Si les débats font rage sur la meilleure façon d’enrayer la propagation du virus quand les déplacements seront à nouveau autorisés, il paraît impossible d’échapper à un rebond des contaminations.
A moins de deux semaines du 11 mai, de nombreux Français trépignent à l’idée de sortir de leur long confinement et de connaître les modalités de leur liberté de déplacement bientôt retrouvée. La crainte du coronavirus n’a pas disparu pour autant et la perspective du déconfinement fait naître de nouvelles craintes : comment se protéger du virus quand les écoles auront rouvert et que les habitants des villes devront reprendre les transports en commun ? Risque-t-on de relancer l’épidémie après tant d’efforts pour l’enrayer ?
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Si la réponse à cette dernière question dépendra des mesures mises en place après le 11 mai, et du plan présenté par le gouvernement mardi 28 avril, une chose est sûre : la deuxième vague de contaminations pourra être plus ou moins forte que la première, mais elle aura forcément lieu. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce que le confinement est efficace
Si le nombre de contaminations repart à la hausse après le 11 mai, ce sera tout d’abord, paradoxalement, une preuve de l’efficacité du confinement de près de deux mois qui viendra de s’achever. Une étude de l’Institut Pasteur (en anglais), publiée le 21 avril, concluait que la restriction des déplacements avait eu « un impact conséquent sur la transmission » du virus, la réduisant de 84%. Le nombre moyen de personnes infectées par un malade (le fameux R0) « est passé de 3,3 à 0,5 pendant le confinement », pointent également les chercheurs dans un communiqué.
Le revers de la médaille est évident : lever ces mesures et revenir à la situation précédant le confinement (ce qui, bien sûr, n’est pas le plan) ferait forcément repartir ces indicateurs à la hausse. Dans son avis le plus récent, daté du 20 avril, le Conseil scientifique prévient ainsi qu’un « relâchement trop soudain des mesures de contrôle pourrait se traduire par une remontée rapide du nombre de cas et par un retour des formes graves en hospitalisation et en réanimation ».
Parce que toutes les modélisations de l’épidémie s’accordent là-dessus
Plusieurs études qui visent à modéliser la propagation de l’épidémie jusqu’ici, mais aussi dans le futur, le confirment. « Eviter la ‘deuxième vague’ de l’épidémie suppose de déployer des mesures de dépistage de grande ampleur », écrit ainsi l’Inserm dans son résumé des conclusions d’une étude publiée le 12 avril, comparant l’efficacité de différentes stratégies de déconfinement. Si l’institution présente cette vague comme évitable, tout dépend en réalité de ce que l’on considère comme une « deuxième vague ». Si l’on parle d’un retour du nombre de contaminations au niveau d’avant le confinement, ou au-delà, alors oui, cela peut être évité, selon l’étude qui a modélisé 30 scénarios, intégrant des mesures plus ou moins strictes. Le fait que les contaminations repartent à la hausse est en revanche présenté comme inévitable.
C’est également ce qui ressort de l’étude de l’Institut Pasteur, qui repose également sur une modélisation de l’épidémie. « Il est clair que si toutes les mesures de contrôle sont relâchées au 11 mai, on s’attend vraiment à ce qu’il y ait une reprise épidémique et une crise sanitaire de la même nature que celle qu’on a vécue », résumait un de ses auteurs, Simon Cauchemez, sur BFMTV le 21 avril. Samuel Alizon, chercheur au CNRS, décrivait la même logique à Mediapart, au début du mois : « Nos premiers travaux, selon un modèle très simplifié, montrent qu’une stratégie d’endiguement appliquée pendant un mois, réduisant le R0 de 90 %, provoquerait certes un déclin sur le moment de l’épidémie, mais serait suivie d’un rebond après la levée du contrôle ».
