— Par Christian de Perthuis(*) —
Le 9 juin dernier, les élections européennes ont vu l’extrême droite atteindre un score historique et l’effritement des groupes centristes et écologistes. En ligne de mire, un prochain Parlement européen qui sera moins pro-climat, ce qui crée un double risque de détricotage du « Pacte vert » adopté lors de la précédente mandature et de non atteinte des objectifs climatiques de 2030. Ce risque de décrochage des ambitions climatiques existe aussi en France, plongée dans une crise politique depuis l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l’Assemblée Nationale et d’un retour aux urnes pour des élections législatives anticipées.
Peu présents dans le débat public, les enjeux climatiques de ce nouveau scrutin méritent pourtant d’être explicités : en effet, le climat est devenu l’un des marqueurs politiques les plus clivants au sein de l’hémicycle. Et le programme du Rassemblement national (RN), s’il venait à avoir la majorité à l’Assemblée, entraînerait une triple sortie de route pour le pays en matière de climat.
La France doit mettre les bouchées doubles pour réduire ses émissions
Coïncidence des calendriers, le CITEPA, l’organisme en charge de l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre, vient de publier mi-juin ses données les plus à jour. On y découvre un bon résultat pour 2023, avec des émissions nationales en diminution de 5,8 % par rapport à 2022. Le recul par rapport à 1990 est de presque un tiers. Il a été intégralement réalisé depuis 2005, grâce à une tendance de l’ordre de – 2 % par an.
Cependant, pour atteindre 268 millions de tonnes (Mt) équivalent CO2 en 2030, l’objectif climatique conforme à nos engagements dans le cadre du Pacte vert, il faudra encore doubler le rythme de baisse entre 2023 et 2030.
Une première difficulté est que cet objectif n’a pas encore été intégré dans la loi française. Pour des raisons politiques, le gouvernement n’a pas présenté au Parlement le projet de loi énergie-climat qui aurait dû être débattu et adopté en juillet 2023. La priorité a été donnée à la réforme des retraites, qui a mis le climat au second rang des priorités. Ce déficit de débat démocratique est maintenant une difficulté pour accélérer la transition bas carbone.
Car l’accélération des réductions d’émissions implique de lever des contraintes spécifiques à chaque secteur. Mais l’examen des dynamiques sectorielles met justement en relief deux nouvelles difficultés :
- Les émissions du secteur des transports restent supérieures à celles de 1990 et ne sont pas en phase avec les objectifs. Il va donc falloir amplifier les actions dans ce secteur, sans exacerber les inégalités entre citoyens, suivant leur mode d’habitat et leur éloignement des centres urbains. N’oublions pas la fronde des « gilets jaunes » qui a marqué le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron à la suite de l’envolée des prix des carburants.
- Parallèlement à la baisse des émissions, la France doit accroître l’absorption du carbone atmosphérique par les forêts et les autres puits de carbone pour viser la neutralité carbone (émissions « net zéro »). Or, du fait de l’absence d’actions d’adaptation aux impacts du changement climatique, les massifs forestiers ont perdu plus de la moitié de leur capacité de séquestration du CO2 au cours des 15 dernières années.
Le volet adaptation est, de fait, le parent pauvre de la politique climatique. Les Français ont le sentiment que les gouvernements leur demandent toujours plus pour réduire les émissions, mais ne les protègent pas face au dérèglement du climat.
Le climat, nouvelle fracture dans l’hémicycle
Dernière difficulté pour passer à la vitesse supérieure, et non des moindres : le climat est devenu l’un des marqueurs politiques les plus clivants au sein de la classe politique.
Le 21 octobre 2008, la loi dite « Grenelle 1 », la première à introduire un plan d’action face au réchauffement climatique, a été votée par 536 députés sur 551 présents. Elle était portée par un ministre centriste, Jean-Louis Borloo, qui avait préalablement organisé des débats entre parties prenantes dans le cadre du « Grenelle de l’environnement ».
Ce consensus sur la nécessité de l’action a volé en éclat avec la montée du Rassemblement National (RN). Après avoir attiré un tiers des électeurs (40 % en comptant les autres partis d’extrême droite) aux Européennes, ce parti campe désormais au seuil du pouvoir.
