— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Alors que tous les pays du monde font face à la crise sanitaire du Covid-19, ils doivent également faire face à une crise économique et vraisemblablement sociale dont l’impact est encore difficile à évaluer . Les États entrent progressivement en récession, inquiétant les gouvernements qui doivent faire face dans le même temps à des dettes publiques en forte croissance. Comment la France en particulier réagit-elle à cette situation ?
Quid des répercussions de la crise en Martinique et Guadeloupe ?
Pour combattre l’épidémie de Covid-19, le gouvernement français a décidé de confiner la population pour éviter la circulation du virus. Mais en faisant cela, il a paralysé l’ensemble de l’économie nationale en même temps que d’outre-mer et mis toute l’activité des territoires à l’arrêt. Quelles seront les conséquences au déconfinement ? L’économie peut-elle reprendre ? De quelle ampleur sera la crise quand on sait que la croissance sera en chute libre, les chiffres d’affaires en berne, et une forte progression attendue des défaillances d’entreprises …
Une fois l’actuelle crise du coronavirus passée, avec ses quarantaines et autres mises en arrêt de l’activité économique, à quoi pouvons-nous nous attendre comme conséquences pour la Martinique et la Guadeloupe ?
La première conséquence, inéluctable, sera une terrible récession qui engendrera un chômage de masse. Car même si l’activité reprend après la fin de la crise sanitaire, le manque prolongé d’activité provoquera une coupure importante dans le fonctionnement normal des administrations et des entreprises, et la circulation des flux de trésorerie pourra seulement être palliée par une reprise des opérations de vente de marchandises. Au vu de la situation déjà fragilisée de l’économie, les banques réduiront drastiquement leur offre de crédit, ce qui posera problème pour une reprise rapide de l’investissement avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l’économie réelle : hausse exponentielle du chômage, baisse de la consommation et abandon des projets d’investissements.
Les autres conséquences prévisibles sont les suivantes :
– Le niveau d’endettement public et privé rendra obligatoire une hausse des impôts, certes encore plus lointaine, mais néanmoins prévisible à terme. Si le pire est évité, alors l’économie redémarrera avec beaucoup moins de liquidités disponibles qu’auparavant. Les banques vont bien restreindre le crédit à partir d’une base qui risque de provoquer l’éclatement d’une bulle immobilière notamment en Martinique avec une répercussion négative sur le prix d’actifs financiers et fonciers dans la location résidentielle, vu le niveau élevé de l’endettement des ménages propriétaires. Les inégalités de patrimoine auront donc tendance à se creuser grâce à l’intervention de sauvetage du fait de risque d’impayés et de l’absence du marché de la location touristique et non grâce au « marché ».
– Le risque inflationniste dans les marchés à la consommation peut augmenter fortement.Les distorsions structurelles s’accumuleront au vu des injections de liquidité de l’état et de la relance massive du crédit dans certains secteurs d’activité très touchés par l’arrêt de l’activité notamment le tourisme ;
– Touchés par la crise, des milliers de ménages risquent de ne pas pouvoir rembourser leurs emprunts. Les défauts de paiement aux entreprises et les impayés de loyers des ménages pourraient se multiplier.
– Tous ces éléments donnent une idée des répercussions sociales catastrophiques de la crise du coronavirus. Selon l’ONG Oxfam, un demi-milliard de personnes supplémentaires dans le monde pourraient basculer dans la pauvreté. Aux Antilles, les amortisseurs sociaux du modèle social français devraient limiter les dégâts sociaux, mais il demeure indéniable que la pauvreté risque de s’accentuer dans les années qui viennent.
– la crise économique sera un accélérateur de la révolution numérique et l’intelligence artificielle avec pour conséquence première le déclassement social et l’obsolescence programmée des travailleurs Antillais et donc l’avènement rapide du revenu universel de base pour tous sur les territoires de Martinique et Guadeloupe.
En fait, le scénario noir de l’économie Antillaise se confirme dès à présent. Au point que le climat des affaires est en chute libre dans tous les secteurs en raison du confinement. Les incertitudes sanitaires « n’augurent pas d’un rebond économique rapide », prévient l’Insee, qui ne constate pas à ce jour de regain d’activité.
