— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La crise du Covid-19 fera inévitablement plonger l’économie martiniquaise et guadeloupéenne en récession en 2020. Les premiers indicateurs disponibles – hausse des inscriptions au chômage ou au chômage partiel – témoignent déjà d’un ralentissement inédit de l’activité, et qui devrait s’aggraver en 2021.
Au niveau macroéconomique, les perspectives ne sont pas plus réjouissantes. Le gouvernement français, la CTM et les autorités régionales ont, certes, réagi vite sur la plupart des fronts pour parer au plus pressé de la crise . Mais trois menaces au moins pèsent sur l’économie Antillaise : l’apparition exponentielle d’entreprises zombies et une succession de bulles prêtes à éclater du fait même de la surliquidité provoquée par la réaction des autorités ; une stagflation qui va peut-être à terme conduire au grand « décrochage » de la déflation ; et, pire encore, une baisse des gains de productivité conduisant inexorablement à une chute de la croissance potentielle donc de long terme. Il faudra alors être attentif à la double dynamique de l’investissement productif et de l’emploi privé. Il est inévitable que l’épidémie ait un impact considérable à terme sur l’économie et la société Antillaise.
La crise du Covid-19 va-t-elle alors précipiter la fin de la départementalisation libérale et l’émergence d’un nouveau modèle de développement, plus équitable et plus durable ? C’est possible, mais rien n’est gagné. A ce stade, l’urgence absolue est surtout de prendre la mesure de la crise en cours, et de tout faire pour éviter le pire, c’est-à-dire l’hécatombe de masse des entreprises et l’augmentation inéluctable des difficultés financières des collectivités locales .
Après la crise sanitaire et la crise économique et sociale , viendra le temps d’une relance qui accélèrera les mutations économiques et sociétales engagées, mais aussi révélées par la crise du Coronavirus.
La crise actuelle est un avertissement pour l’avenir. Ce n’est pas un choc endogène comme la crise sociale de 2009 mais exogène à la Martinique et à la Guadeloupe. Elle vient frapper une économie où se sont accumulées les vulnérabilités financières héritées de la crise précédente.
Une crise est toujours un accélérateur de mutation. La crise du coronavirus ne fera pas exception pour les Antilles . Une perfusion inédite bénéficie actuellement à l’économie de nos pays . En effet, des mesures fortes ont été mobilisées par l’État pour soutenir et relancer l’économie , notamment pour ce qui concerne la Guadeloupe, les mesures d’urgence économique avec à ce jour 87 Millions € versés au titre du Fonds de solidarité, 89 Millions € versés au titre du chômage partiel (pour 10 000 entreprises et 57 000 salariés) et 601 Millions € de prêts garantis par l’État distribués (pour 3 700 entreprises).
S’ajoutent également les mesures portées par la Région Guadeloupe, le fonds régional d’urgence solidarité Région Guadeloupe qui a été servi à 598 entreprises, le soutien aux agriculteurs et aux restaurateurs (230 entreprises) et le fonds de soutien au secteur de l’évènementiel attribué à 333 bénéficiaires, pour un montant total de 1 Million €.
Pour la Martinique, nous n’avons pu obtenir à ce jour les chiffres, mais le montant global des aides devrait être sensiblement le même que pour la Guadeloupe, hormis pour le PGE dont le montant global serait supérieur à celui de la Guadeloupe.
Les aides de l’État, de la CTM et de la région Guadeloupe ont permis d’amortir le choc. Le nombre de faillites d’entreprises reste aujourd’hui très limité, le chômage ne connaît pas une hausse importante au second semestre 2020 , il n’y a pas de modification notable de la structure de l’emploi.
La confiance des martiniquais et guadeloupéens envers les institutions tend donc à augmenter, et l’État apparaît clairement comme un acteur essentiel pour garantir la sécurité de tous. Le principal enseignement de cette récession est que l’État est l’assureur en dernier ressort face au risque de désastre. Il est le seul à pouvoir en supporter le coût économique lorsque la chute du produit intérieur brut (PIB) risque d’atteindre près de 12, 7 % en Guadeloupe,et près de 15% en Martinique pour l’année 2020 .
Néanmoins, les craintes de rebonds épidémiques, le maintien durable de certaines contraintes pesant sur le travail et sur la consommation vont considérablement limiter le retour de la croissance en 2021 . L’absence de croissance économique va accroître le rôle de l’Etat dans l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe. Mais cette donne participera aussi de cette augmentation des tensions sociales en bouchant les horizons de reprise de l’activité. Par ailleurs, la croissance de la dette publique réduit les marges de manœuvre de l’État en termes de politiques sociales. En conséquence, les inégalités vont se creuser au sein de la population Antillaise .
La cohésion sociale pâtira fortement de cette stratification croissante de la société qui se manifeste déjà dans les champs sanitaires et économiques . Les sentiments d’injustice et les hostilités envers les privilégiés iront en s’accroissant.
Une chose est néanmoins certaine : cette crise est la plus grave depuis la seconde guerre mondiale. Plus elle sera longue, plus les cicatrices sur le tissu économique risquent d’être profondes.
Et plus la réponse de l’État devra être conséquente.
