— Par Yves-Léopold Monthieux —
Il faudrait être terriblement naïf pour croire qu’à l’arrivée du nouveau vaccin sans ARN messager, les Martiniquais se seraient précipités vers les centres de vaccination. Il faudrait également faire preuve d’un optimisme infini pour espérer que, dans un pareil élan, les laboratoires d’analyses fussent envahis à l’annonce de la gratuité des tests de dépistage du chlordécone. On sait combien ces deux décisions étaient attendues et les lenteurs à les mettre en œuvre, critiquées. En réalité, les contestataires les plus déterminés n’étaient-ils pas discrètement chagrinés de voir disparaître les deux sujets qui donnent du corps à leurs querelles contre les autorités ?
La mort subite de l’empathie pour les malades de la chlordécone
En effet, on se demande pourquoi les syndicats et agitateurs de conscience qui avaient exigé la mesure de la part de l’Etat n’appellent pas la population à se faire vacciner, une fois obtenu le vaccin souhaité ? Que dire des médecins et autres professionnels de santé qui avaient exigé à juste titre la mise en œuvre gratuite du dépistage des victimes de la chlordécone, dès lors qu’ils se gardent résolument d’inviter les Martiniquais à utiliser les moyens mis à leur disposition ? Comment comprendre enfin que les élus qui, dans un bel ensemble, avaient crié au scandale d’Etat, soient tout à coup frappés d’un mutisme abyssal quant à la désertion des Martiniquais de ces lieux de santé ? C’est la mort subite de l’empathie manifestée envers les malades. En effet, cette indifférence pour le sort des personnes peut faire croire qu’en dehors de quelques élans affectifs, les risques de santé des travailleurs agricoles n’ont pas vraiment compté. Faire condamner des ministres constitue ‘objectif principal comme si faire rendre gorge à l’Etat et ses représentants résoudra les problèmes de santé.
Les problèmes de santé n’ont pas vraiment compté ».
Pas fous, les volontaires présumés soucieux de la santé de leurs compatriotes ont pleine conscience que ces derniers ne sont pas dupes de leurs manœuvres et savent bien jusqu’où ils sont prêts à les suivre dans leur jeu de piste politique. Quoi qu’il en soit, on ne s’est pas aperçu que les morts du Covid 19 et les froides statistiques égrenées au quotidien aient heurté les consciences et le sentiment de responsabilité des uns et des autres. On enterrait les morts à qui mieux mieux sans angoisse excessive, de sorte qu’en l’année 2021 de grande détresse pour la population, les drames humains ont bien moins intéressé les agitateurs de conscience que l’instrumentalisation politique du malheur collectif.
La doctoresse hérite d’un dossier politique inflammable.
Sauf un penchant très partagé à l’endroit de cette ancienne pédiatre, son intervention télévisée a montré sa difficulté à maîtriser la part politique d’un dossier dont elle a hérité d’un prédécesseur et confrère nettement plus averti qu’elle sur le plan politique. Si elle n’a pas eu du mal à appréhender l’aspect médical du débat sur le chlordécone, elle fait preuve de beaucoup moins d’adresse dans la traduction politicienne des données sanitaires qui est attendue d’elle. Au cours de la pandémie, cette pente l’a parfois conduite à embrasser des positions politiques voire sanitaires qui ont étonné les observateurs et la plupart de ses confrères. Aussi bien, la praticienne qui semble être le seul médecin à la tête de son association a été mise dans le plus grand embarras à la télévision, ce jeudi soir 7 avril 2022. A la question éminemment politique qui lui était posée, elle s’évertuait à vouloir répondre médicalement. Pourquoi, demande le journaliste, les Martiniquais, notamment ceux qui ont été au contact du pesticide, ne se rendent pas aux Laboratoires d’analyses pour se faire tester gratuitement, et pourquoi son association qui avait exigé cette mesure ne les incite pas à profiter de l’aubaine ? N’osant pas reprendre les réponses saugrenues proférées par certains militants, elle évita la question en évoquant obstinément le manque de formation des médecins libéraux.
Ainsi donc, au prix d’un manque d’intérêt à peine voilé pour la santé des Martiniquais, il est regrettable que les préoccupations n’aillent pas au-delà de la volonté d’instrumentaliser leur malheur et de les maintenir dans une posture victimaire propice aux mécontentements. Bref, la question posée au médecin était politique. A question politique, réponse politique : laissons les médecins tranquilles !
Fort-de-France, le 8 avril 2022
Yves-Léopold Monthieux