—Jean-Marie Nol, économiste —
Ce jour, les socioprofessionnels martiniquais ont réagi via un communiqué suite aux incidents dits xénophobes contre des touristes italiens et allemands en réaction à la peur de la contagion à l’épidémie de coronavirus.
« Non à la haine, oui à la construction commune », écrivent les organisations professionnelles martiniquaises. Les socioprofessionnels lancent un cri d’alerte pour « condamner les dérives et appeler à une logique de construction commune » et disent s’étonner « du peu de réaction des élus et des pouvoirs publics ».
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Ainsi selon eux, la Martinique à l’heure du choix d’une société apaisée est en train de basculer dans l’hystérie et la violence gratuite provoquées par des groupuscules d’obédience pan- africanistes . C’est là dans ce contexte qu’il faut insister sur le danger d’un laxisme du pouvoir central parisien qui ne parvient pas à s’imposer en matière de rétablissement de la sécurité en Martinique . Cette situation est extrêmement fâcheuse car non seulement elle est porteuse de voix et de gage d’impunité pour les extrêmes, mais également est responsable de la montée exponentielle de la violence et du populisme en Martinique . Le thème de la sécurité est désormais au cœur des élections municipales en France. Agressions, viols, tentatives d’homicide : la délinquance explose en France. Le bilan de la délinquance en France est mauvais, très mauvais. Il faut dire que le sujet est devenu sensible, surtout à deux semaines des élections municipales: quasiment tous les indicateurs sont au rouge, avec une nette dégradation de la situation sur le plan des violences. Sur le plan géographique, toutes les régions francaises dont la Martinique ont connu des augmentations du nombre de meurtres, viols, agressions et harcèlements sexuels enregistrés par les forces de l’ordre, et la Martinique n’est pas épargnée par ce climat de violence . Des digues vont bientôt sauter avec les violences de l’aéroport contre les touristes , et sur les questions sécuritaires ou encore sur l’immigration, et de fait la question de l’instauration d’un régime autoritaire en France se posera plus vite qu’on ne le croit, et la Martinique en subira forcément les conséquences en matière de restrictions des libertés dans le contexte d’un retour désormais programmé à l’ordre public en France hexagonale. Cette dernière parenthèse refermée, nous devons constater qu’à l’instar de la question sécuritaire la situation semble également se détériorer dans bien d’autres domaines notamment sur le plan économique. Ainsi, l’on peut noter que c’est l’absence d’éducation à la science économique et politique qui est responsable de certaines dérives dans nos pays. Pour pallier les conséquences délétères observées sur le terrain social, l’éducation économique et financière doit s’affirmer fort justement aux Antilles comme enjeu social et politique, enjeu démocratique et citoyen.
De fait, on se doit de corriger les carences d’éducation économique et financière, en effet diffuses au sein nos systèmes éducatif et social. Analyser une situation sous l’angle économique c’est une responsabilité immense pour un économiste . Et si l’analyse macroéconomique est utile dans bien des secteurs, elle l’est particulièrement pour les citoyens, professionnels de la politique et de l’économie qui cherchent à décrypter les mutations en cours dans le monde . En Guadeloupe et Martinique , on ne sait pas ce qu’on risque comme choc dans la décennie , ce qui se passe sur le secteur économique n’est ni vu, ni pensé, ni décrit dans les formations politiques . D’où la nécessité de se poser tranquillement et sans acrimonie , d’aborder des cas concrets comme la crise économique mondiale induite par le coronavirus ainsi que les questions de sécurité et d’immigration qui ne manqueront pas de se manifester en France à l’occasion de la crise migratoire probablement provoquée par la Turquie qui pousse actuellement des millions de migrants vers l’Europe. L’analyse de la situation actuelle aide à donner du sens à notre compréhension de l’avenir.
Mais plus grave est la propagation du virus Covid-19 hors de Chine qui paralyse l’activité dans de nombreux secteurs. Les marchés financiers s’affolent.
