisse des prix. En réponse à cette pression populaire, la Collectivité territoriale de Martinique s’est dite prête à envisager la suppression de l’octroi de mer sur 54 familles de produits. Par ailleurs, une mission d’experts fiscalistes et financiers a été mise en place pour explorer des solutions concrètes et durables à cette crise, avec l’objectif de proposer un plan solide au nouveau ministre en charge.
Cependant, la colère des manifestants, exacerbée par des années de frustrations, ne faiblit pas. La situation rappelle par certains aspects les révoltes sociales en Nouvelle-Calédonie, bien que les origines du mécontentement soient différentes. Sur les réseaux sociaux, les images des barrages enflammés, des pillages et des affrontements avec les forces de l’ordre se multiplient, créant un climat de tension extrême. Les autorités redoutent une nouvelle escalade des violences, alors que les négociations patinent et que la population, prise en otage par cette crise, peine à entrevoir une sortie de cette impasse.
La Martinique, aujourd’hui en proie à des troubles sociaux sans précédent, se trouve à la croisée des chemins. Le défi est immense pour les autorités locales et nationales, qui doivent trouver des solutions concrètes pour apaiser cette colère tout en préservant la stabilité économique de l’île.