Un couvre-feu a été instauré à partir du mercredi 18 septembre dans plusieurs quartiers de Fort-de-France et du Lamentin, en Martinique, à la suite de plusieurs nuits de violences urbaines. Ces troubles sont survenus dans le cadre d’un mouvement de contestation contre la vie chère, qui paralyse l’île depuis début septembre. Le préfet de Martinique, Jean-Christophe Bouvier, a pris la décision d’imposer cette mesure exceptionnelle afin de restaurer l’ordre et de protéger les habitants. Le couvre-feu est en vigueur de 21h à 5h du matin et se poursuivra jusqu’au lundi 23 septembre 2024, avec la possibilité d’être prolongé si la situation ne s’améliore pas.
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Les communes de Fort-de-France et du Lamentin sont particulièrement touchées par les violences, et certains quartiers, comme celui de Sainte-Thérèse, sont exemptés du couvre-feu pour éviter de doubler la pénalisation de leurs résidents, déjà affectés par les troubles. Les déplacements nocturnes y sont interdits, sauf pour les personnes assurant des missions de service public, celles nécessitant des soins médicaux, ainsi que pour les professionnels devant se rendre à leur travail, à condition de pouvoir justifier de leurs déplacements. En cas de non-respect de cette interdiction, les contrevenants s’exposent à une amende prévue pour les contraventions de 4ème classe.
Cette décision fait suite à une montée des tensions et des violences qui ont éclaté à Fort-de-France et dans d’autres zones urbaines de l’île. Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 septembre, des actes de vandalisme ont été recensés, notamment l’incendie d’un restaurant McDonald’s dans le quartier de Dillon et la tentative d’incendie d’un hypermarché Carrefour, également situé dans ce secteur. Environ cinquante personnes ont pris d’assaut le parking de l’hypermarché, dressant des barricades avant de tenter de mettre le feu au bâtiment. Les forces de l’ordre sont rapidement intervenues, dispersant les assaillants. L’un des émeutiers, blessé après avoir chuté en scooter en tentant de s’échapper, a été interpellé.
La préfecture a rapporté que ces événements se sont inscrits dans un mouvement de protestation contre la vie chère, qui frappe durement la population martiniquaise. D’après une étude réalisée par l’Insee en 2022, les prix alimentaires en Martinique sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, exacerbant les inégalités et la précarité sur cette île de 350 000 habitants. Ce différentiel de prix est devenu un des principaux moteurs de la mobilisation sociale, les manifestants réclamant un alignement des prix avec ceux pratiqués dans l’Hexagone.
Rodrigue Petitot, leader du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), a exprimé son indignation face à la situation. « Nous sommes Français, nous avons les mêmes cartes d’identité, les mêmes taxes, les mêmes amendes. Nous ne comprenons pas pourquoi, sur l’alimentaire en particulier, nous ne pourrions pas avoir les mêmes prix que dans l’Hexagone », a-t-il déclaré, soulignant que cette disparité est d’autant plus incompréhensible et inacceptable pour les habitants.
Face à cette pression sociale, des négociations avaient été entamées dès le 1ᵉʳ juillet entre les autorités, les grandes enseignes de distribution et les représentants des mouvements citoyens. Cependant, ces discussions n’ont pas permis de trouver un compromis jusqu’à présent. La table ronde organisée en préfecture le 12 septembre a tourné court, les représentants du RPPRAC quittant la réunion après seulement quelques minutes en raison du refus des autorités de retransmettre les échanges en direct sur les réseaux sociaux, ce qui a encore accentué la méfiance des manifestants.
Dans un contexte de tensions croissantes, les violences ont pris une tournure préoccupante. Depuis le début des troubles début septembre, pas moins de 44 véhicules ont été incendiés et 35 commerces ont été attaqués. Les autorités ont procédé à 15 interpellations, et 11 policiers ont été blessés lors d’affrontements avec les émeutiers, certains par des tirs d’armes à feu. Parmi les émeutiers, trois personnes ont été blessées, dont une par balle. Une enquête a été ouverte par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour éclaircir les circonstances entourant les blessures par balle, notamment celles d’un homme hospitalisé après avoir été atteint lors des affrontements avec les forces de l’ordre.
Pour rétablir l’ordre, des renforts importants en provenance de Guyane et de Guadeloupe ont été déployés sur l’île, incluant un escadron de gendarmerie composé d’une centaine de militaires. Les forces de sécurité ont intensifié leur présence sur les principaux axes routiers et les ronds-points stratégiques, afin de prévenir de nouveaux actes de vandalisme et d’interpeller les individus impliqués dans les troubles. Le préfet Jean-Christophe Bouvier a donné pour instruction de faire preuve de discernement, afin de distinguer les travailleurs circulant durant les heures de couvre-feu des émeutiers. Malgré cette situation tendue, la préfecture appelle à une solution pacifique et met en garde contre la « stratégie du chaos » qui, selon elle, ne pourrait mener à « aucune issue positive ».
Par ailleurs, le Grand port maritime de Martinique, qui est un point névralgique pour l’économie locale – 98 % des marchandises transitant par ce port –, est lui aussi devenu une cible du mouvement de contestation. Ce blocage du port fait craindre une aggravation des difficultés d’approvisionnement pour l’île, déjà fortement impactée par la flambée des prix et les perturbations liées aux grèves.