C’est aussi l’avis d’équipes étrangères, cette logique ne s’appliquant pas qu’à la France. Dans une étude publiée le 14 avril par la revue Science, des chercheurs américains de Harvard écrivent ainsi que le scénario d’une épidémie « brève et intense » est de plus en plus « improbable », et estiment que des vagues récurrentes de contamination, en particulier en hiver, pourraient nécessiter de pratiquer la distanciation sociale par intermittence jusqu’en 2022, tant qu’un traitement ou un vaccin n’aura pas été trouvé. Une étude (en anglais) de l’Imperial College de Londres, le 16 mars, expliquait même que les mesures prises contre la transmission du virus contribuaient à réduire l’acquisition d’une immunité collective, « ce qui amène la possibilité qu’une seconde vague d’infections soit observée » une fois ces mesures levées.
Parce que nous sommes loin de l’immunité collective
Trois facteurs pourraient conduire à une extinction de l’épidémie de coronavirus : la découverte d’un traitement et la mise au point d’un vaccin, qui ne semblent pas envisageables dans les semaines à venir, mais aussi la construction d’une immunité collective au virus. Si une part suffisamment importante de la population était infectée et développait des anticorps protecteurs, la progression du virus serait stoppée. Outre les nombreuses zones d’ombre qui subsistent sur la nature et la durée de l’immunité qu’il est possible d’acquérir, les études montrent que le Covid-19 est loin d’avoir touché suffisamment de personnes en France.
« Lever le confinement sans stratégie de sortie conduira inévitablement à un effet de rebond important, car on estime que l’immunité de la population est encore très faible », expliquait ainsi l’Inserm le 12 avril. L’Institut Pasteur fournit une estimation plus précise et récente de l’état de cette immunité : « près de 6% des Français devraient avoir été infectés par le SARS-CoV-2 » d’ici au 11 mai, « avec une proportion plus importante en Ile-de-France (12,3%) et dans le Grand Est (11,8%) ». « Ce niveau d’immunité est donc très inférieur au niveau nécessaire pour éviter une seconde vague si toutes les mesures de contrôle devaient être levées », préviennent les chercheurs, qui estiment qu’il faudrait que 70% de la population ait été touchée.
Parce que les mesures ne peuvent jouer que sur la hauteur de cette vague
Toutes ces conclusions ne signifient pas que les mesures du plan de déconfinement français n’auront aucune efficacité. Les scientifiques s’accordent sur le fait qu’elles n’élimineront pas totalement les contaminations (qui n’ont d’ailleurs pas disparu pendant le confinement), mais elles modifieront la hauteur, la date d’arrivée et la durée de la « deuxième vague ».
Ainsi, les chercheurs de l’Inserm estiment ainsi que « des mesures prolongées d’intensité modérée voire forte pourraient repousser le [deuxième] pic d’au moins un mois et demi » et le réduire « de plus de 80% », comparé à une sortie du confinement sans aucune mesure, mais « ne pourraient pas empêcher que les capacités des unités de soins intensifs soient dépassées ». Pour éviter que le système de santé soit submergé, il faudrait coupler les mesures de distanciation sociale « avec une stratégie des tests agressive, pour identifier rapidement les individus contagieux et les isoler ».
Difficile de savoir à l’avance si la France parviendra à mettre en place des tests avec l’efficacité jugée nécessaire par l’Inserm. En outre, s’ils sont pratiqués plus largement, ces tests joueront sur l’impression d’une deuxième vague, puisque le nombre de contaminations détectées sera plus important. De nombreuses zones d’ombre persistent par ailleurs sur le virus lui-même, notamment le rôle des saisons dans sa propagation. Les facteurs qui détermineront l’ampleur de la deuxième vague sont si nombreux qu’ils n’ont pas tous été testés. L’équipe de l’Inserm tablait ainsi quoi qu’il arrive « sur le maintien de la fermeture des écoles », qui vont finalement rouvrir. Et n’a pas non plus testé l’hypothèse de la généralisation du port du masque dans l’espace public.
Source : Franceinfo.fr