Le département d’Outre-mer, habituellement confronté à une situation sociale précaire, doit supporter les conséquences du confinement, au niveau tant économique que social.
« On en est qu’au début, on sent de l’inquiétude, de l’interrogation, un certain désespoir. Ce qui va amener au bout d’un moment à une situation compliquée. Ça ne peut que dégénérer si rien n’est fait massivement et de façon durable. » Benoit Renollet, directeur territorial de la Croix-Rouge, ne cache pas sa préoccupation, alors que la Guyane entre – comme la France métropolitaine – dans sa quatrième semaine de confinement.
Avec 72 cas de Covid-19 officiellement recensés au 6 avril, la Guyane vient de passer en phase 2 de l’épidémie. L’Agence régionale de santé (ARS) admet que le virus « circule » et qu’il ne s’agit plus uniquement de cas importés ou secondaires. Mais même si la pandémie provoque son lot d’inquiétudes, de défiance et de rumeurs apocalyptiques, c’est aussi le confinement qui pourrait avoir des conséquences durables sur la vie du territoire.
En effet, dans ce département largement couvert par la forêt amazonienne, nombreux sont les habitants qui vivent au jour le jour. Pour beaucoup, confinement rime avec « un équilibre complètement perturbé » et avec une isolation sociale comme économique encore plus importante qu’en temps normal, se désole Fanny Gras, chargée des actions du Comité pour la santé des exilés (Comede), association particulièrement active auprès des non-Français, en nombre dans la région. « Dans les quartiers, les personnes sont déboussolées, le peu de repères qu’elles pouvaient avoir sur un éventuel soutien, elles ne les ont plus. Toutes les portes ont été fermées pendant quinze jours minimum », renchérit Benoit Renollet.
Des risques pour la santé…
Cette inquiétude, cette nervosité des Guyanais revient dans toutes les bouches et prend de multiples formes. Paradoxalement, l’épidémie actuelle limite ainsi l’accès aux soins de ceux qu’elle ne touche pas.
Si les services hospitaliers sont encore ouverts, la priorité aux cas graves ferme les portes à « tous les malades chroniques, à la santé primaire », explique le responsable de la Croix-Rouge. Si « une certaine continuité » est aujourd’hui assurée, les professionnels demeurent très inquiets, surtout que la dengue est en augmentation cette année.
… et un accès aux droits réduit
Confinés, pour partie dans des espaces très réduits, sans accès à l’eau ni à l’électricité, nombre de Guyanais se retrouvent, en plus, privés de ressources, puisque dépendant d’une économie informelle battue en brèche par l’interdiction de sortir. « Ils cumulent des difficultés d’accès à l’eau, au droit, à la santé, à l’alimentation », résume Benoit Renollet, et ne peuvent que difficilement se retourner. La plupart des associations ont fermé leur accueil au public, l’absence de véhicule propre empêche souvent d’aller chercher ne serait-ce qu’un colis alimentaire et, de toute façon, les autorisations de sortie elles-mêmes sont complexes d’accès, étant revendues jusqu’à 30 euros à celles et ceux dans l’impossibilité d’écrire le français.
« Il y a énormément de demandes d’aide alimentaire, les gens commencent à avoir vraiment faim. À chaque maraude, on repart avec une vingtaine de demandes de repas et c’est exponentiel », témoigne Audrey Trepon. La coordinatrice générale de Médecins du monde en Guyane craint, elle aussi, que la crise sanitaire ne se « transforme en crise sociale ». Et d’ajouter : « Vu qu’il n’y a plus de ressources, on a déjà des situations de violence qui augmentent et ça pourra continuer à augmenter. »
« On attend plus de proactivité et de soutien de l’État »
Pour elle, si la Guyane veut faire face à cette crise, « il faut plus de moyens mis en œuvre sur les territoires d’Outre-mer, surtout connaissant leur fragilité ». « La situation est dangereuse, il va falloir prendre la mesure des forces de chacun. On a besoin d’être aidés sur ces questions, on attend plus de proactivité, de réactivité et de soutien de la part des services de l’État », insiste cette travailleuse associative.
Semblant prendre la mesure de l’urgence, la préfecture et les élus locaux ont mis en place, depuis le vendredi 3 avril, une « cellule de continuité sociale », qui doit faciliter la mise à l’abri d’urgence des populations, la mise à disposition d’hébergements, l’installation de pompes d’accès à l’eau dans les Campous – sorte de tout petits villages – qui en sont souvent dépourvus, ainsi que l’accès à l’aide alimentaire et aux sanitaires publics. En parallèle, des avions d’aide alimentaire ont été affrétés pour atteindre les communes de l’intérieur – fleuves et forêts – particulièrement isolées.
Un vaste programme, accueilli avec autant d’espoir que de circonspection par les associatifs et les travailleurs sociaux, premiers de cordée depuis le début de la pandémie. « On attend beaucoup de ça, sauf qu’aujourd’hui il n’y a pas de coordination », résume Audrey Trepon, résolue à « attendre un peu plus », mais consciente que les associations ne pourront indéfiniment porter les initiatives d’aide.
Le confinement, et après ?
Surtout que la crise n’a aucune chance de s’arrêter avec le déconfinement. « Au bout d’un mois, il y a un retard cumulé, il faudra au moins trois mois pour se remettre à flot », affirme Benoit Renollet. Un temps qui va s’accumuler avec celui de l’enfermement. « On avait déjà peu de financements en Guyane sur toutes ces questions, il n’y avait pas d’argent hier, là on a un capital exceptionnel et demain ? Comment assurer une continuité, une reprise ? Comment assumer financièrement le contrecoup de la crise, notamment si le virus flambe en Guyane ? Comment gérer le contrecoup social, qui sera aussi structurel ? », se demande-t-il sans relâche.
« Quelle pérennité ? Va-t-on remettre les gens à la rue ? », s’interroge en écho Fanny Gras. « Cette crise éveille-t-elle les pouvoirs publics ou est-ce temporaire ? » Dans le second cas, prédit son confrère de la Croix-Rouge, « ça va brûler tout ça ».
Source : Rfi