— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Les nuages d’une dépression non pas cyclonique mais économique et sociale s’amoncellent dans le ciel de la région Caraïbe.
Pour cette région de notre proche environnement géographique , et dans le cas du Covid-19, la question économique est inextricablement liée à la crise sanitaire. La performance dans la gestion de crise sanitaire est ce qui va déterminer l’intensité de la crise économique et sociale. Pour le moment, l’on estime les pertes financières consécutives à cette crise sanitaire du Covid 19 à 3,7 milliards de dollars pour l’ensemble de la zone Caraïbe. Dans ce même contexte les pertes estimées pour la Guadeloupe et la Martinique s’élèveraient à environ 600 millions d’euros.
«Nous sommes au début d’une profonde récession. Nous sommes confrontés à la plus forte baisse de croissance que la région ait jamais connue», a déclaré Alicia Barcena, la secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), une agence technique des Nations unies basée à Santiago du Chili .
De nombreux pays de la région doivent ainsi affronter la crise avec des marges de manœuvre budgétaire désormais limitées. L’importance du secteur informel complique la donne, l’accompagnement de tous les ménages en difficulté financière du fait du chômage actuel, et la protection de toutes les sources d’emploi inhérents au tourisme étant difficiles à concrétiser. Dans quasiment toutes les îles, quantité de familles vivent au jour le jour et n’ont pas les moyens de tenir pendant les périodes de confinement et de quarantaine, indispensables pour enrayer la propagation du virus. Beaucoup sont également tributaires des envois de fonds de leurs proches qui ont émigré, actuellement en chute libre. Les analystes de la Banque mondiale énumèrent la conjugaison des facteurs responsables de ce recul économique dramatique : « Désorganisation des échanges et des chaînes de valeur, qui pénalise les exportateurs de produits agricoles de base et les pays fortement intégrés dans les filières touristiques mondiales ; réduction des flux de financement étrangers (transferts de fonds des migrants, recettes touristiques, investissements directs étrangers, aide étrangère) et fuite des investisseurs, impact direct de la pandémie sur les systèmes de santé ; Les autorités de ces petits pays de la Caraïbe redoutent les cas de contamination, dommageables pour leur population et pour l’image de destinations très touristiques.
La crainte est aussi vive pour les pays très pauvres, comme Haïti, qui ne seraient pas en mesure de faire face aux conséquences sanitaires d’une épidémie. L’on assiste aussi à des perturbations consécutives aux mesures de confinement et à la réaction de la population. Ce que la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, résume en « une dépression synchronisée inédite ».
A quelques détails près, ce diagnostic pourrait être livré à bien d’autres pays dans le monde. De continent à continent, la différence entre la Caraïbe et les départements français d’Amérique , comme entre deux berlines du haut ou du bas de la gamme, tient notamment à la qualité des amortisseurs. Ceux sur lesquels les puissances publiques des Etats peuvent compter pour amortir les chocs économiques et sociaux . Ainsi une récente étude Qualistat le dit : 94% des chefs d’entreprise guadeloupéens sont inquiets et redoutent faillites en chaînes et licenciements massifs à cause de la crise du coronavirus . Une inquiétude largement partagée à travers toute la Caraïbe, mais les conséquences ne seront pas les mêmes pour les îles indépendantes de la Caraïbe et les départements français ultramarins . Pour les îles indépendantes, les projections des analystes dessinent des scénarios véritablement cataclysmiques.
Prenons la question de l’endettement qui est passé de 31 % à 56 % du PIB des pays du caricom entre 2010 et 2020. A titre de comparaison, l’endettement de la France pourrait atteindre 150 % de son PIB à l’issue de la crise du coronavirus . La charge financière induite pèsera nécessairement sur les finances publiques françaises, mais elle ne mettra pas en péril le pays, qui trouvera toujours des créanciers disposés à lui prêter de l’argent à taux réduit. Donc la Guadeloupe et la Martinique pourraient quoiqu’il en coûte compter sur la solidarité nationale pour les maintenir sous perfusion et attendre que l’orage passe.
C’est à peu près l’inverse qui se passe pour de nombreux pays de la Caraïbe . Le problème d’un Etat n’est pas tant le montant de sa dette rapporté au PIB que sa capacité à se financer. Or les Etats de la Caraïbe ont un accès réduit aux marchés financiers et ils en auront besoin au moment où l’Occident sera sans doute lui-même confronté à une crise des financements . Le moratoire sur le paiement des intérêts et du capital jusqu’à la fin de l’année annoncé récemment par les vingt pays les plus riches du monde ne saurait être suffisant. Pour de nombreux spécialistes de la région Caraïbe , la somme de toutes les contributions annoncées – FMI, Banque mondiale – ne répond pas, non plus, aux besoins de la crise. Récemment dans ce mois d’avril , une étude des Nations Unies estimait entre 2 et 4% la perte globale de PIB pour la région. Une étude de la Banque mondiale publiée aujourd’hui prévoit, elle, une chute comprise entre 5,2 et 6,6%. Et selon le FMI, la Caraïbe pourrait même être une des régions du monde la plus affectée par les conséquences économiques de la pandémie.
L’ampleur, la violence et la rapidité de l’effondrement de l’activité constitue un véritable tsunami qui menace de submerger Grandes et Petites Antilles. Plus de touristes, plus de demande pour les productions locales, plus de transfert financier venus des diasporas. En asséchant simultanément toutes les sources de recettes, le Covid 19 provoque un séisme budgétaire pour les états de la région Caraïbe et une catastrophe humanitaire pour les populations. D’autant plus difficile à surmonter que plusieurs de ces îles ont récemment été durement secouées par des phénomènes cycloniques particulièrement destructeurs. En fait, il faudrait réfléchir à un plan Marshall destiné à maintenir à flots des économies qui pour certains états de la région Caraïbe dépendent à 80% du tourisme. Et qui manifestement, ne peuvent pas dans l’immédiat changer de modèle économique…..Et forcément il y aura des répercussions sur le plan économique et social pour ces états de la région Caraïbe.
Notre conclusion est que le choc que nous connaissons aujourd’hui est certainement le résultat direct de la trop forte dépendance des économies de la région Caraïbe au secteur touristique. Toutefois comme toujours il faudrait ajouter un bémol à ce constat car tous ceux qui critiquent ou diabolisent systématiquement l’industrie du tourisme aux Antilles vont prendre une rude leçon de réalité. Ce n’est qu’une question de temps avant que ce COVID-19 mette un frein sur tout et que les Américains et les Européens réduisent de façon drastique leurs voyages outre-mer. C’est alors que les détracteurs verront l’apport de cette activité.
D’ailleurs, la question qui se pose est peut-t-il en être autrement quand on ne voit pas d’autres alternatives en matière de développement ?
Jean-Marie Nol, économiste