La proportion des Noirs emportés par l’épidémie dépasse de beaucoup leur part dans la population. En cause, des professions plus exposées et plus de précarité.
Les chiffres sont encore partiels, mais ils ne laissent guère de place au doute. Partout aux Etats-Unis où elle est connue, la proportion des Afro-Américains emportés par l’épidémie de Covid-19 dépasse de beaucoup leur part dans la population.
Cet écart est particulièrement frappant dans le comté de Milwaukee, dans le Wisconsin, où les Noirs représentent 70 % des décès alors qu’ils ne comptent que pour 26 % dans la population. Mais il est tout aussi élevé dans l’Illinois, à Chicago (67 % des décès pour seulement 32 % de la population), ou encore en Louisiane (70 % des décès pour 32 % de la population), selon les chiffres du Washington Post.
Les Centres de contrôle et de prévention des maladies ont publié, mercredi 8 avril, de premiers résultats nationaux qui confirment cette tendance. Les Afro-Américains représentent 33 % des hospitalisations liées à la pandémie alors qu’ils ne comptent que pour 13 % dans la population. Les chiffres sont respectivement de 45 % et de 64 % pour les Blancs.
Donald Trump s’en est alarmé lors de son briefing quotidien, mardi, notant « des impacts accrus » sur la communauté afro-américaine. « Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour relever ce défi, c’est un énorme défi, c’est terrible, pour fournir un soutien aux citoyens afro-américains de ce pays qui sont particulièrement touchés », a-t-il ajouté. « C’est disproportionné, ils sont très durement touchés », a-t-il insisté.
Accès moindre aux soins
Présent à ce briefing, le directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses, Anthony Fauci, devenu la figure médicale la plus respectée dans cette crise, selon un sondage publié mercredi par l’institut Morning Consult, a apporté des éléments de réponse. « Nous avons un problème particulièrement difficile d’exacerbation d’une disparité en matière de santé », a-t-il admis. « Nous savons, littéralement depuis toujours, que des maladies comme le diabète, l’hypertension, l’obésité et l’asthme affectent de manière disproportionnée les populations minoritaires, en particulier les Afro-Américains », a-t-il noté.
« Malheureusement, lorsque vous regardez les antécédents de santé qui conduisent à un mauvais résultat avec le coronavirus, ce qui mène les gens dans les unités de soins intensifs, ce qui nécessite une intubation et conduit souvent à la mort, ce ne sont que ces mêmes comorbidités, qui, malheureusement, sont disproportionnellement répandues dans la population afro-américaine », a-t-il expliqué. « Nous sommes donc très préoccupés par cela. C’est très triste. Il n’y a rien que nous puissions faire pour le moment, sauf pour essayer de leur prodiguer les meilleurs soins possible afin d’éviter ces complications », a conclu M. Fauci.
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Cette situation a été illustrée par Jerome Adams, l’administrateur de la santé publique (surgeon general) des Etats-Unis. « Je fais moi-même de l’hypertension. J’ai une maladie du cœur et j’ai déjà passé une semaine en réanimation à cause d’un problème cardiaque », a-t-il confié à la chaîne CBS. « Je fais de l’asthme et je suis prédiabétique. J’illustre ce que c’est de grandir pauvre et noir en Amérique », a ajouté ce proche du vice-président Mike Pence. La récurrence de ces antécédents s’explique par un moindre accès aux soins et par des taux élevés de personnes non assurées.
Pour une bonne partie de la communauté afro-américaine, ce passif sanitaire se double en outre d’une exposition plus élevée au Covid-19, parmi le personnel soignant ou les commerces considérés comme essentiels. La presse américaine a longuement raconté l’histoire d’un chauffeur de bus de Detroit (Michigan), Jason Hargrove. Ce dernier s’était indigné le 21 mars sur son compte Facebook du comportement d’une passagère qui avait toussé de manière répétée à bord de son véhicule sans prendre la moindre des précautions.
« Nous sommes ici au service du public, nous faisons notre travail, essayons de gagner notre vie honnêtement pour prendre soin de nos familles », avait-il déclaré, très amer. Dix jours plus tard, il était emporté par le virus. Le comté de Wayne, qui englobe Detroit, comptait alors 130 morts imputés au Covid-19. Ce bilan a été multiplié par plus de trois depuis, là encore avec une écrasante majorité d’Afro-Américains. Ils comptent pour 43 % des morts de l’Etat du Michigan liés au virus, pour seulement 14 % de la population.
La réalité est peut-être même encore plus sombre que ne le laissent entendre les chiffres disponibles, encore parcellaires. Les Etats pour l’instant les plus touchés, celui de Washington, la Californie, l’Etat de New York ou encore le New Jersey, ne publient pas, en effet, de statistiques prenant en compte le facteur racial.
Dans une tribune publiée le 8 avril par le New York Times, une représentante de l’American Medical Association, la plus importante association de médecins et d’étudiants en médecine des Etats-Unis, Aletha Maybank, a réclamé la publication de telles statistiques. Les sénatrices démocrates Elizabeth Warren (Massachusetts) et Kamala Harris (Californie) en ont fait de même, assurant qu’elles permettraient de mieux lutter contre la pandémie.
« Les catastrophes naturelles et les épidémies aggravent le fardeau des maladies dont souffrent certaines communautés », a indiqué Aletha Maybank, rappelant que pendant l’épidémie de grippe espagnole, en 1918, les politiques de discrimination (les lois Jim Crow) « signifiaient que les Noirs recevaient des soins inférieurs, quand ils en recevaient ».
« De nombreuses études empiriques confirment de grosses différences d’espérance de vie selon la race et l’origine ethnique, des écarts qui apparaissent aux niveaux national et local. A Chicago, par exemple, il existe un écart de neuf ans entre l’espérance de vie des résidents noirs et blancs, avec plus de 3 000 décès en excès parmi des Noirs chaque année », a-t-elle poursuivi. Le coronavirus pourrait creuser ce fossé.
Source : LeMonde.fr