Pour les cas graves de Covid-19, le surpoids joue un rôle clé dans l’aggravation de la maladie.
— Par Damien Mascret —
Pour le DR Yun Feng, spécialiste de réanimation et soins intensifs respiratoires de l’université Jia Tong de Shanghaï, et ses collègues de trois hôpitaux de Wuhan, Shanghaï et Anhui, il ne fait aucun doute que la défaillance multiviscérale (de plusieurs organes) et l’altération des fonctions immunitaires sont des caractéristiques typiques des patients dans un état sévère ou franchement critique infectées par le Sars-CoV-2. Ils ont publié le 10 avril (sur lmedXriv) l’analyse de 476 patients hospitalisés pour Covid-19, dont 58 sévèrement atteints et 61 dans un état critique. Quels enseignements en tirer?
En dehors de l’âge plus avancé – une dizaine d’années en moyenne – et de la prédominance du sexe masculin (60%) -, difficile de prédire ce qui va conduire un malade à avoir besoin d’une ventilation assistée en réanimation. Les chercheurs chinois notent seulement que les comorbidités (autres maladies) sont plus fréquentes chez ces patients, en particulier l’hypertension ou autres maladies cardiovasculaires et le diabète. En revanche, rien sur la corpulence n’est cité dans l’article. Et si les Chinois étaient passés à côté de quelque chose d’important?Selon une étude française publiée en ligne le 10 avril dans la revue Obesity et déjà commentée dans le monde entier, ce serait pourtant et de loin le principal facteur de risque! C’est dans un registre européen de réanimation portant sur plus de 2000 malades que les médecins ont d’abord été alertés par la surreprésentation de patients en surpoids ou obèses. Mais comme l’obésité est souvent associée à l’hypertension, au diabète ou à d’autres comorbidités, il était difficile de trancher sur son rôle direct.
En France, l’obésité sévère (indice de masse corporelle d’au moins 40) faisait partie dès le début de l’épidémie des maladies de la liste établie par le Haut Conseil de la santé publique, justifiant un maintien à domicile en télétravail ou, à défaut, en arrêt maladie, sans même devoir passer par son employeur ou un médecin traitant. Mais cette précaution judicieuse vient davantage de la vulnérabilité déjà observée lors de l’épidémie saisonnière de grippe que des données chinoises, on l’a vu, inexistantes sur ce point.
Un phénomène inhabituel
Dès les premiers cas hospitalisés fin février dans le pôle de réanimation du CHU de Lille, deux jeunes réanimateurs, le Dr Arthur Simonnet et le Dr Erika Parmentier, remarquent un phénomène inhabituel: beaucoup de patients obèses et couchés sur le ventre. «C’est une position qui permet d’expandre la partie postérieure des poumons qui a tendance à se condenser chez les patients obèses en cas d’atteinte pulmonaire», explique au Figaro le Pr Mercè Jourdain, professeure de médecine intensive et réanimation, membre du groupe de recherche translationnelle sur le diabète de l’Inserm, à Lille, coordonné par le chirurgien François Pattou. Ce qui va s’avérer décisif.
«Nous travaillons ensemble depuis longtemps, explique le Pr Pattou. Dès que ce projet a été décidé, nos attachés de recherche clinique sont allés recueillir les informations sur le terrain, au front, en réanimation.»«Au lit du malade», comme disent les soignants. C’est en effet là que se trouvent notés la taille et le poids, une information cruciale souvent absente ou incomplète dans les bases de données épidémiologiques. Chaque semaine, Santé publique France fournit un bilan complet des malades du Covid-19 enregistrés dans les différents systèmes d’information hospitaliers. On y trouve par exemple l’âge des malades, mais le poids n’est jamais signalé.
L’équipe lilloise va donc étudier en détail les 124 patients admis en réanimation pour une pneumonie confirmée Covid-19 entre le 27 février et le 5 avril 2020. Ils ont entre 26 et 87 ans (un quart à mois de 51 ans, un autre quart a plus de 70 ans). Premier enseignement: les trois quarts souffrent d’obésité (IMC de 30 ou plus, 47%) ou d’obésité sévère (IMC supérieure à 35, 28%). Et ce sont les deux tiers de ces patients en surpoids qui devront être intubés pour bénéficier d’une assistance par ventilation mécanique. «Plus on est obèse et plus le risque de devoir être intubé-ventilé s’accroît, explique le Pr Pattou. L’obésité apparaît comme le paramètre clé pour ces malades gravement atteints.»
Grâce aux différentes données recueillies, une analyse statistique multivariée (prenant en compte l’influence des facteurs de risque les uns par rapport aux autres) va par ailleurs mettre en évidence pour la première fois que l’obésité est un facteur de risque indépendant. À lui seul, il influence le risque d’avoir un état suffisamment grave d’hypoxémie (diminution anormale de la quantité d’oxygène contenue dans le sang) nécessitant le recours à une ventilation mécanique. Les patients avec une obésité sévère ont sept fois plus de risque d’être intubés et ventilés dans cette étude que ceux de poids normal (IMC inférieur à 25).
Par comparaison, l’autre facteur de risque indépendant est le sexe masculin qui double ce risque. «Cela ne veut pas dire que les autres facteurs de risque n’influent pas mais il faudra des cohortes plus grandes pour l’apercevoir car cette influence est sans doute moins forte», explique le Pr Pattou. L’âge par exemple n’était pas un facteur indépendant d’aggravation conduisant à l’intubation.
Ces cohortes plus larges deaient aussi permettre d’en savoir plus sur cette défaillance respiratoire. Car le Covid-19 ne conduit pas à un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) typique, affirmaient le 30 mars, dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, des réanimateurs italiens. «En effet, la première chose que nous avons observée (confirmée par des collègues d’autres hôpitaux) est la dissociation entre leurs capacités pulmonaires mécaniques relativement bien préservées et la sévérité de l’hypoxémie.»
C’est aussi l’avis du Pr Mercè Jourdain. La saturation en oxygène dans le sang chute parfois brutalement, provoquant une dégradation très rapide de l’état des patients. «C’est quelque chose que l’on ne voyait pas avec d’autres infections respiratoires sévères» où cette baisse elle plus progressive, explique le médecin. Cela ne sert à rien «d’intuber-ventiler trop tôt mais il ne faut pas non plus le faire trop tard, explique-t-elle. Et il faut les ventiler en douceur pas comme un SDRA». Une nouvelle publication sur ce point est déjà en préparation.
Source: LeFigaro.fr