— Par Pierre Alex Marie-Anne —
Soyons réalistes et ne perdons pas de vue que la politique, quelle soit sanitaire ou autre n’est jamais que l’art du possible, L’État s’est pris les pieds dans l’application du”pass sanitaire” en Outre-mer, notamment aux Antilles et singulièrement au CHU de la Martinique ; ce pass est une construction ambivalente à la fois obligation vaccinale et en même temps liberté de choix du mode de protection par le biais de tests de dépistage (PCR ou antigénique). ou encore d’attestation de non- positivité. On reconnaît là la marque distinctive du macronisme : une chose et son contraire. En réalité, comme chacun l’a compris, c’est le moyen astucieux inventé par nos gouvernants pour inciter fortement à la vaccination sans risquer d’encourir les foudres des gardiens de la Constitution et surtout sans s’exposer à un soulèvement général de la population qui pourrait leur être fatal. Reste que si la manœuvre a particulièrement bien fonctionné dans l’hexagone ( 85% de personnes vaccinées, bon gré mal gré, après l’allocution Présidentielle du 12 juillet 21), il n’en est pas de même en Outre-mer en particulier aux Antilles ; c’est que ces territoires traînent après eux l’héritage d’un lourd passé colonial dans les fers de l’esclavage, réactivé plus récemment par le scandale de la Chlordécone,resté à ce jour sans véritable solution, en dépit des espoirs qu’avait fait naître la reconnaissance par le Président Macron, de la responsabilité de l’État dans cette tragédie, lors de sa visite à la Martinique en date du 27 septembre 2018. Le détonateur de la crise actuelle sous nos
latitudes, est incontestablement l’apparition du variant Delta, plus pathogène, qui a conduit les responsables gouvernementaux à durcir le pass sanitaire en imposant (Loi du 6-8-21 sur la gestion de la crise sanitaire) aux personnels soignants et para-médicaux ainsi qu’à tous les professionnels susceptibles d’être en contact avec les malades du Covid, l’obligation de se faire vacciner, sous peine de lourdes sanctions, pécuniaires dans un premier temps. Cette décision a complètement changé la donne en révélant le vrai visage du pass sanitaire, celui d’une vaccination obligatoire déguisée. L’intersyndicale de la Santé,surfant sur un contexte historique potentiellement explosif, a saisi la balle au bond ; elle a brandi l’étendard de la défense des droits et de la liberté pour rallier à sa cause l’ensemble des organisations syndicales de l’île,sous le regard bienveillant sinon complice mais tout de même prudent, de ses principaux dirigeants politiques et associatifs.Désormais avec l’entrée en scène de la CSTM ( les règlements de comptes post-électoraux sont un plat qui, comme la vengeance, se mange froid !), il n’est plus question uniquement de problèmes sanitaires mais du malaise général que connaît le pays, tout y passe : outre le rappel des péchés originels du crime contre l’humanité et de l’empoisonnement par la Chloredecone, devenues incontournables, reviennent en force :la cherté de la vie avec l’envolée du prix du gaz et des carburants, le chômage des jeunes et la fuite des cerveaux,les réductions d’effectifs dans la fonction publique, menacée de privatisation, la maltraitance des personnes âgées, le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes et aux enfants, jusqu’à la traditionnelle Transat Jacques Vabre, devenue à son corps défendant, la principale convoyeuse de virus venus de “l’autre-bord “; bref, c’est l’occasion de cracher à la face de l’État français toute l’exécration qu’ils lui vouent et qui n’a d’égale que l’étendue de leurs exigences à son endroit ( toujours plus de droits, de prestations,d’allocations, de pensions, sans compter les privilèges dérogatoires et autres abattements fiscaux). C’est l’illustration du” mendiant arrogant” dénoncé par Césaire, dans toute sa splendeur !