Beaucoup de questions sur les conséquences économiques de la crise sanitaire du COVID 19, ainsi que sur les mesures de politiques économiques qui pourraient en limiter le coût humain et social, se posent aujourd’hui.
La persistance de l’épidémie de Covid-19 tant en Martinique qu’en Guadeloupe, et son cortège de décès (respectivement 40 et 149 au 24 novembre 2020) inquiète les martiniquais et guadeloupéens qui s’interrogent de plus en plus sur le monde de l’après crise . D’ores et déjà, le monde de l’après-coronavirus s’annonce différent du monde actuel, et nul doute que cela devrait entraîner des mutations profondes dans l’économie Antillaise . Quels sont les mutations envisagées à partir de notre propre étude prospective ?
Dans le monde post-Covid19, les structures de l’économie vont bouger, avec d’un côté des secteurs gagnants et de l’autre des perdants.
Secteurs gagnants : nouvelles technologies, Télécoms, distribution en ligne, (e-commerce ) santé et pharmacie, agro-alimentaire.Secteurs perdants : concessionnaires automobiles , aéroport pôle Caraïbe, aéroport aimée Cesaire, transport aérien, immobilier commercial à jarry, zone de la jambette et de la lézarde, distribution traditionnelle, tourisme.
C’est dans ce contexte qu’il est plus que jamais nécessaire de penser et de préparer aussi l’avenir. La pandémie du Covid risque de déboucher sur une crise économique et sociale sans précédent même si de nombreuses incertitudes existent encore qui poussent à la modestie en matière de prévisions.
Toutefois, on peut essayer de déterminer quelques tendances et lignes de force . L’exercice est certes risqué tant les inconnus sont nombreuses, mais tenter de prévoir les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur l’organisation de notre société est indispensable car cette pandémie va créer des ruptures décisives avec le passé et vraisemblablement accélérer des mutations qui étaient déjà amorcées, amplifier des phénomènes préexistants.
Quelles sont ces lignes de fracture que la crise du covid 19 va engendrer dans l’économie Antillaise ?
1- Une accélération de la régionalisation de la production. “Coller à son marché” deviendra une nécessité ;
Le développement de la production locale apparaît désormais indispensable, elle exigera des transformations très profondes du modèle économique actuel et une prise en compte des spécificités territoriales.
2- La chute des prix , l’effondrement de la consommation entraîneront une faible inflation et peut-être même une déflation.
3- L’essor du télétravail pourrait profiter au travail des femmes en autorisant plus de flexibilité dans le travail, ce qui faciliterait la conciliation travail-famille.
4- La productivité du travail va chuter et l’activité économique se contracter fortement jusqu’à provoquer de nombreux licenciements.
5- Accélération de la dématérialisation de l’administration et de la digitalisation des entreprises, avec pour effet un accroissement consirable de l’illectronisme, la nouvelle fracture sociale.
6- Création d’un excès de dettes, au sein de l’économie, qui va fragiliser le secteur bancaire et accélérer sa restructuration avec une forte décroissance du nombre de banques en Martinique et Guadeloupe.
7- La mutation profonde de la société française va conduire les martiniquais et guadeloupéens à adopter de plus en plus largement de nouveaux usages en matière de pratique écologique, pour entamer une transition verte.
8- La pandémie de COVID-19 semble devoir accélérer la mutation du travail et propulsera la Martinique et la Guadeloupe , plus vite que prévu, dans « le futur de l’emploi ».D’ici 2022 , les besoins en matière de formation des hommes seront énormes. Les machines seront principalement axées sur le traitement des informations et des données, les tâches administratives, ainsi que les travaux manuels de routine d’habitude réservés aux employés de bureau et aux ouvriers. Près de 50 % des travailleurs qui conserveront leur poste au cours des cinq prochaines années auront besoin d’une reconversion liée à leurs compétences de base.
9- Cette expérience inédite de télétravail, contraint, va changer les modes de management. Le management deviendra hybride, adapté au distanciel comme au présentiel.
10- On ira vers une flexibilisation du marché du travail ce qui permettra d’augmenter la productivité des entreprises, mais fragilisera les salariés. L’entreprise deviendra un écosystème où ce ne sont plus les statuts et les réglementations qui rassemblent mais les compétences, les expériences, les savoir-faire, les individus …
Ainsi, l’on constate à la lecture de nos scénarios que le monde d’aujourd’hui est plus complexe, dynamique et connecté que jamais. De nombreux phénomènes imprévisibles risquent de déséquilibrer la société Antillaise en provoquant des crises, des points d’arrêts qui peuvent menacer de tout submerger. C’est pourquoi l’on va devoir changer de cap économique de manière non purement conflictuelle, et ainsi instaurer un nouveau modèle économique et social. La crise liée à l’épidémie de coronavirus doit pousser la société martiniquaise et guadeloupéenne à réenvisager son organisation au quotidien. Et probablement sa stratégie politique et économique à plus long terme. Faute de quoi…!
» Labé pa ka pwéché dé fwa « . (un prêtre ne prêche pas deux fois.) Moralité : Tant pis pour ceux qui n‟écoutent pas.
Jean marie Nol économiste