Jusqu’où l’onde de choc économique du virus se propagera-t-elle? Usines à l’arrêt, avions vides, croisières menacées,hôtels désertés, musées, bars ou opéra fermés en Chine et en Europe , sans compter plus de 6 000 milliards de dollars évaporés des bourses mondiales en quelques jours… Tous les ingrédients d’une crise majeure à l’échelle planétaire sont là. La panique sur les marchés financiers depuis le début de la semaine risque de gagner l’économie réelle. Décideurs et experts économiques, cherchent à évaluer la portée du séisme, de la secousse temporaire au scénario le plus noir, naviguant à vue au gré des annonces de contaminations. Plus de soixante pays sont touchés.Selon Oxford Economics, cela pourrait coûter jusqu’à 1.100 milliards de dollars, soit une croissance amputée de 1,3% pour la seule année 2020. La zone euro et les États-Unis pourraient même rentrer en récession, ce qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences à moyen terme sur la Guadeloupe et la Martinique.
Et d’ailleurs, que nous dit l’économiste et essayiste Jacques Attali , dans son dernier opus ?
Que » Nous sommes au bord d’une grande crise économique mondiale ».
Tous les signaux sont aujourd’hui à l’orange : Croissance, chômage, moral des entreprises, consommation, crise boursière : tous les voyants de l’économie mondiale seront bientôt au rouge vif . L’économie mondiale est déjà en récession virtuelle et les Antilles ne seront pas épargnées par la crise. Au début du mois de mars , les craintes d’une récession à venir se sont intensifiées. Selon l’enquête mensuelle menée par le Wall Street Journal, 70,5 % des économistes et analystes sondés pensent qu’il y aura une récession en 2020 et 75 % en 2021. Un autre indicateur calculé par la Réserve fédérale de New York (la plus importante des 12 banques constituant la Réserve fédérale des États-Unis) indiquait à la même date une probabilité de 69 % d’une récession sous 12 mois. Alors que veut dire une récession mondiale, et quelles conséquences pour les ménages et les entreprises ?
Pour entrer « officiellement » en récession un pays doit afficher au moins deux trimestres consécutifs de PIB en baisse. En d’autres termes, un pays produit moins de richesse qu’auparavent. L’économie est à l’arrêt, l’activité des entreprises est grippée et la consommation devient atone .
Une situation qui résulte bien souvent du comportement des agents économiques. Les ménages, les entreprises ou les collectivités diminuent leur consommation ou leurs investissements. Plus personne ne souhaite prendre de risque sur l’avenir. Les biens durables comme l’automobile mais aussi le tourisme et l’immobilier sont les premiers touchés. On le constate déjà aujourd’hui avec la chute des investissements , l’attentisme des candidats aux vacances et la dégringolade des ventes automobiles.
Or en réduisant leurs interventions dans l’économie, les ménages et les entreprises provoquent une baisse générale d’activité. Si ce n’est qu’avec une consommation en berne et des carnets de commandes qui fondent, les entreprises touchées réagissent et adaptent leurs coûts… en mettant en place des plans sociaux. En d’autres termes, la récession est synonyme de plus de chômage et de pauvreté de masse.
Les pays Martinique et Guadeloupe sous-estiment -t-ils la gravité de la situation ?
La réponse est oui : nous sous-estimons la gravité de la situation, car ce qui se passe échappe à nos mesures.
Ce qui est en jeu, c’est le moral et la confiance . Le moral des consommateurs et entrepreneurs Martiniquais et Guadeloupéens , avec moins de stocks et aussi moins d’investissement depuis les grèves et blocages des retraites en France et la crise sanitaire désormais mondiale du coronavirus , et on voit ce qui se passe avec la décélération du crédit, notamment aux particuliers sur l’immobilier et aussi les petites et moyennes entreprises, le moral des ménages va baisser , et on verra bientôt la chute de l’investissement , et aussi le freinage de la consommation.
