— Par Edouard de Lépine —
Quelques jours après le passage à la Martinique du directeur de Médiapart, Edwy Plénel, a paru dans ce journal un curieux article sur l’Université des Antilles. Cet article met gravement et nommément en cause Fred Célimène pour lequel j’ai le plus grand respect, entre autres à cause de l’énorme travail qu’il a réalisé en un peu plus d’un quart de siècle, à l’intérieur de l’Université et aux alentours, dans la Caraïbe. Un travail que je suis naturellement prêt à comparer avec celui de n’importe lequel de ces conjurés d’un gran sanblé qui n’ose pas dire son nom. À commencer par la seule performance de celle qui n’aura mis que quelques mois à casser l’Université des Antilles-Guyane que nous avions mis un demi-siècle à construire.
Ému et surpris par les premiers articles parus dans Médiapaart et repris dans la presse locale, j’avais adressé au directeur de ce journal que j’ai la chance de connaître, à une adresse probablement inexacte, un document qu’il n’a manifestement pas reçu. C’est pourquoi je me proposais de profiter de son passage à la Martinique, pour lui en toucher un mot, lui remettre un épais dossier sur ce sujet et même essayer de mettre sur pied une rencontre avec Fred Célimène. Nous nous sommes rencontrés moins d’une heure. J’ai vite compris qu’il n’entendait pas discuter de questions qui selon lui regardent désormais la justice et qu’il fallait attendre que celle-ci se prononce.
Comment ne pas se poser de questions ?
Je tiens Edwy Plénel, que j’ai connu enfant – il avait 7-8 ans – pour le digne fils de son père, Alain Plénel. Ce premier haut fonctionnaire d’autorité de l’Éducation Nationale a payé très cher, au lendemain de décembre 1959, sa passion pour la Martinique, sa détestation de l’injustice et son horreur du colonialisme.
Je tiens surtout Edwy Plenel pour un des meilleurs journalistes de sa génération, l’un des mieux informés et aussi l’un des plus courageux. Je ne suis pas toujours d’accord avec Médiapart. Mais j’ai toujours gardé pour son directeur le même respect et la même considération qu’au temps où il nous arrivait de vendre à la criée, le journal trotskiste Rouge – « le seul journal qui annonce la couleur » – où il signait Krasny et moi Andrès Lerouge à Révolution Socialiste, sans savoir ni l’un ni l’autre, pendant longtemps, qui était Krasny ni qui était Lerouge. Ou, beaucoup plus tard, quand il écrivait L’Épreuve, cet ouvrage dédié à François Maspéro, pour lequel nous avions, l’un et l’autre, une profonde admiration. Un ouvrage que je viens de relire en diagonale à l’annonce de la mort ces jours derniers de cet éditeur qui nous en a appris plus qu’aucun autre sur le tiers-monde. L’Epreuve est un vibrant plaidoyer pour le respect qui s’impose à des amis, y compris dans l’expression de leurs divergences.
Il y a manifestement des divergences entre nous concernant ce qui se passe dans notre Université. Je n’ai aucune envie de me substituer à la justice, ni d’appliquer à qui que ce soit la présomption de culpabilité, comme le font la présidente, l’élue, comme on sait, de madame Fioraso, Mme Mencé Caster, et ses amis, pour Fred Célimène.
Mais comment ne pas se poser de questions sur l’incroyable pouvoir qui permet à une présidente élue par une structure qui n’existe plus, de présider une structure qui n’existe pas encore ? Au nom de quel principe surtout, soit comme présidente en sursis, soit comme présidente virtuelle, peut-elle prendre une décision aussi extravagante dans l’histoire de l’Université en France, que la suspension d’un de ses collègues ? Je ne vois guère que Vichy, qui ait permis, non à la présidente d’une Université mais aux ministres de Pétain, de prendre de telles décisions.
Nous vivons un étrange moment
Encore que cela soit assez grave pour alerter l’opinion sur l’étrange moment que nous sommes en train de vivre dans ce pays, c’est loin d’être le plus grave. Le plus grave c’est qu’un journaliste, encore une fois talentueux, puisse non seulement se laisser manipuler mais accepter de cautionner une telle manipulation par des calomniateurs qui se fichent de la justice autant que de l’Université ?
Comment expliquer en effet que, disposant de preuves aussi accablantes des malversations et des détournement de fonds dont se serait rendu coupable le CÉREGMIA et singulièrement Fred Célimène, l’avocat du directeur de Médiapart, au lieu d’exhiber ses preuves devant les juges et devant l’opinion publique, préfère invoquer, en 2014, à l’heure où la France se vante d’être à l’avant-garde des technologies les plus sophistiquées de la télécom, une loi, votée il y a 134 ans, en 1881, précisant le nombre de myriamètres (vous savez, vous ? ce que c’est un myriamètre ?) qu’il y a entre la France et la Martinique et qui l’aurait empêché de recevoir à temps, pour préparer sa défense, la convocation devant le juge où Fred Célimène entendait démontrer qu’il avait été calomnié.
Mais est-ce un pur hasard si cette relance de la campagne anti CEREGMIA ou plutôt de ce délire anti-Célimène, dont les calomniateurs ne perdent aucune occasion de signaler son appartenance supposée au Parti Progressiste Martiniquais et en tout cas sa proximité avec Ensemble Pour une Martinique Nouvelle ?
Nous aurons, bien entendu, l’occasion d’y revenir.
Edouard de Lépine