— Par Marcel Luccin —
Le coronavirus focalise l’attention parce qu’il tue, bouleverse les habitudes, fragilise les convictions, met à mal le système économique, menace nos organismes, remet en cause les vérités établies. En effet, il s’agit bien d’un événement majeur qui génère de multiples interrogations mais entre autre, révèle le rôle salvateur de l’État-providence. Quant au confinement dont la durée est à la fois proche et lointaine, c’est probablement l’occasion de se libérer de l’emprise de la rentabilité à tout prix et des planifications souvent hasardeuses. En outre, le coronavirus en tant que révélateur primordial met en évidence l’augmentation de la consommation d’un surplus d’informations à la fois vraies et contradictoires, sans oublier les réseaux sociaux qui multiplient les sources de confidences et propagent des prophéties en tout genre.
Quoi qu’il en soit, cette épidémie offre à ceux qui le veulent l’occasion de sortir de leurs bulles sécurisées et de rompre avec les pièges de la routine devenue aliénante. C’est à l’évidence une discontinuité profitable aux analyses approfondies, à l’adoption d’un nouvel état d’esprit et à l’avènement de relations interpersonnelles plus apaisées. Pour l’heure, il est encore difficile de mesurer l’ampleur des conséquences positives ou négatives qui surgiront à la fois du covid-19 et du confinement. Ce qui est éclatant, c’est que dans ce contexte de dénuement on redécouvre l’importance de l’action collective, l’utilité des prescriptions à distance ou les vertus des remèdes « razyé » autochtones.
Au cœur de cette actualité, les ultramarins se sentent de moins en moins éloignés des divergences, des recommandations hexagonales. Ils s’appliquent à y voir plus clair et à apporter leurs contributions. D’une zone géographique à l’autre, les émotions, les réactions se confondent. L’abondance d’informations au quotidien impose une autre visibilité de la mort par exemple et interpelle quant à la fragilité humaine. Il est probable que cette conversion de l’imaginaire suggère un clin d’œil pour ceux qui par la force des choses sont inhumés dans la plus stricte intimité et pour ceux qui n’ont ni tombe ni sépulture.
Prendre en compte ce que révèle cette éprouvante épidémie, c’est l’inscrire dans le temps et dans l’histoire. Nul ne peut se vanter d’être immunisé, ni d’être à l’abri des secousses. Selon l’anthropologue Emily Martin « l’immunité est collectivement construite à travers des critères sociaux et politiques qui produisent alternativement souveraineté ou exclusion, protection ou stigmatisation, vie ou mort ».
A l’époque de la photographie argentique, le révélateur chimique permettait de voir clairement ce que le « négatif » la pellicule ne permettait de voir à l’œil nu, en tout cas, pas distinctement. Présentement, il est question d’un virus qui sans crier gare met à la vue de tout un chacun, les déficiences et les excès du monde des vivants. Du coup, dans un embarras audible des expressions individuelles, collectives, publiques et privées se libèrent. Certaines voix majeures expliquent par exemple, que la prière a la capacité d’immuniser contre le Covid-19. D’autres mettent en garde contre une éventuelle résurgence des superstitions ancestrales qui pourraient favoriser la propagation du virus.
Il apparaît que le développement humain est marqué par une succession d’épidémies et qu’à chaque fois, il y a résistance pour ne pas disparaître. Nos sociétés ultramarines mêlées ont en héritage un mélange de cultures religieuses, de superstitions et de fétichismes qui sont autant de particularités qui confortent l’idée d’une résurgence possible. Certes, le covid-19 peut mettre la foi à l’épreuve si l’on considère que selon le psaume 113 : 6 « L’Éternel regarde du haut des cieux, Il voit tous les fils de l’homme ». Néanmoins, on ne peut pas faire l’économie d’une analyse raisonnable, pour ne pas dire sage des péripéties variées qui tombent sur le genre humain. Faute de pouvoir anticiper, il semble convenable de suivre l’évolution de cette pandémie avec sérénité et d’observer de préférence les stratégies sanitaires préconisées par les autorités compétentes.