Or, son programme tourne le dos à l’action climatique. Pour le RN, le climat est tout simplement un non sujet. Dans le programme de Jordan Bardella, directement inspiré des22 mesures de la candidature de Marine Le Pen à l’Elysée, le mot climat n’apparaît pas. En revanche, on y trouve de multiples propositions dont la mise en œuvre conduirait à une reprise des émissions de gaz à effet de serre.
Même si ses candidats ne contestent pas frontalement l’existence du réchauffement global, la ligne de ce parti s’inscrit dans une forme de climatoscepticisme sournois consistant à relativiser les questions touchant au climat. Dans la vision du RN, le réchauffement de la Planète n’est plus une menace existentielle : ce sont les flux migratoires et la question identitaire qui l’ont remplacé. Le climat peut dès lors disparaître du programme.
Ainsi, le paysage politique français ressemble de plus en plus à celui des États-Unis où le climat est devenu un marqueur clivant entre un bloc progressiste et libéral qui reconnaît l’urgence climatique et un bloc conservateur qui revendique l’inaction. Du fait des ambiguïtés de sa doctrine, il devient parfois difficile de rattacher le parti LR à l’un ou l’autre de ces deux blocs.
La triple sortie de route du RN sur le climat
Sous l’angle climatique, la mise en application du programme RN conduirait à une triple sortie de route.
Il n’est pas nécessaire d’être un expert de l’énergie pour comprendre l’irréalisme de ce programme. Avec sa mise en œuvre, on manquera rapidement d’électricité, ce qui exigera de recourir à plus d’importation et tirera les prix vers le haut. Première sortie de route.
Deuxième mesure phare du programme très impactante : le passage de 20 à 5,5 % de la TVA sur l’ensemble des énergies consommées par les ménages. Un cadeau fiscal très généreux, couplé à la promesse de suppression des normes « punitives » imposées par Bruxelles, en particulier celle visant à interdire les ventes de véhicules thermiques neufs à partir de 2035.
L’électorat est caressé dans le sens du poil. Le rejet de toute mesure climatique comportant une contrainte, budgétaire ou réglementaire, est devenu un argument de campagne systématiquement utilisé par le RN.
Appliquer ce programme incitera en réalité à consommer plus de carburants d’origine fossile à court terme (effet baisse de prix) et à moyen terme (abandon des normes). Il faudra donc s’attendre à une reprise des émissions de CO2, notamment dans le secteur des transport, ce qui nous éloignera des objectifs climatiques. Deuxième sortie de route.
Enfin, même si le climat leur semble un non sujet, les représentants du RN reprennent dans les débats publics l’antienne de la responsabilité des pollueurs à l’extérieur de nos frontières : les Allemands avec les centrales à charbon, les Marocains avec les pesticides, les Chinois avec les batteries et les véhicules électriques, etc.
Cela conduit à la généralisation d’une vision « localiste » dans laquelle tout ce qui est produit chez nous serait meilleur que ce qui vient de l’étranger. Dans le secteur agricole, par exemple, le programme RN prévoit de systématiser la préférence nationale dans les cantines et de bloquer aux frontières les produits ne respectant pas les « normes de production françaises ».
En réalité, le climat n’est ici qu’un prétexte au service d’un programme visant à généraliser la préférence nationale au détriment de la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne. Cela justifie aussi la sortie du marché européen de l’électricité, inscrite dans le programme, et conduirait sans doute à celle du marché unique. Troisième sortie de route.
Au Nouveau Front populaire, climat à tous les étages ?
Le « contrat de législature » du Nouveau Front populaire (NFP) peut-il nous ramener sur la chaussée ? Le climat y est présent à tous les étages :
- dans les mesures à prendre dès la première quinzaine comme les moratoires sur les infrastructures routières et les bassines ou le blocage des prix de l’énergie et des aliments de première nécessité,
- durant les « cent jours de la bifurcation » avec la mise en place de la planification écologique,
- puis à long terme pour opérer les transformations requises.
