— Par Diane Berger —
A quoi s’attendre quand on demande à la population d’un pays entier de rester chez elle pendant dix jours, deux semaines, un mois, voire plus ? Quels vont être les effets sur son mental, sur ses comportements sociaux ? Et quelles pathologies pourraient apparaître ?
Alors qu’un milliard de personnes sont désormais confinées dans le monde, depuis ce mardi 17 mars en France, pour limiter la propagation du Covid-19, la psychologue Catherine Tourette-Turgis a décortiqué les études scientifiques sur les effets psychiques de la quarantaine. Et la fondatrice de l’Université des patients, directrice du master en éducation thérapeutique à Sorbonne-Université, veut rappeler l’importance du soutien face à un phénomène qui peut être aussi difficile à vivre qu’une catastrophe naturelle.
Que sait-on de l’effet du confinement sur notre psychologie aujourd’hui ?
D’abord, on peut se fonder sur une enquête nationale qui a été réalisée en Chine, pendant le confinement, sur la population générale, dans les 36 provinces : elle vient de paraître, à partir de 52 730 réponses, sur un auto-questionnaire en ligne. Il fallait valider la fréquence de l’anxiété, de la dépression, les symptômes physiques…
On sait que 35% des répondants ont présenté un stress psychologique modéré. Et il y en a 5,14% qui présentent un stress psychologique sévère.
Et qui sont les plus exposés ?
Les femmes ont présenté un plus haut niveau de détresse. Sinon, parmi les plus touchés : les individus entre 18 et 30 ans, et les plus de 60 ans. Les travailleurs migrants ont également été très affectés. Et le niveau de stress est plus élevé dans les foyers de l’épidémie : en France, on pourrait imaginer un effet similaire dans les zones les plus touchées, par exemple à Mulhouse.
Ensuite, il existe une note de synthèse, parue le 14 mars 2020 dans la revue The Lancet, sur l’impact psychologique du confinement. Elle a été réalisée à partir de 24 études, dans dix pays différents : elle inclut des études autour du Sras, d’Ebola, du H1N1.
On y apprend que le stress pendant la phase de confinement va dépendre, en premier lieu, de sa durée. Une durée de confinement de plus de dix jours, toutes études confondues, est prédictive de syndrome post-traumatique. En quelques mots, cela signifie que cela va générer à long terme du stress, de l’anxiété, des insomnies, on se sent incapable de faire quoi que ce soit…
Et ces symptômes peuvent apparaître sans même être exposé directement à la maladie ?
Oui, et le confinement va réveiller d’autres traumas. J’ai entendu des témoignages de femmes qui racontent avoir revécu dans l’annonce du confinement l’annonce de leur cancer : les personnes fragiles sont parfois celles qui ont vécu d’autres traumatismes.
On note aussi pendant le confinement, une peur accrue pour les femmes enceintes et leur entourage : elles ont peur d’être infectées et de transmettre le virus. Pareil pour les femmes qui ont des jeunes enfants, des bébés de quelques mois.
Dans les autres facteurs qui favorisent le stress, il y a aussi l’ennui : je n’ai rien pour m’occuper, je tourne sur du vide, alors je me laisse inquiéter. On parle des difficultés au télétravail, mais c’est aussi un problème pour les personnes qui n’ont pas d’activité, les chômeurs, les retraités… d’où sans doute les classes d’âge les plus touchées.
Et que sait-on de l’impact du confinement dans les familles ?
Avoir des enfants à charge est un facteur aggravant du stress. Il faut soutenir la parentalité en ce moment. Le parent, on le charge d’une mission par rapport à ses enfants : il doit le rassurer, lui expliquer la situation, pour que les plus jeunes n’aient pas peur. Après, l’enfant doit faire ses devoirs d’école, donc le parent doit se charger de l’enseignement. Et quand le parent en plus doit travailler, cela aboutit à une triple-fonction dans la même journée, sans compter les courses à faire.
Il va aussi falloir soutenir les couples : les couples fonctionnent parce qu’il y a de l’air de temps en temps. Mais avec le confinement, il n’y a plus d’air, des conflits peuvent apparaître. Il faudrait demander de l’aide de tous les conseillers conjugaux, etc.
Certaines études mettent aussi en avant des conséquences sur la manière de s’alimenter, sur la consommation d’alcool…
Effectivement, la situation de confinement crée elle-même ses propres troubles. L’anxiété va créer des effets secondaires : de la boulimie, une consommation de sucre excessive… et donc un autre effet secondaire qui est la prise de poids, qui peut créer encore après des problèmes cardio-vasculaires. Ce sont des effets secondaires en cascade.
Dans les expériences de confinement récentes, qu’est-ce qui a été mis en place justement pour limiter ces sources de stress ?
En Chine, les autorités ont mis en place un système de soutien, avec des volontaires formés pour venir aider par téléphone les autres. Il ne s’agit pas à proprement parler d’aide psychologique, mais plutôt psychosociale : il faut regarder les questions logistiques, les rapports entre le salarié et l’employeur… Il faut un accompagnement de proximité qui ne doit pas être intrusif, car la situation est difficile. Mais ce ne sont pas les gens qui ont un problème psychologique à proprement parler : c’est la situation qui crée un trouble.
En Chine, on a également vite remarqué que les parents avaient du mal à gérer l’enseignement. Alors les autorités ont très vite misé sur les chaînes de télé, avec des programmes éducatifs tous les matins : on a expliqué aux parents qu’ils pouvaient mettre leur enfant deux heures devant la télévision, et les adultes pouvaient alors se reposer, faire leur télétravail…
De manière générale, il faut prêter une attention particulière aux groupes vulnérables, avec une mise en place de services de soutien, qui sont pratiquement les mêmes que dans les situations de désastre majeur.
La Chine a utilisé des outils qui ont servi lors du tremblement de terre de Wenchuan en 2008 et l’épidémie de H1N1 en 2009 : il faut traiter cette épidémie comme un désastre majeur, et déployer des interventions ciblées pour réduire le stress.
Et après le confinement, que se passe-t-il ? La situation peut-elle revenir à la normale comme si rien ne s’était passé ?
Les études montrent qu’il existe des sources de stress après le confinement, justement. La première chose stressante est la situation économique : qui a perdu des revenus ? Ces jours-ci, j’ai eu des retours de personnes qui allaient obtenir un travail : soudain, en face, on leur dit qu’on arrête le processus de recrutement, puisqu’on ne sait pas où l’on va. Les gens en situation économique de transition, ou les travailleurs précaires, vont être mis en difficulté. C’est aussi très difficile pour les étudiants, en fin de parcours universitaire, en phase de professionnalisation.
Ce stress économique va aussi peser sur les dirigeants de petites et moyennes entreprises, surtout dans le secteur du service à la personne : ce sont des fonctions qui ne peuvent pas forcément se vendre à distance, comment vont-elles faire financièrement ?
Et même chez des personnes stables professionnellement, il va y avoir des difficultés à revenir au travail : il y aura un réaménagement des valeurs existentielles. C’est courant après des catastrophes : « Est-ce qu’il est vraiment si essentiel, ce travail ? »
Et comme dans l’après-guerre, il peut y avoir une soupape de relâchement après le confinement, avec des comportements de prise de risques accrus, d’échappement. C’est pour cela qu’il faut soutenir, jour après jour, la population, vu que l’on sait que c’est une situation difficile. Il faudra du soin de santé mentale pour certains, auprès de psychiatres, mais aussi des aides sociales, des aides logistiques, pendant et après le confinement.
Source : France Culture