En économie le moral est essentiel, en liaison avec ce qui se passe ailleurs en France hexagonale , avec les impôts, avec les charges , avec la réforme des retraites, avec le chômage. En même temps, et ceci échappe encore plus aux statistiques de l’INSEE et des analyses de conjoncture de l’IEDOM , tous les agents économiques sont plus aux aguets et réactifs que jamais et ce alors que la situation exige d’être surtout pro-actifs. La volatilité est entrée plus encore dans les esprits et dans les comportements, avec un raccourcissement des horizons. C’est ce qui est très grave, avec un risque de sur-réaction des entreprises , si les nouvelles ne sont pas bonnes dans les semaines qui viennent, ou les messages, ou les rumeurs de pandémie . Une crise économique est un phénomène brutal de la situation économique et des perspectives économiques . Une telle crise comporte souvent (mais pas systématiquement) des répercussions sur le niveau des salaires et la valeur du capital (immobilier , valeurs boursières), provoque des faillites et du chômage , accroît les tensions sociales, et peut même avoir des répercussions sanitaires en chaîne .
La crise , est le moment de retournement d’un cycle économique . Dans cette optique , pour nous la crise économique est parfois vue comme un phénomène qui ne se termine qu’avec l’adoption d’une nouvelle structure sociale et d’un nouveau modéle économique .
L’impasse que constitue le choc de l’épidémie sur la politique de l’offre et de la demande était en début d’année encore un point d’interrogation. C’est désormais une réalité, une certitude. La France va très certainement entrer en récession. Or, c’est bien l’incapacité de la France à retrouver le chemin de la croissance qui aggrave la dérive budgétaire et qui va provoquer inexorablement la défiance des ménages et des entreprises et surtout la montée de la violence sociale et du populisme.
La croissance en France se dérobe à un rythme tel que la stratégie de réduction du déficit et de la dette est vouée à l’échec. Dans le même temps, la récession accélère la destruction de l’appareil productif, comme en témoigne la litanie des pertes financières d’entreprises françaises avec le coronavirus . En Martinique et Guadeloupe, les conditions d’une nouvelle crise de défiance sont de la sorte réunies comme en 2009 . D’autant que les mécanismes de sauvegarde financière des crédits affectés aux DOM TOM, ne sont déjà plus à la hauteur des risques du fait de la promesse de crans supplémentaires dans les politiques monétaires . Dans l’état délétère de la croissance en France Métropolitaine, le débat sur les 40% va être relancé non par hasard par le gouverneur de la Banque de France . Il reviendra inévitablement sur le devant de la scène, car, le problème de la France est le poids de son service public ,de son coûteux modéle social et de la forte redistribution qui s’opère à crédit .
Mais là encore, il n’y a guère de surprise. Le principe de l’Etat providence et de la sécurité sociale a été théorisé en 1942 dans le rapport Beveridge, au Royaume-Uni. Or il y a eu un second rapport Beveridge en 1950 qui précisait que le modèle d’Etat providence n’était viable que dans une économie en forte croissance … Or , cela fait très longtemps que la France n’est plus une société de forte croissance.
Aussi, la question qui se pose à la France depuis 25 ans de manière urgente aujourd’hui est celle de la refondation de l’Etat providence. Or syndicats, fonctionnaires et de nombreux français ne sont pas près a cela et les politiques le savent… aussi faute de réforme cela sera donc la chute. Pourra -t-on l’éviter en Martinique et Guadeloupe tant que le financement de l’économie dans notre île repose, dès lors, sur les transferts publics et subventions de la République, subventions directes comme pour les autres collectivités territoriales, subventions indirectes de la défiscalisation ; et pourtant le système devrait continuer à tourner tant bien que mal du fait du caractère protecteur du modèle social français.
Quel est l’état économico-social réel de l’Outremer français ?