En observant autant localement que mondialement, le covid-19 semble réanimer simultanément des chaînes de solidarité et révéler les insuffisances, les faiblesses de nos sociétés. Dans ce contexte, l’instinct de survie indique que l’on ne peut plus être blasé et accepter humblement ce qui advient en s’enfermant dans des cercles douillets. Nos grands parents, dépouillés étaient-ils, conscients de leur impuissance face aux évènements disaient : « c’est l’apocalypse ». Exemple : l’éruption de la montagne Pelée en 1902 était forcément un châtiment venu du ciel. Quand le désarroi entretient cette forme de représentation, pour certains la bible devient une référence. Apocalypse 6 : 8: « Je regardai, et voici, parut un cheval d’une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l’accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l’épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre ».
Si pendant longtemps le vide a habité l’imaginaire de la majorité de nos aïeux qui pourtant avaient des convictions, en ce troisième millénaire c’est le covid-19 qui provoque clairement l’évolution de la pensée contemporaine. Loin de penser à la fin du monde, la génération montante cherche davantage à prendre soin d’elle-même, des proches et pense à l’après-confinement. Accrochés sommes-nous à la réalité terrestre, en majorité nous pensons et parlons des mêmes choses et disons comme Gilbert Bécaud: « Et maintenant que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie ».
Dans tous les cas de figure il semble difficile de dégager la responsabilité humaine dans la production des cataclysmes qui modifient à la fois l’équilibre de l’écosystème et contrarient le développement harmonieux de notre humanité. En un temps record, des puissances robustes sont devenues l’épicentre de la pandémie. Simultanément, des milliers de migrants, hommes femmes et enfants font de la Méditerranée l’un des plus grands cimetières d’Europe. Des navires humanitaires sont immobilisés en pleine mer pour cause de Coronavirus ou de guerres. Pourtant, le droit maritime international comporte des obligations en matière des droits de l’homme pendant l’urgence Covid-19. Sans oublier la zone caraïbe, ancien théâtre de lutte pour la dignité humaine où des populations sombrent dans le chaos.
Paradoxalement, c’est au tour de l’ONG Oxfam (organisation britannique) de rappeler que nous vivons tous dans le même monde. Cet ONG comme d’autres organisations internationales d’ailleurs estime que l’épidémie Coronavirus pourrait précipiter un demi milliard de personnes dans l’extrême pauvreté. S’agit-il d’une simple réflexion ou d’un reflet ? Car, la plupart des annonces sont encombrées de chiffres comme pour quantifier ou légitimer les prévisions. Toujours est-il, que le covid-19 déclenche d’intenses élans de solidarité mais aussi des controverses. Des discriminations somnolentes refont surface, manière d’indiquer qu’il ne faut pas se cantonner dans le volet strictement sanitaire.
Persister à attirer l’attention sur nos sociétés ultramarines peut paraître téméraire. Peu importe l’impact de cette analyse, le Covid-19 révèle tout de même, avec gravité, combien l’introspection est nécessaire. Dans cette concordance d’idée il n’est pas inutile de rappeler que les ultramarins sont globalement les produits d’un assemblage pluriethnique réalisé sur fond du non estime de soi. Preuve que les actions émancipatrices existent mais pas nécessairement aux bons endroits. Aujourd’hui, la démocratie prouve que chaque individu a vocation à faire valoir ses aptitudes, à défendre ses choix, dans la perspective d’une existence plus équilibrée. A priori, le Covid-19 ne transmet aucune compétence particulière mais semble insuffler la modestie et suggère de modifier le regard que l’on se porte réciproquement. Pas besoin d’être en accord avec tout le monde sur tous les sujets. Reste à se libérer de la méfiance habituelle, de se reconnaître réciproquement et d’avoir la volonté d’observer le monde qui nous entoure sous l’éclairage de notre propre histoire.
