Rues désertes, transports peu fréquentés : en cette période de confinement, de nombreuses femmes témoignent du harcèlement et des agressions sexuelles subies dans l’espace public, où elles ont désormais « autant peur le jour que la nuit ».
Dans le contexte actuel de confinement provoqué par la pandémie de Covid-19, se déplacer quand on est une femme dans les rues quasi désertes ou dans les transports peu fréquentés semble encore plus difficile qu’en temps normal. Nombreuses sont celles qui témoignent du harcèlement et des agressions sexuelles subies dans l’espace public.
En pleine journée, Fatima Benomar s’est fait suivre « par une bande de jeunes », rue de Rivoli, à Paris. « Ils se sont collés à moi car je ne répondais pas à leurs avances, m’ont insultée, menacée et m’ont suivie en criant : ‘de toute façon, ça se voit que t’es une salope' », raconte-t-elle à l’AFP.
Cette militante féministe de 36 ans confie « avoir vraiment eu peur » : « Je ne pouvais me réfugier nulle part, tous les magasins étaient fermés et je pouvais demander de l’aide à personne ». Depuis, pour se rendre au travail, elle emprunte les petites rues adjacentes.
Laurène Martin, 28 ans, « n’avait jamais eu peur en Île-de-France ». Depuis le 17 mars, les trajets quotidiens banlieue-Paris de cette infirmière sont devenus un calvaire. « Le deuxième jour du confinement, des mecs m’ont sauté dessus dans le métro pour me piquer mon téléphone. J’ai crié, ils sont partis et le seul autre passager de la rame, un homme, est venu se coller à moi et m’a demandé si j’avais un mari… »
« La journée devient la nuit, il n’y a plus de différence pour les femmes »
Après avoir accumulé les expériences désagréables, Laurène s’est mise au vélo. « C’est mieux, même si tous les hommes me regardent comme s’il n’avaient jamais vu une femme », s’étonne-t-elle.
À ses yeux, c’est « clairement pire » qu’avant : « Il y a moins de personnes à agresser, moins de témoins, et les groupes d’hommes qui restent dehors sont ceux qui ne respectent absolument pas le confinement ».
« Nous sommes enfermés chez nous, donc normalement les sorties à l’extérieur, pour voir le soleil, sont des bouffées d’air. Or, elles se transforment en des moments d’angoisse et les femmes se reconfinent rapidement par peur », constate Géraldine Franck, 37 ans, militante féministe, qui a vu pulluler les témoignages sur les réseaux sociaux. « La journée devient la nuit, il n’y a plus de différence pour les femmes. »
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En Seine-Saint-Denis, la semaine dernière, deux femmes ont été violées en l’espace de 24 heures sur la voie publique, l’une dans un parc à Aulnay-sous-Bois, l’autre dans une rue de Montreuil.
« Forcément une interaction avec un mec pendant mon trajet »
Pour l’anthropologue Chris Blache, la période de confinement offre « un précipité de ce qu’on connaît d’habitude » en matière de domination des hommes dans l’espace public.
« Quand on vide l’espace public, des principes mécaniques reviennent : les propriétaires de ces espaces expérimentent leur droit à la propriété », ajoute la cofondatrice du laboratoire Genre et ville, évoquant une « impunité/immunité » face au coronavirus chez des hommes pour lesquels « il est plus facile de jouer au chat et à la souris » dans ces espaces désertés.
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Chaque jour, depuis mi-mars, Daniella Corallo-Martin subit dans le métro regards et sourires insistants, devant répondre régulièrement par « des doigts d’honneur ». « J’ai forcément une interaction avec un mec pendant mon trajet », regrette-t-elle.
Évoquant elle aussi « une peur » qu’elle ressent « normalement la nuit », elle a adopté des réflexes : « Je fais attention aux gens qui me suivent, sur le quai du métro je me mets toujours à côté de quelqu’un, je monte jamais dans une rame quasi-vide et je ne mets pas de musique dans mes écouteurs. »
« C’est un décor très particulier, des zonards, des fous, des personnes qui sont normalement noyés dans le flot », affirme-t-elle.
Crainte d' »une vague de violences » au déconfinement
La secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa, qui a jugé utile de rappeler que le harcèlement de rue restait « évidemment interdit pendant le confinement », a dit jeudi craindre « une vague de violences sexuelles au déconfinement », pointant du doigt « le sentiment d’impunité des agresseurs conjugué au phénomène de décompensation ».
Afin « d’éclairer l’action publique » pour l’après, le secrétariat d’État a créé il y a un mois un groupe de réflexion composé d’experts, a-t-il fait savoir à l’AFP. Avocat, psychiatre, autrice, artiste, publicitaire, deux neuroscientifiques font notamment partie de la dizaine de personnalités qui devra préparer un rapport sur les mesures à prendre pour protéger les femmes après le 11 mai.