Comme si cela ne suffisait pas, tout ce que la Martinique compte d’agitateurs et d’activistes de tout poil, spécialisés dans la pêche en eau trouble, conscient de l’opportunité exceptionnelle offerte par la pré-campagne Présidentielle, est entré dans la danse, faisant monter les enchères d’un cran à coup d’incendies, de barrages routiers et de tirs contre les forces de l’ordre à balles réelles . Face à une telle situation que peut faire le gouvernement? Surtout ne pas tomber, les deux pieds joints, dans le piège qui lui est tendu par les manifestants, en s’employant impérativement à dissocier le traitement des problèmes soulevés. En tout premier lieu et c’est un préalable absolu, il faut rétablir l’ordre; sans aucune complaisance à l’égard des émeutiers et des fauteurs de troubles de tout acabit. Ensuite, la question de l’application du pass sanitaire doit recevoir une réponse intelligente adaptée aux spécificités du territoire. Comment ? En revenant à la lettre et à l’esprit optionnel du pass sanitaire qui réalisait un équilibre entre l’ardente nécessité de la vaccination – souhaitable à tous égards – et le respect de la liberté individuelle de chacun de se protéger et de protéger les autres grâce à des tests de dépistage, associés aux gestes-barrières. Il faut “laisser le temps au temps” en permettant à ceux qui sont encore réticents vis-à-vis de la vaccination de s’acquitter temporairement de leur obligation légale par la présentation, strictement contrôlée, de tests négatifs à jour.
Cette démarche de bon sens et de souplesse est cohérente avec les affirmations des milieux scientifiques et des autorités de santé publiques qui ont unanimement reconnu que si les vertus de la vaccination sont incontestables pour prémunir contre les formes graves de la maladie virale, elle n’empêche nullement les contaminations entre personnes vaccinées et non vaccinées; En clair, les tests de dépistage et les mesures -barrières (port du masque, lavage des mains et distanciation) sont tout aussi efficaces pour limiter les contaminations. En définitive, rien ne devrait s’opposer à ce que le droit d’option, inscrit initialement dans le pass sanitaire, soit reconnu aux personnels concernés et que les sanctions qui leur sont appliquées soient levées. L’annonce de cette mesure d’apaisement ne pourra pas être rejetée par les manifestants sauf à avouer des arrière-pensées, sans aucun rapport avec la préservation de la santé de leurs concitoyens ;de même les syndicats ne pourront renier ce qu’ils n’ont cessé de revendiquer publiquement comme un droit, sans afficher face à l’opinion leur totale mauvaise foi. C’est sur cette base consensuelle que pourront être examinées les autres questions de la plateforme de revendications de l’intersyndicale qui nécessiteront la fixation d’un calendrier et des engagements chiffrés. En gage de bonne volonté, l’extension du gel du prix du gaz à nos territoires s’impose d’emblée, tout comme un geste fort sur le dossier Chlordécone.
Depuis que la médiation s’est terminée en eau de boudin, il n’y a pas d’autre alternative sauf à s’acheminer vers un affrontement sanglant où il n’y aura que des perdants; ne pas savoir prendre une décision quand on est dans l’incapacité d’assurer l’ordre public est la marque d’une inaptitude à gouverner. Parallèlement, il faut sortir de la gestion technocratique de la crise qui a prévalu jusqu’ici pour rendre aux acteurs de terrain le rôle de premier plan que leur confère leur proximité avec la population. Le corps médical dans toutes ses composantes doit être pleinement mobilisé pour assurer la mission capitale d’information et de prévention sur le Covid 19, ils sont les seuls à même de faire passer les bons messages (loin de la désinformation et de l’obscurantisme propagés sur les réseaux sociaux) auprès de leur patientèle qu’ils côtoient personnellement. C’est ainsi que progressivement on parviendra à étendre la vaccination à tous et c’est à ce prix que la Martinique pourra espérer retrouver sa sérénité et la concorde fraternelle parmi ses habitants.
Pierre Alex MARIE-ANNE