Plus globalement, L’Insee constate que l’économie française est en réanimation. « Comme un organisme placé sous anesthésie, l’économie française n’assure plus que ses fonctions vitales », s’alarment les économistes de l’institut dans leur dernière étude, publiée ce jeudi. Le confinement décidé par le gouvernement pour endiguer l’épidémie de coronavirus a des conséquences dramatiques sur les entreprises. Et, prévient l’Insee, pour la Martinique ainsi que pour la Guadeloupe les incertitudes actuelles sont très fortes du fait non seulement de l’arrêt de l’économie, mais également de la dégradation attendue des comptes financiers des collectivités locales( perte de recettes fiscales sur l’octroi de mer et la taxe sur l’essence).
En effet, la purge qui se prépare va être d’une violence inédite. Les économistes s’attendent à des suppressions de postes massives qui se chiffreront en milliers, et la Martinique et la Guadeloupe vont sans doute vivre en 2020 leur pire année de récession et battre ainsi le triste record de la crise sociale de 2009 – une chute de 4,9 % du produit intérieur brut (PIB)en Guadeloupe et près de 6% pour la Martinique _ selon l’Insee. Nul doute que le confinement aura un coût élevé pour l’économie française et plus particulièrement pour la Martinique et la Guadeloupe.
La crise affectera forcément notre économie. Mais dans quelle mesure ? La perte envisageable de PIB varie du simple au double selon les économistes. Mais de toute façon, ça fera très mal.
De fait, entre protection de l’économie et lutte contre le coronavirus, c’est un choix cornélien et difficile qui attend nos autorités publiques ?
La priorité du gouvernement est sanitaire, et la protection de la santé doit primer sur tout le reste, laisse-t-on entendre du côté de Matignon et de l’Élysée. En revanche, on ne peut pas laisser la situation se dégrader, au risque d’engager nos territoires dans une spirale récessive (faillites, augmentation du chômage, explosion des déficits sociaux, …). Selon une analyse publiée, lundi 20 avril, par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 8 semaines comprises entre le 17 mars et le 8 mai, devraient coûter 120 milliards d’euros à l’économie française.
Une perte de 2 milliards d’euros par jour pour l’économie française. Pour ce qui concerne la Martinique et la Guadeloupe, on peut tenter une approche pour estimer le coût de la crise pour l’économie en se référant au produit intérieur brut (PIB). Avec, dans un coin de la tête, les estimations nationales de l’Insee, de 3 % de perte du PIB (au minimum) par mois de confinement. Soit quelque 276 millions d’euros de perte par mois pour l’ économie guadeloupéenne, dont le PIB annuel est de l’ordre de 9, 2 milliards et plus de 310 millions pour la Martinique. Et c’est un minimum, que nombre d’économistes pensent sous-estimé.
Nos économies n’échapperont pas à une récession au moins égale à celle qui va frapper la France. Parce que la structure de notre PIB est proche de celle du PIB national, avec un rôle prépondérant de la consommation des ménages — 56 % du PIB, soit 5, 2 milliards — et de l’investissement (17 %). Or, ces deux agrégats, moteurs de l’ économie Antillaise, se sont largement effondrés.
En France hexagonale, répétons le, chaque jour de confinement a un coût estimé de 2 milliards d’euros, et on comprend que les entrepreneurs appellent de plus en plus à un relâchement des règles du confinement.
En Guadeloupe comme en Martinique, ce sont les commerçants qui les premiers ont vécu les mesures de confinement, puisque la fermeture de leurs établissements est intervenue du jour au lendemain. Et en dehors des commerces délivrant des produits vitaux, tous les autres ont dû fermer également. Je pense notamment aux hôteliers, aux restaurateurs, aux commerçants qui vendent des vêtements, des bijoux, les artisans comme les coiffeurs, ou les garages automobiles … et surtout aussi à nos avocats qui après s’être engagés contre la réforme des retraites, prennent de plein fouet la crise du coronavirus… En gros, tous les métiers dont l’activité a été mise en sommeil dès le premier jour.
