Par Selim Lander
Décourageant.e.s ces sacré.e.s Courtes Lignes. Pour ceux qui l’ignoreraient encore – mais qui en Martinique le pourrait, tant leur renommée y est avérée après des années de tournées triomphales ? – les Courtes Lignes sont des comédiens guadeloupéens spécialistes du Boulevard dans ce qu’il a de meilleur, celui qui fuit la vulgarité et fait rire sans oublier d’émouvoir. Décourageants pour le critique qui ne peut que rendre une fois de plus hommage au talent de cette troupe, celui qu’elle montre en l’occurrence dans le Jardin d’Alphonse de Didier Caron, un huis clos familial (même s’il se passe dans le plein-air d’un jardin) seulement troublé par un couple d’amis « hauts en couleur » (comme dit justement le programme). De cette famille, on ne verra pas l’Alphonse du titre, il en est le grand-père que l’on vient d’enterrer. Il sera donc question d’héritage mais seulement en passant. On s’intéresse plutôt aux secrets de famille, lesquels, comme il se doit au théâtre, finiront par être dévoilés. Pourquoi cette rumeur faisant d’Alphonse un accapareur des biens des juifs sous l’Occupation ? Pourquoi Magali, la petite-fille d’Alphonse est-elle ainsi sur les nerfs et semble tellement en vouloir à Jean-Claude, son père (et fils d’Alphonse) et pourquoi son frère Serge est-il lui aussi sur les nerfs au point de se montrer grossier ? Quelle relation la belle (et aguicheuse) Nadège entretient-elle avec Serge et Fabien (le deuxième frère) ? Y a-t-il « quelque chose » entre Michelle, la femme de Jean-Claude et l’ami de ce dernier, Daniel. Et pourquoi ce Daniel éclate-t-il à un moment contre son épouse Suzanne, est-ce à cause simplement de son bavardage ou y a-t-il une autre explication et laquelle ? Rien de cela n’est clair à l’exception, et encore !, du couple formé par Magali et sa compagne Zoé, laquelle est pourtant perdue d’ésotérisme.
Chemin faisant, tous les personnages ont été nommés. Ils sont donc neuf, neuf qui s’égratignent gentiment pour notre bonheur. Les bons mots fusent, comme il est de règle dans un tel théâtre. Selon son habitude, la troupe emmenée par Claude-Georges Grimonprez mêle les débutants issus de l’école de théâtre et les comédiens confirmés, à commencer par Anne-Marie Clerc qui tient le rôle d’une femme juive pied-noir avec tout le bagout (et l’accent) qui conviennent à son personnage (la terreur politiquement correcte n’a pas encore sévi à propos des juifs pieds-noirs !). Si les autres comédiens ne sont pas tous à un niveau aussi élevé, ils font tous troupe. Les comédiens aguerris – Fabien Minatchy (dans le rôle de Serge, le mauvais coucheur), David Couchet (Jean-Claude) et naturellement Cl.-G. Grimonprez (Daniel) – font le job. Les comédiens moins expérimentés ne déméritent pas même si l’on remarque davantage le beau talent comique de Ruth-Marie Jean (Zoé) et la présence troublante de Geneviève Abancourt (Nadège).
Courtes Lignes est aussi renommée par le soin apporté au décor. C’est à nouveau le cas ici avec la très agréable évocation d’un jardin fleuri.
PS/ Deux incidents regrettables ont émaillé la première en Martinique, mercredi soir. D’abord l’explosion d’un projecteur (faute d’entretien ?), avec dégagement d’une fumée toxique qui a entraîné l’interruption du spectacle et l’évacuation partielle de la salle pendant un bon moment. Plus grave encore, les sacoches contenant les papiers, etc. de deux comédiens ont disparu des coulisses pendant la représentation. Ces dernières sont en effet accessibles à toutes les personnes mal intentionnées. Il est urgent de les sécuriser.
Le Jardin d’Alphonse de Didier Caron, M.E.S. Claude-Georges Grimonprez , Festival amateur de Fort-de-France, théâtre municipal, du 15 au 18 mai à 19h30 (matinée supplémentaire samedi 18 à 15h30).