— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le coronavirus fait peser un risque important sur l’activité mondiale et donc, l’économie française. La Martinique et la Guadeloupe ne seront pas épargnées par la récession, mais elles devraient tenir le choc vu leur proximité institutionnelle avec le modèle social français. En Martinique comme en Guadeloupe , depuis plus de 50 ans de départementalisation , le développement économique s’est accompagné d’une augmentation de la population, de l’allongement de l’espérance de vie, d’une baisse de la fécondité et d’une concentration de la population dans les grandes villes. C’est en gros ce que l’on appelle la «transition de la départementalisation ».
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Aujourd’hui, la seconde transition en cours se caractérise tout à la fois par l’accentuation du vieillissement de la population et la multiplication des familles monoparentales et des personnes vivant seules. Elle prend place dans un contexte économique caractérisé par la stagnation du pouvoir d’achat de la majorité de la population et la persistance de la vie chère.
Dit trivialement, nous sommes en plein dedans! Aujourd’hui, le débat se focalise sur les conséquences du vieillissement de la population, avec en particulier les incertitudes liées à la baisse de la dépense publique en cas de crise économique et financière, au financement futur des retraites et à l’explosion des coûts de la santé. Une nouvelle thématique devrait bientôt occuper le devant de la scène: le risque de déclassement social des martiniquais et guadeloupéens du fait d’un déclin économique de la France hexagonale. Ce phénomène de déclassement social s’effectuera selon toute vraisemblance de pair avec une probable récession économique en France. D’ailleurs, la banque de France vient d’annoncer une révision à la baisse de ses prévisions de croissance. Et tout ceci intervient dans un contexte où la Cour des comptes dans son dernier rapport étrille la politique du gouvernement en matière de gestion des finances publiques. Les déficits budgétaires et la dette ne sont pas maîtrisés. Les magistrats estiment la situation « préoccupante ». C’est là une situation qui devrait interroger les décideurs de la Martinique et de la Guadeloupe. En effet, tout ce qui se passe en France hexagonale sur le plan économique et social aura des conséquences en chaîne sur les territoires des Antilles françaises. Ainsi de même qu’une loi sociale votée en France s’applique automatiquement en Martinique et Guadeloupe, il s’ensuit qu’un ralentissement économique en France se traduira par moins d’investissement des entreprises et moins de consommation en Martinique et Guadeloupe. Un programme d’austérité budgétaire décidé par paris aura forcément des conséquences sur la situation financière des ménages et des collectivités locales de Martinique et Guadeloupe. Cela explique que les martiniquais et guadeloupéens doivent en finir avec le syndrome trompeur du » lolo ». C’est à dire que nous ne pouvons analyser les problèmes et solutions de nos îles dans un prisme étroit et dans un confinement politique sans avoir au préalable étudier et analyser les problématiques de la société française.
Les Martiniquais et Guadeloupéens n’ont aucun moyen de peser sur la politique française mais le contraire n’est pas vrai. Nous sommes les plus vulnérables, d’autant que quand la situation économique se dégrade en France hexagonale , nous n’avons d’autres choix que de recourir à des outils contracycliques autres que ceux qui ont déjà été validé par la politique du gouvernement. Or si l’on examine , sans aucun a priori, la situation économique de la Martinique et la Guadeloupe , on verrait rapidement que nos pays sont caractérisés , relativement aux autres pays de la Caraïbe , par des inégalités plus faibles et stables, par un taux de pauvreté aussi plus faible et stable, par des dépenses de protection sociale (santé, famille, retraites, logement) plus élevées, par une indemnisation du chômage plus généreuse, par un salaire minimum plus élevé par rapport au salaire médian, par un âge de départ à la retraite moins tardif. On verrait aussi qu’en Martinique et Guadeloupe les salaires réels ont augmenté plus vite que la productivité, ce qui est l’inverse de ce qui se passe dans les autres pays de la Caraïbe. Cette donne est imputable à notre situation de départements français.
Mais cela peut évoluer en fonction de l’état futur de la société française.
Le cas de la France est intéressant et important à connaître pour les responsables Martiniquais et Guadeloupéens , car il montre que dépenser beaucoup d’argent public en protection sociale, en retraites, en emplois publics aux Antilles ne suffira pas à éviter une crise « sociale », si la crise économique montre le bout du nez avec l’aide du coronavirus.
En foi de quoi, il convient désormais pour tous les martiniquais et guadeloupéens conscients des risques à venir, d’éviter les analyses simplistes et les fausses évidences de solutions sensées régler toutes nos erreurs de jugement du passé.
C’est pourquoi l’expression de « syndrome du lolo » est utilisé par nous pour définir cet espace convivial où des personnes s’adonnent au commérage et à l’échange d’informations lapidaires concernant la vie du pays autour d’une partie de domino et d’un verre de rhum. En ce sens » le syndrome du lolo » qui affecte certains Martiniquais et Guadeloupéens doit être éradiqué dans les meilleurs délais pour ne pas prêter le flanc au sombre théâtre d’une discussion oiseuse et sommaire sur les problèmes de notre temps.
Jean-Marie Nol, économiste