— Par Selim Lander —
Un spectacle de danse qui commence par un quart d’heure de projection vidéo, suivi pendant un autre quart d’heure d’un dialogue de théâtre entre les deux interprètes avant qu’elles se mettent enfin à danser une sorte de non-danse, le tout dans une sorte de demi-pénombre, voilà un programme qui pourrait rebuter. Mais les spectateurs n’étaient pas prévenus et l’eussent-ils été, qu’il eût été dommage qu’ils renonçassent car ce spectacle atypique se révèle une réussite de bout en bout. Nous nous laissons conduire à travers les étapes de ce parcours incongru, curieux de découvrir la suite et charmé par l’élégance et la tenue de ce que l’on ne saurait appeler une pièce de danse tant le spectacle apparaît composite.
Cri de mes racines est à l’origine une pièce du danseur-chorégraphe Jean-François Colombo (1962-1996) créée par Josiane Antourel en 1992. Cette dernière a repris la chorégraphie initiale en l’adaptant au format d’un duo qu’elle danse elle-même avec Yna Boulangé et qu’elle a insérée dans les autres formes (vidéo, théâtre) mentionnées plus haut.
On le sait, les chorégraphies contemporaines, à l’image des installations des plasticiens contemporains, racontent une histoire généralement incompréhensible pour qui n’a pas le mode d’emploi. C’est pourquoi les artistes fournissent désormais les explications qui permettent d’interpréter leurs œuvres. A défaut, les critiques d’art se chargent d’en proposer. Dans le cas présent, ces explications sont fournies pendant la représentation elle-même grâce à la vidéo et à la partie dialoguée (à partir de textes de Louis-Philippe Dalembert). La chorégraphie est un hommage à Haïti. Plus précisément, inspirée par « les gestes quotidiens, traditionnels de la Martinique », elle « évoque les combats, les révoltes et les douleurs de l’île sœur et voisine, qui tient ‘debout’ en lutte contre elle-même dans un système social et politique hostile » (cf. le programme de Tropiques-Atrium).
Josiane Antourel, la soixantaine passé, fait preuve d’une belle vitalité sur le plateau. Elle a déclaré faire appel à une seconde danseuse parce qu’elle ne pouvait plus tout danser elle-même. Le fait est que leur duo fonctionne sans accroc, la plus jeune se chargeant des postures les plus compliquées. La vidéo du début, signée Vianney Sotès, captive l’œil au point de nous faire (presque) oublier que nous n’étions pas venu pour ça. Une mention spéciale pour le réglage, pour une fois parfait, des micros dont sont pourvues les deux danseuses dans la partie de « théâtre » : quand on veut, on peut !