La France hexagonale ne va déjà plus très bien, et cela s’accélère depuis la fin des Trente glorieuses. Et donc l’Outremer suit la même logique. En dehors de la Nouvelle-Calédonie qui connaît le plein emploi et une bonne croissance grâce à ses exportations de nickel, tous les indicateurs économiques de l’Outre-mer sont au rouge. Pour l’instant, ces territoires sont totalement dépendants et ne pourront pas dans l’état actuel des choses rentrer dans un cercle vertueux , le mur est proche. Bien évidement ce ne sont pas les médias qui vont nous l’expliquer ouvertement, mais l’économie des îles Antillaises va inévitablement vaciller à un moment ou à un autre , et nous sommes tous concernés car nous serons tous les victimes de cet effondrement avec pour conséquence le déclassement de la classe moyenne .
Répétons-le, tout cela est intenable économiquement, mais aussi politiquement. Une stratégie de rupture va devoir faire sauter les verrous que j’ai évoqué dans un précédent article . Attendre une inflexion de la crise du coronavirus en France, même après les élections municipales , est illusoire. Alors ne soyons pas dupes de la situation et d’une insouciance qui est trop souvent la norme depuis longtemps….On demande des esprits imaginatifs en Martinique et en Guadeloupe et cet apport-là n’a pas de prix dans le contexte de la vraie crise à venir, car nul doute que l’on se dirige tout droit vers une paupérisation aux Antilles avec cette crise mondiale du coronavirus qui va impacter la France. Tout cela va induire un gel des salaires, donc une baisse des salaires réels.
Pour bien se rendre compte des dégâts économiques que peut bientôt provoquer la crise du coronavirus : Regardons donc dans le détail ce qui s’est passé en France en terme de conséquences lors de la crise financière des sub-prime de 2008 et décryptons les chiffres :
– Stagnation : uniquement de 1,6% à 1,1% de croissance totale depuis 2008.
– Emploi : 800 000 chômeurs de plus.
– Dégradation de finances publiques pas du tout rétablies dix ans après.
– Dette publique : plus de 700 milliards d’euros (+57%)
– Dépenses publiques annuelles : plus de de 200 milliards par an, 3,3% du PIB
– Impôts et prélèvements obligatoires annuels : plus de 140 milliards, 1,7% de PIB
– Relations économiques avec le reste du monde : persistance du déficit de la balance courante
.- Augmentation de la dette extérieure et dégradation de la position extérieure nette
On ne peut tirer que des conséquences moroses d’un tel paysage macroéconomique depuis la crise financière de 2008 : le système français actuel a besoin de 700 milliards de dette publique et 400 milliards de dette externe supplémentaires pour simplement stabiliser l’activité économique et avec une forte augmentation du chômage. La soutenabilité à terme d’une telle configuration déséquilibrée est hasardeuse, et il faudrait vraiment en faire la pédagogie de l’opinion – sans lui cacher les lenteurs d’un redressement dans la durée -, pour éviter qu’une amère médication ne vienne de l’extérieur avec la crise du coronavirus via les réactions des partenaires français de la zone euro ou les investisseurs internationaux dont la France semble conserver apparemment un pressant besoin.
Ainsi pour conclure, nous disons que ne pas connaître les conséquences de la récession qui arrive, c’est là se condamner à ne pas pouvoir anticiper le chaos économique et financier annoncé par la crise du coronavirus.
La vie économique n’est jamais une ligne droite. Les personnes qui me lisent le savent bien : Ça va, ça vient, c’est l’euphorie un jour puis la déprime le lendemain. L’équilibre se construit progressivement au gré de ces phases de hausse, puis de baisse, obligeant une adaptation permanente pour survivre et anticiper le mouvement.
Être capable pour les Guadeloupéens et Martiniquais de comprendre ce mouvement, ce nouveau cycle économique , est fondamental pour une meilleure compréhension des enjeux de demain . Être capable d’analyser la situation actuelle et de se remettre en question lorsque l’activité se dégrade est primordiale pour un citoyen lambda, un responsable politique ou des décideurs économiques. Malheureusement, nous sommes en train de l’apprendre à nos dépends.
Jean-Marie Nol, économiste