L’autre secteur qui a été fortement impacté aux Antilles et qui n’a pas pu fonctionner dès le départ, c’est celui de l’hôtellerie et de la restauration, les bars… ce qui représente 26 % du total des demandes de chômage partiel dans le département de la Guadeloupe et plus de 30% en Martinique.
Troisième secteur affecté ; celui de la construction, même si un certain nombre de petits chantiers ont pu continuer, dès lors que pouvaient être mises en place les mesures barrières. Mais le constat global de ce secteur d’activité, est que la plupart des chantiers sont mis à l’arrêt.
En grande souffrance également, le secteur du tourisme, en attente lui aussi de la reprise, alors même que le Président de la République a annoncé que ce secteur ouvrirait plus tard que les autres, dans la mesure où il s’agit d’activités qui entraînent des rassemblements. Le groupement des hôteliers de la Guadeloupe estime à 50 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires pour les seuls hôtels, perte qui ne sera, en aucune façon, rattrapée dans les mois suivants. Tout cela grève lourdement cette petite économie insulaire, forcément plus fragile et vulnérable à ce type de péripétie qu’un grand pays.
Quelle est l’ampleur de la cessation d’activité dans l’économie Antillaise ?
Plus les jours passent, plus le tableau se noircit pour l’économie de la Martinique et la Guadeloupe : elle devrait connaître en 2020 sa plus forte récession depuis la crise sociale de 2009, même si l’État tente de limiter les dégâts d’une épidémie ayant mis l’activité en grande partie à l’arrêt.
Si l’on applique au PIB Guadeloupéen et Martiniquais, les estimations Insee de perte de 3 % du PIB par mois de confinement, la perte mensuelle sera respectivement de 276 millions d’euros et 297 millions, soit plus de 600 millions pour les 2 mois de confinement. Les estimations livrées sont celles du coût ponctuel des deux mois de confinement. Mais il faudra très probablement les revoir à la hausse. Le coût, à terme, dépendra du comportement des consommateurs d’une part, et, d’autre part, de l’efficacité du plan massif de sauvetage lancé par le gouvernement.
Dans les deux territoires Antillais, nous comptons près de 10 000 entreprises admises au bénéfice de l’activité partielle et 475 sont en attente des mêmes mesures d’accompagnement. 70 % environ de ces entreprises sont issues du commerce, ce qui montre bien à quel point ce secteur est le plus touché en amont. En ce domaine, l’État a mis en place un plan de soutien aux entreprises, pour éviter le plus possible de licenciements.
Le rôle des services de l’État va être central, car il va falloir mettre en place et suivre de près les mesures de déconfinement. Et comme ils le sont aujourd’hui pour accompagner les entreprises, les services de l’État devront être mobilisés au moment du redémarrage. C’est là le grand retour de l’état et de l’efficacité du modèle social français en Martinique et Guadeloupe !
Quant au devenir des entreprises, il dépendra en grande partie du plan de sauvetage gouvernemental, porté à 110 milliards au plan national français. Sur le papier, les dispositifs destinés aux entreprises tiennent la route, et l’augmentation du Fonds de solidarité à hauteur de 7 milliards devrait permettre de sauver une grande partie des TPE de Martinique et Guadeloupe à un bémol près les entreprises qui œuvrent dans le tourisme. À condition que tous les rouages fonctionnent. Et ça…c’est loin d’être gagné quand on sait que l’expression « s’adapter ou disparaitre » est encore plus vraie aujourd’hui. Seule éclaircie au tableau, il n’est peut être pas encore trop tard pour agir à l’émergence d’un nouveau modèle économique et social, réfléchir aux possibilités de plus de responsabilités locales qui s’entrouvrent, et ne pas rester à attendre immuablement les jours qui passent dans l’espoir que les choses reviennent à la normale, car soyons réalistes, rien ne sera comme avant…Comme après chaque crise, il y aura des conséquences peu heureuses pour certains et les cartes seront potentiellement redistribuées dans l’économie.
Jean-Marie Nol, économiste