Reste que les mesures égrenées sont disparates. Certaines, comme l’accélération de la rénovation thermique des bâtiments, la relance du ferroviaire ou du déploiement des énergies renouvelables, sont consensuelles. D’autres, comme l’instauration d’un impôt sur les grandes fortunes avec un volet climatique, d’une taxe kilométrique sur les importations ou de tarifs progressifs sur l’électricité et l’eau, s’inscrivent davantage en rupture mais sont compliquées à mettre en place.
Le programme lie étroitement la question climatique aux enjeux sociaux pour trouver la voie d’un transition juste, ce qui lèverait un point de blocage manifeste des politiques jusqu’à présent menées. Mais il sombre dans la facilité en laissant croire que seuls les ultra-riches seront mis à contribution. La suppression des niches fiscales est, par exemple, justifiée par « l’abolition des privilèges des milliardaires ». Les marins pêcheurs, les agriculteurs, les chauffeurs de taxi apprécieront !
Le blocage des prix de l’énergie et de l’alimentation, s’il perdure, est par ailleurs un outil contre-productif pour lutter contre la précarité. En matière énergétique, il incite à consommer plus, alors que tous les scénarios visant la neutralité carbone exigent de maîtriser la demande, ce qui passe par la sobriété énergétique. Or, le mot sobriété n’apparaît pas dans le programme.
Les bénéfices d’une réindustrialisation verte conduite grâce à une protection renforcée des frontières, en termes d’emplois et de salaires, sont mis en avant. C’est dans l’air du temps. En revanche, la question des reconversions industrielles qu’exige la transition bas carbone n’est pas traitée. Il est pourtant impératif d’anticiper ces reconversions et de les provisionner si on veut éviter la casse sociale.
Le programme du NFP laisse enfin deux grandes zones d’ombre. Sur le nucléaire d’abord, les positions ne sont pas concordantes au sein du NFP, un clivage classique à gauche.
La seconde concerne l’Europe. Le programme prévoit de s’écarter de certaines règles communautaires, en particulier en matière budgétaire, et préconise un verdissement de la Politique Agricole Commune. Mais il reste muet sur l’application des mesures décidées au plan européen, en particulier sur l’inclusion des secteurs des transports et du bâtiment au système de quotas de CO2 qui va renchérir le prix des énergies fossiles utilisées par les ménages. Là encore, il n’y a sans doute pas consensus au sein du NFP.
Le contrat de législature du NFP mérite donc encore quelques débats pour trancher ces questions difficiles mais primordiales pour notre avenir. Cela tombe bien : l’une des premières grandes lois qu’il prévoit de déposer au Parlement concerne justement le climat et l’énergie. Cela donnera enfin aux parlementaires la possibilité d’avoir ce débat dont ils ont été jusqu’à présent privés.
L’après 7 juillet
Pour éviter la sortie de route, le plus sûr moyen est de ne pas donner une majorité absolue au RN. Pour cela, il serait judicieux de réintroduire la question climatique dans un débat public accaparé par celles du pouvoir d’achat et de l’immigration. Les enquêtes indiquent en effet que plus de 80 % des Français sont inquiets face au réchauffement de la planète. Seul un défaut d’information a pu conduire près de 40 % d’entre eux à voter aux élections européennes pour des partis climatosceptiques.
Pour trouver la bonne voie en matière climatique, ni le programme du NFP ni la politique conduite depuis 7 ans sous la Présidence d’Emmanuel Macron n’apportent l’ensemble des réponses. Il convient donc d’organiser un débat au Parlement afin de trouver les bons arbitrages sur les questions qui fâchent : le prix de l’énergie et la fiscalité carbone, le nucléaire, la solidarité, la protection des puits de carbone, la transformation agricole, etc.
Ce débat et des arbitrages clairs pour baliser l’horizon sont indispensables pour faciliter l’action de tous les élus locaux, acteurs du monde économique, militants associatifs qui se sont engagés dans la transition bas carbone. Ils sont prêts à accélérer sur le terrain. Il ne faudrait pas que leur élan soit freiné par les inconstances de la classe politique.
(*)À propos de l’auteur : Christian de Perthuis. Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Source : WeDemain