— Par Selim Lander —
En prélude à la fête de la musique, l’EPCC programmait ce samedi 20 juin 2015 cinq pianistes jazz, martiniquais au moins d’origine. Une nouvelle fois, la preuve était faite de l’engouement du public pour la musique. La grande salle de l’Atrium était en effet quasi-remplie alors que le Théâtre municipal programmait lui-même, ce soir-là, trois concerts consécutifs et qu’un autre événement musical se déroulait sur la Savane. Laissons de côté ce dernier qui visait son propre public ; la concomitance des concerts de l’Atrium et du Théâtre municipal n’est pas sans laisser quelques regrets, car de nombreux auditeurs de l’un auraient bien voulu écouter les autres (et réciproquement). Sans vouloir offenser personne, on ne peut que déplorer cette concurrence qui n’a pas lieu d’être.
Encore la grande salle de l’Atrium était-elle à peu près pleine ce 20 juin au soir. Il n’en va plus de même lorsque les événements qui se font concurrence à la même date s’adressent à un public potentiellement moins important. Ainsi fut-il, le 30 mai dernier, lorsque trois spectacles de danse se déroulèrent simultanément. Rendant compte de la pièce Abstraction de David Milôme, nous nous étonnions qu’une création aussi exceptionnelle, transcendant le hip hop en danse contemporaine du plus haut niveau, n’ait pas réuni davantage de spectateurs. Depuis, nous avons découvert que l’explication résidait – au moins en grande partie – une nouvelle fois dans l’existence d’une concurrence absurde. La même soirée, en effet, Christiane Emmanuel présentait Miles et mes danses de mauvais nègre à Fond-Saint-Jacques tandis que le groupe Apsara réunissait soixante-dix danseurs au Grand Carbet pour un spectacle de danse indienne… Au service de la culture et des arts sur notre île, Madinin-art a dénoncé à plusieurs reprises l’absence flagrante de coordination entre les programmateurs des différents lieux de spectacles et de concerts. Nous le referons aussi longtemps que nécessaire. Il n’y a aucune raison en effet pour que ne soit pas remédié à une situation dommageable pour les spectateurs (obligés de choisir entre plusieurs événements culturels simultanés), les artistes (qui ne rencontrent pas tout le public espéré), comme pour les institutions (qui accusent un manque à gagner sur la billetterie).
Heureusement, rien de tout cela n’oblige à bouder son plaisir lorsqu’on assiste à une soirée réussie, et tel fut le cas ce 20 juin à l’Atrium. Très bonne idée que celle de réunir des pianistes de jazz autour de l’un d’eux et d’un répertoire. En l’occurrence, c’est Thierry Vaton qui menait le jeu entouré de Didier Davidas, Élizé Domergue, Georges Granville et Léo Lancry. Pour accompagner : un batteur, un bassiste et un musicien aux drums. Deux imposants pianos à queue reposaient sur la grande scène de l’Atrium, tels deux orques échouées sur un lointain rivage. On connaît les orques, ces mammifères marins au corps d’un noir luisant, avec une grande tache blanche sur le poitrail. On pouvait voir quelque chose de semblables dans les deux grands pianos à queue, à la robe noire brillante, simplement rompue par la tache blanche du clavier.
La composition de la soirée s’est déroulée en quatre temps : chacun des quatre invités est d’abord venu jouer en solo ; puis est venu le temps des duos avec Th. Vaton ; ce dernier a ensuite interprété seul quelques morceaux ; enfin, dans un final endiablé, ses quatre complices se sont succédés très rapidement sur le second piano pour lui donner la réplique le temps d’une seule phrase musicale, avant d’être immédiatement remplacé par un autre.
Les pianistes savaient incontestablement se servir de leur instrument. La transposition pour le piano jazz des thèmes inspirés de la musique créole s’est avérée une très bonne idée. Les amateurs de jazz sont donc repartis comblés. Faut-il préciser que tous les instruments étaient amplifiés ? Pourquoi, dans la même salle, avec la même acoustique, un pianiste classique peut-il jouer sans amplification alors que le musicien de jazz ne le pourrait pas ? Voilà ce que nous ne comprendrons jamais. Mais ce combat-là, il est inutile de le mener. Il n’est pas gagnable… Ou alors peut-être dans quelques décennies, si l’énergie se raréfiait tellement qu’il devienne indispensable de renoncer à la débauche de kilowatts des concerts actuels.