Face à ces enjeux économiques et sociaux, le gouvernement et les autorités locales tentent de trouver une solution à la crise, avec l’objectif de réduire de 20 % en moyenne le prix de 2 500 produits de première nécessité. La Collectivité territoriale de Martinique, de son côté, a pris position en faveur d’une suppression partielle des taxes spécifiques aux départements d’outre-mer, telles que l’octroi de mer, sur certains produits importés, dans le but d’alléger le coût de la vie pour les Martiniquais.
M’A
Réactions politiques aux émeutes de Fort-de-France : appels au dialogue et au calme
Face aux récentes émeutes et violences à Fort-de-France, plusieurs figures politiques de la Martinique ont réagi pour tenter d’apaiser la situation. Ces violences, survenues dans le cadre d’une mobilisation contre la vie chère, ont suscité des réponses fermes, mais aussi des appels au dialogue et à la responsabilité collective. Voici un tour d’horizon des principales réactions politiques à cette crise.
Didier Laguerre : « Construire une solution martiniquaise »
Le maire de Fort-de-France, Didier Laguerre, a réaffirmé sa condamnation de toute forme de violence, qu’il juge contre-productive pour résoudre les problèmes de fond. Selon lui, la violence, bien qu’alimentée par une profonde frustration liée à la vie chère, ne peut être un moyen légitime pour faire évoluer la situation.
Il a insisté sur la nécessité de trouver des solutions locales pour résoudre ces problématiques :
« Dans l’intérêt supérieur du peuple martiniquais, on doit pouvoir construire ensemble une solution martiniquaise pour régler le problème de la vie chère. »
Didier Laguerre a également mis en lumière les souffrances des citoyens, pris en otage par ces actes de vandalisme, et les conséquences directes que cela peut avoir sur leur vie quotidienne, notamment en ce qui concerne les véhicules détruits, essentiels à leur mobilité et à leur accès aux services de base. Pour lui, l’urgence est de rétablir le calme et d’assurer un retour à la normale pour les habitants.
Francis Carole : « Une révolte complexe aux multiples visages »
Francis Carole, ancien conseiller général et municipal, voit dans ces violences un mélange complexe de révoltes sociales et d’opportunisme criminel. Il distingue plusieurs profils parmi les émeutiers :
« Il y a là un mélange de révolte d’une jeunesse par rapport au système en place, de révolte de jeunes par rapport à la situation qu’ils vivent et des personnes qui sont peut-être liées à une certaine pègre. »
Pour Carole, les jeunes sont les plus touchés par la situation économique et sociale en Martinique, mais ces violences expriment aussi la montée d’un climat de tension plus large, où la criminalité s’installe. Il appelle à une réponse globale, à la fois politique, économique, sociale et éducative, afin d’éviter que la Martinique ne devienne davantage une plaque tournante pour le trafic de drogue entre l’Amérique du Sud et l’Europe.
Béatrice Bellay et Jiovanny William : « Redescendre la pression »
Les députés Béatrice Bellay et Jiovanny William ont rapidement publié un communiqué commun pour condamner les violences tout en reconnaissant la légitimité des revendications. Selon eux, ces violences nuisent aux débats constructifs sur la vie chère, un sujet central des tensions actuelles.
Ils se sont montrés favorables à la retransmission publique des discussions, une demande émise par plusieurs groupes de contestation, dont le RPPRAC :
« Nous n’émettons aucune objection à ce que ces échanges soient filmés et diffusés à nos compatriotes qui attendent désormais de la transparence. »
Péyi-A : « Trois propositions pour sortir de la crise »
Les co-présidents du parti Péyi-A, Marcellin Nadeau et Jean-Philippe Nilor, ont exprimé leur soutien aux revendications contre la pwofitasyon et la vie chère, tout en demandant le retour au calme. Ils ont formulé trois propositions pour permettre un apaisement durable :
- Retransmission des débats publics : Péyi-A soutient la demande d’une diffusion des discussions liées aux tables rondes organisées par les autorités.
- Élargissement des discussions : Le parti appelle à inclure les syndicats et les forces sociales dans les débats en cours pour garantir une représentation plus large des intérêts martiniquais.
- Réduction des marges des distributeurs : Péyi-A demande aux acteurs de la grande distribution d’accepter une baisse significative de leurs marges pour répondre plus efficacement aux problèmes de vie chère.
Les Sénateurs : « Un appel à la responsabilité »
Frédéric Buval, sénateur de la Martinique, a pris la parole pour appeler au calme et à la responsabilité. Bien qu’il reconnaisse la légitimité de la lutte contre la vie chère, il insiste sur l’importance du dialogue dans un climat apaisé :
« Il nous faut nous accorder le temps nécessaire à la discussion dans un climat apaisé. Les violences quotidiennes ne contribuent pas à la sérénité nécessaire à la poursuite de travaux compliqués. »
Il rejoint Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), en appelant l’État à prendre ses responsabilités pour répondre aux revendications des citoyens martiniquais.
Catherine Conconne, autre sénatrice de l’île, a, quant à elle, exprimé sa solidarité avec les forces de l’ordre, appelant à un diagnostic approfondi des causes des violences. Elle a rappelé que la violence ne doit pas être tolérée et a souligné la nécessité de restaurer l’ordre tout en offrant des solutions à la crise sociale.
Face à ces réactions politiques variées, la situation en Martinique reste incertaine, avec une forte attente de la population pour des réponses concrètes aux défis économiques et sociaux. Les appels au calme et au dialogue se multiplient, tandis que la pression sur les autorités locales et nationales pour agir augmente.