— Par Selim Lander —
Courtes Lignes est de retour en Martinique, comme chaque année à la même époque. Régulièrement invitée dans le cadre du festival du théâtre amateur, cette compagnie guadeloupéenne remplit régulièrement le Théâtre municipal pendant cinq représentations, une performance qu’aucune des autres compagnies amateurs se produisant pendant le festival ne saurait – jusqu’à preuve du contraire – reproduire. Ce succès a évidemment son explication : une notoriété qui s’est bâtie au fil des années et ne cesse – visiblement – de croître ; la qualité de l’interprétation, parfois excellente et toujours au moins honnête, alors qu’elle peut être catastrophique chez certaines autres troupes ; enfin un répertoire, celui du théâtre de boulevard, à peu près complètement délaissé en Martinique. Or, s’il faut en croire la fréquentation des théâtres parisiens privés (ceux qui sont capables de gagner assez d’argent pour rémunérer correctement les auteurs, comédiens, techniciens, etc. sans faire appel à des subventions), le vrai théâtre populaire (celui qui correspond aux attentes des amateurs), c’est peut-être celui-là. Evidemment cela se discute, car ces amateurs-là ne sont pas le peuple au sens restrictif, celui par exemple de la formule senatus populusque romanus ou de La Bruyère (« il y a le peuple qui est opposé aux grands, c’est la populace et la multitude »).
Mais laissons là cette querelle et venons-en à ce Diable d’homme, la pièce inscrite cette année au répertoire de Courtes Lignes. C’est de et du Robert Lamoureux. Comme l’indique le titre, il y a du diable dans l’air, et même sur la terre. L’histoire ne se raconte pas, mais qu’on se rassure, grâce une intervention d’en haut tout aussi miraculeuse que celle d’en bas, personne n’ira rôtir en enfer. Comme cela se passe dans une agence de secrétariat intérimaire, la tentation concernera principalement des personnes féminines. Elles sont cinq en comptant la directrice de l’agence. Interviennent également quatre messieurs : Satan, l’un de ses acolytes, un client de l’agence et enfin un écrivain qui a entrepris d’écrire un roman sur l’agence et qui accepte de signer un pacte diabolique. Le diable s’incarne, ce qui fait donc au total cinq personnages masculins et dix personnages en tout.
La tâche n’est donc pas si facile pour le meneur de la troupe, Claude-Georges Grimonprez, qui endosse par ailleurs les rôles de Satan et du bourgeois dont il prend l’apparence lorsqu’il visite l’agence. On le connaît cependant suffisamment désormais pour se douter qu’il n’aura lui-même aucune difficulté avec ses deux personnages. Et qu’il en sera de même pour Anne-Marie Clerc qui s’est chargée, elle, du rôle à transformation de « Gilberte Soindon » (le nom est déjà tout un programme » !), d’abord cruche intégrale et d’une laideur à faire peur, puis femme rayonnante et maîtresse d’elle-même. Quant aux autres interprètes, David Couchet (que nous connaissons bien également) n’a évidemment aucun mal avec le rôle d’ailleurs assez peu important de l’auteur. Le reste de la distribution est inégal. L’élocution des comédiennes les moins aguerries n’est pas toujours parfaite et elles manquent parfois de naturel, à moins qu’elles n’aient tendance à en faire trop (ce qui, au demeurant, ne déplaît pas nécessairement au public). Un bémol plus grave : la comédienne qui interprète la directrice de l’agence se fait difficilement comprendre par les spectateurs.
Le dispositif scénique est simple et efficace. L’éclairage se déplace en fonction des scènes : au centre, l’agence délimitée par deux cloisons en angle ; à jardin, l’écrivain à sa table ; à cour, les appartements de ces dames ou demoiselles matérialisés par un lit ou un sofa. Deux accessoire indispensables : le téléphone et le portrait d’une sainte, laquelle se trouve être l’arrière-arrière tante de la directrice.
À l’année prochaine, Courtes Lignes.
Diable d’homme au Théâtre municipal de Fort-de-France. Du 27 au 29 mai 2015 à 19h30 ; le 30 à 15h30 et 20h.