— Par Jean Samblé —
La rentrée universitaire de 2024 s’annonce sous le signe de la controverse et de l’inquiétude dans le milieu médical français. En cause, la suppression de 1 510 postes d’internes en médecine, un chiffre qui fait craindre une détérioration notable de la qualité des soins dans les hôpitaux déjà fragilisés par un manque chronique de personnel. Cette décision, prise dans un contexte de réforme des études médicales, suscite de vives réactions, aussi bien chez les professionnels de santé que chez les étudiants, qui ne cachent pas leur désarroi face à une situation jugée alarmante.
La répercussion sur les hôpitaux : une dégradation redoutée des soins
La réduction du nombre de postes d’internes, qui constituent parfois jusqu’à 40 % des effectifs hospitaliers, pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le système de santé. Les internes jouent un rôle crucial dans le fonctionnement quotidien des services hospitaliers, prenant en charge une large part des consultations, des soins courants, et participant activement aux gardes. La perte de 1 510 internes à la rentrée 2024-2025 représente une diminution de 16 % par rapport à l’année précédente, un chiffre qui inquiète profondément les professionnels de santé.
Pierre-Jean Ternamian, radiologue et membre de l’Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS), ne mâche pas ses mots : « Supprimer ces postes est une folie. Le système de santé est déjà sous pression, et cette décision va aggraver une situation critique. Trouver un médecin traitant est déjà un parcours du combattant. Cette réduction des effectifs va mettre encore plus en danger un système de santé à bout de souffle. » Pour les hôpitaux, où le manque de personnel est déjà un problème récurrent, cette décision pourrait entraîner une dégradation notable du niveau de soins offerts aux patients, avec des délais d’attente allongés et une prise en charge moins optimale.
La fronde des étudiants en médecine : une pétition pour sauver les postes d’internes
Face à cette situation, les étudiants en médecine ne restent pas silencieux. Une pétition lancée par des étudiants de sixième année a rapidement recueilli près de 17 000 signatures, dénonçant une décision qu’ils jugent non seulement injuste, mais également dangereuse pour l’avenir du système de santé français. Sur les réseaux sociaux, cette réduction du nombre de postes d’internes est qualifiée de « lunaire » et est largement critiquée, notamment en raison de la pénurie de médecins qui frappe déjà de nombreuses régions du pays.
Les étudiants soulignent que cette baisse est la conséquence directe d’une réforme récente du concours d’internat. Cette réforme, mise en œuvre à partir de 2023, a introduit plusieurs changements majeurs dans le processus de sélection des internes, dont une note couperet de 14/20 pour accéder à l’oral et une valorisation accrue des activités extra-académiques, comme les stages ou les engagements associatifs. Ces nouvelles modalités ont déstabilisé de nombreux candidats, certains choisissant de redoubler plutôt que de risquer un échec, ce qui a conduit à une baisse significative du nombre de lauréats cette année.
Les justifications du gouvernement : entre ajustement des effectifs et polémique
Le gouvernement, de son côté, se défend de toute responsabilité directe dans cette baisse du nombre de postes. Frédéric Valletoux, ministre de la Santé démissionnaire, a déclaré sur X (anciennement Twitter) que cette réduction des effectifs était avant tout liée à la diminution du nombre de candidats ayant réussi les examens : « 1 500 étudiants ont fait le choix de ne pas présenter l’examen. La faute du gouvernement, forcément ? » Il ajoute que les gouvernements successifs ont toujours ajusté le nombre de postes d’internes au nombre d’étudiants réussissant les concours, et que cette année ne fait pas exception.
Cependant, ces justifications peinent à convaincre, notamment dans les rangs des députés de l’opposition. Damien Maudet, député de La France insoumise (LFI), a rappelé que dès le mois d’avril 2024, un groupe de travail transpartisan de l’Assemblée nationale avait alerté le ministère sur les risques de la réforme des études de santé. Dans une lettre adressée à Frédéric Valletoux, les députés avaient mis en garde contre les « futurs ravages de ce nouveau concours pour les étudiants » et l’impact potentiel sur le nombre d’internes dans les hôpitaux à partir de la rentrée 2024. « Vous n’avez rien voulu savoir et on se retrouve avec -1 500 internes », a accusé Damien Maudet, soulignant que cette situation est bien la conséquence de choix politiques.
Une réforme controversée : entre peur des étudiants et adaptation difficile
La réforme du concours d’internat, initiée à partir de 2018 et mise en œuvre en 2023, est au cœur des préoccupations. Celle-ci a introduit des changements significatifs, comme la réorganisation des épreuves, la hiérarchisation des connaissances à maîtriser, et surtout l’introduction d’épreuves orales censées évaluer la pratique des étudiants. Ces nouvelles règles, bien que conçues pour moderniser le processus de sélection, ont généré une grande anxiété parmi les candidats. Nombre d’entre eux ont préféré redoubler ou se sont retrouvés en difficulté face aux nouvelles exigences, entraînant une baisse du nombre de candidats admis au concours final.
Les syndicats étudiants et les associations médicales pointent du doigt une réforme qui, selon eux, n’a pas suffisamment pris en compte la réalité du terrain et les besoins des étudiants. « Nous demandons avec insistance la réouverture des négociations sur le nombre de postes d’internes proposés pour mieux adapter leur répartition à la demande des étudiants », insiste un collectif d’étudiants dans une pétition en ligne.
Un avenir incertain pour le système de santé : vers un possible retournement ?
Le tollé suscité par cette situation pourrait contraindre le gouvernement à réexaminer sa position. Déjà, des négociations ont été ouvertes pour tenter de trouver un accord qui permettrait d’augmenter le nombre de postes d’internes ou d’assouplir les conditions d’admission afin de pallier les effets de la réforme. Les étudiants, appuyés par plusieurs professionnels de santé, continuent de plaider pour une révision des quotas afin de répondre à la demande croissante de médecins dans certaines spécialités cruciales.
Cependant, le temps presse. À quelques semaines de la rentrée universitaire, le risque est grand de voir les hôpitaux se retrouver avec des équipes médicales insuffisantes pour répondre aux besoins des patients, accentuant les inégalités d’accès aux soins sur le territoire. Si aucun compromis n’est trouvé, la suppression de ces 1 510 postes d’internes pourrait bien marquer un tournant critique pour le système de santé français, confronté à des défis sans précédent.