Toutes les révélations du coronavirus peuvent être comprises comme une analyse historique ultramarine qui nous renvoie à nos incertitudes et fragilités personnelles. Les révélations du covid-19 semblent indiquer que nous sommes encore broyés dans la mélasse économique et celle de la concurrence. Éloigné des fondamentaux on oublie l’action collective tout en attachant peu d’importance aux différentes conditions sociales. Le tout est associé à une insuffisance de références crédibles qui brouille les perspectives. Il ne s’agit nullement d’une focalisation sur les singularités ultramarines mais un penchant pour la fécondation des révélations du coronavirus susceptibles d’aider à démasquer d’autres enjeux.
« Nous sommes en guerre » entendons-nous dire ça et là. Si les guerres provoquent des questionnements similaires, celle-ci suscite quelques tiraillements dans les imaginaires d’autant plus que nous sommes face à un véritable zombi. Dans une telle confrontation, il n’est pas question de s’approprier d’un scénario déjà écrit mais de mettre en mouvement une stratégie innovante pour l’après confinement, notamment. La méthode consiste à se débarrasser des ambitions aristocratiques, blasées et de se placer dans un champ de recherches profitables à tous. Les réactions sont rarement neutres, car variables en fonction des aptitudes et des expériences personnelles. Les mots sont nécessaires mais pas suffisants pour décrire les réalités. Il semble donc nécessaire de faire émerger la confiance, de réparer la légitimité dans la mesure où l’on est enclin à s’observer réciproquement.
Cette remise en cause peut sembler paradoxale car la plupart des ultramarins sont éloignés des indications fiables qui normalement devraient les guider au quotidien. C’est une évidence qui rend difficile la pertinence des révélations du coronavirus qui tombe en pleine crise démocratique. Chaque région tend à développer sa propre logique face aux inégalités. Les méthodes et les arguments diffèrent sensiblement. N’empêche, le covid-19 persiste à révéler l’existence d’indignations face à la faiblesse du principe de représentation et l’insuffisante prise en compte des réalités d’en bas. Il est certes difficile de bien mesurer la portée d’une telle épidémie. Se contenter de ne voir qu’une péripétie vouée à disparaître sous peu et qu’il suffit d’attendre est vraisemblablement une appréciation de courte vue.
Aux yeux de beaucoup d’entre nous, cette situation inédite a aussi un côté anachronique. Des spécialistes font le rapprochement entre le coronavirus et la lèpre qui autrefois avait profondément marqué les esprits, mobilisé les politiques sanitaires. Dans mon étroit domaine de compétences je vois des soupçons similaires qui mettent en mouvement des mécanismes d’exclusion et la recherche de boucs émissaires, tout azimut débouchant sur des tueries de masse. Aujourd’hui, contre toute attente ce sont les étrangers, les indigents qui naturellement contaminent. Dans ce cycle effrayant de fin de vie les connaissances relatives à la mort sont limitées et restent toujours dans un flou quasiment universel. Incontournable, la mort occupe l’imaginaire et crée le désarroi chaque fois qu’elle emporte un proche.
En poussant l’analyse un peu plus loin, on s’aperçoit que l’humain a besoin de s’accrocher à quelque chose pour assurer son existence, tout en veillant à tort ou à raison de ne pas se laisser rouler dans la farine. Sauve qui peut serait-on tenté de dire mais bien habile serait celui qui prétendrait pouvoir vivre sans les autres.
Le covid-19 met au goût du jour l’engagement d’hommes et de femmes qui au-delà du gain, du prix pesant de la contamination redonnent du sens au service public. Justement, les sens qui nous gouvernent fonctionnent à plein régime. Autant de sources d’inspirations qui nous renvoient à la réalité humaine et qui montrent que dans bien de domaines les réactions sont invariables mais porteuses de bonnes raisons d’agir pour un monde plus apaisé. Pour que ces arguments soient fiables il leur faut attirer l’adhésion d’une majorité d’hommes et de femmes soucieux de préserver l’essentiel. Dans cet esprit, l’humilité peut ajuster le niveau de confiance que l’on se porte mutuellement, calibrer les informations destinées à dynamiser les critiques constructives. L’avenir dira si l’on a su tirer profits des leçons prodiguer par le coronavirus.
Marcel Luccin (27 avril 2020).