—Par Jean Marie Nol ancien directeur de banque et économiste —
Alors que les taux remontent, la production de crédit commence à ralentir très sérieusement en ce troisième trimestre 2023 . Entre la pression sur la solvabilité des clients et des marges encore négatives, les banques naviguent à vue. A la une de l’actualité ,la banque des Caraïbes sous la pression de la multiplication des impayés et des conditions difficiles de refinancement sur lex marchés financiers a annoncé sa fermeture pour octobre 2023 .La situation financière des entreprises et des ménages se tend avec l’inflation dont le pic est attendu mi 2024 selon nos propres prévisions qui diffèrent sensiblement de celles de l’ IEDOM (Institut d’Émission des Départements d’Outre-Mer, ou banque centrale déléguée des départements d’outre-mer)
Seuls 13,9% des ménages ont l’intention de souscrire un crédit dans les six prochains mois.
Dans les agences bancaires, les conseillers ne savent plus à quel saint se vouer. Après des décennies de taux bas qui ont soutenu la demande de crédit en Guadeloupe et Martinique , la spirale infernale de l’inflation , le COVID , le choc de la guerre en Ukraine est venu rompre la dynamique de l’argent facile. Sous l’effet de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), la remontée rapide des taux, à un rythme inédit depuis 30 ans, vient ainsi secouer le modèle économique du produit d’appel phare des réseaux bancaires. Car le crédit à la consommation aux Antilles reste le nerf de la guerre pour attirer et fidéliser un client.
Après un premier coup d’arrêt au premier trimestre , sous le poids des incertitudes macroéconomiques et des anticipations négatives des ménages, l’ activité des entreprises a commencé à sérieusement ralentir au dernier trimestre 2023 . Une tendance qui se confirmerz en ce début d’année 2024. «Le ralentissement sur le marché antillais est de l’ordre de 34 % », estime un banquier de la place. Quelques banques de la place ont ajusté leurs barèmes de taux et commissions à la hausse, ce qui complique davantage l’accès au crédit, alors que l’usure reste en place jusqu’au 31 décembre. Certaines ont carrément cessé de prêter, peut-être diminuées par les effets de la loi Lemoine, quand d’autres décident de se passer des crédits immobiliers . Un air de « déjà vu » qui pénalise toute la consommation moteur de l’économie des Antilles , au détriment, encore une fois, de l’intérêt des entreprises et des ménages .
L’Accès au crédit immobilier est déjà bloqué en Guadeloupe et Martinique.
L’évolution du contexte monétaire oblige normalement les banques à rehausser les taux débiteurs proposés aux ménages emprunteurs. Entre l’inflation, la progression du rendement de l’OAT 10 ans (Obligations Assimilables du Trésor) et l’augmentation du taux de refinancement de la Banque Centrale Européenne, les banques de détail devraient logiquement ajuster leurs volumes de prêt à hauteur de l’évolution du contexte monétaire .
Le danger économique et financier viendra selon toute probabilité des banques qui ont montré leur totale absence d’adaptabilité à la réalité du terrain, provoquant à chaque remontée des taux débiteurs l’effet ciseau qui exclut environ la moitié des candidats à l’emprunt, même ceux parfaitement solvables….
Déjà , il faut noter que les banques et organismes de crédit aux Antilles ne veulent plus recouvrir aux crédits classique à la consommation, mais envisagent dès le mois de novembre 2023 un recours forcé à la LOA (Location avec Option d’Achat)) pour financer les véhicules et les autres biens de consommation courante. Le problème est que la LOA reste plutôt plus chère qu’un crédit classique. Difficulté supplémentaire : la LOA peut se révéler un piège pour le consommateur confronté à des difficultés financières (le propriétaire demeure l’organisme de crédit et donc risque de saisie accrue)
Quels sont les pièges de la LOA ?
1er piège : Méconnaître le coût total de la LOA.
2e piège : Fournir un apport lors de la souscription d’une LOA.
3e piège : Souscrire à des options onéreuses.
4e piège :le taux d’intérêt est largement supérieur dans le contrat LOA que dans un crédit classique à la consommation.
5e piège : en cas d’impayé ,le risque de saisie du bien est multiplié par 3
L’inconvénient de la LOA : un coût global plus élevé
En plus de devoir payer un dépôt de garantie qui peut être élevé, le coût de l’opération globale est généralement plus important qu’avec un crédit classique . En outre, il sera bien souvent nécessaire de souscrire une assurance tous risques plus onéreuse.La souscription d’une LOA comporte des risques, qu’il vaut mieux connaître, avant de s’y engager. Ceux-ci peuvent en effet se révéler majeurs dès qu’une difficulté financière survient.
Quant aux avantages…. il me semble qu’ils se réduisent au fait que les mensualités sont souvent moins élevées que pour un crédit affecté… qu’il n’est par ailleurs pas toujours possible d’obtenir !
Comme son nom l’indique, une LOA est un contrat de location.
Cela signifie donc que le bien ou le véhicule ne vous appartient pas.
Il ne vous appartiendra, si tout se passe bien, que si vous payez la « mensualité » finale, qui est souvent élevée, et qui intervient souvent à un moment où le bien de consommation ou la voiture a considérablement perdu de sa valeur….
Si vous restituez la marchandise ou le véhicule sans lever l’option d’achat, des frais de remise en état peuvent vous êtes facturés, ainsi que des pénalités si vous avez dépassé le kilométrage maximum « autorisé ».
En cas de vol du bien ou du véhicule,si l’assurance ne couvre pas l’intégralité de ce que vous devez…. ben… c’est pour votre poche !
Mais surtout, et c’est ce qui nous concerne le plus directement ici, que se passe-t-il si certaines échéances (enfin, loyers…) demeurent impayées ?
Eh bien il se produit que, au même titre que pour un crédit à la consommation (déchéance du terme), l’ organisme de crédit peut mettre un terme anticipé au contrat de location, vous réclamer l’intégralité des sommes dûes (mensualités impayées et à échoir + montant de l’option d’achat), et appliquer une pénalité de 8% !
Tout cela va affecter énormément la consommation et casser la croissance avec à la clé une fragilisation des ménages et entreprises de la Guadeloupe et de la Martinique. Quant aux projections de croissance pour les Antilles en 2024 et au-delà, elles montrent un tableau économique très sombre et un net ralentissement de la croissance qui va perdurer, au risque même d’aboutir à une évolution nulle du PIB (à noter que le PIB moyen de la zone euro est pour l’instant négatif pour l’année 2023, même si les projections de la BCE prévoyaient une progression de 0.7 % pour l’année 2024 … Nous ne saurions trop conseiller à tous de méditer cette citation de l’écrivain André Gide : » Que votre vision soit à chaque instant nouvelle. Le sage est celui qui s’étonne de tout. »
Jean Marie Nol ancien directeur de banque et économiste