COP21. Des négociations sans faim

Par Maureen Jorand, CCFD-Terre Solidaire et Peggy Pascal, Action contre la Faim. —
secheresse-2Ne nous voilons pas la face, l’agriculture est l’un des premiers secteurs émetteurs de gaz à effet de serre. Paradoxalement, les agriculteurs, et en particulier les petits paysans sont aussi les premiers à souffrir des impacts des dérèglements climatiques. Faut-il par ailleurs rappeler que jusqu’à 600 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim dans le monde d’ici à 2080 à cause du changement climatique ? Faut-il encore répéter que la faim reste la première cause de mortalité au monde et que les impacts des dérèglements climatiques vont considérablement réduire les progrès effectués ces dernières années. Nous n’avons pas le droit de faire marche arrière!

Hier, les Etats ont décidé de supprimer de l’article 2 (objectifs de l’Accord) la mention de « sécurité alimentaire » et de se limiter à reconnaitre l’impact des dérèglements climatiques sur la « production alimentaire ». Ce concept est désormais dépassé. Car oui, messieurs les ministres, nous produisons aujourd’hui suffisamment pour nourrir la planète ! En mentionnant uniquement la production alimentaire, les pays affirment en réalité le besoin d’accroitre la production agricole et se dédouanent ainsi de l’obligation de changer de modèle agricole.

Ce qui doit nous guider n’est pas la rhétorique du « produire plus », mais du « produire mieux » et à meilleur escient. Il faut prendre en compte l’accès, la qualité et la durabilité de l’alimentation. Cela implique une relocalisation, le développement de circuits courts et le soutien aux agricultures paysannes et aux pratiques d’agroécologie paysanne. Pourtant, les Etats refusent de prendre ce virage déterminant.

Le dernier brouillon d’Accord pose des bases d’investissements dans l’agriculture qui renforceront nos systèmes agricoles actuels. La porte est ainsi grande ouverte aux fausses solutions, avec la reconnaissance du Lima Paris Action Agenda (LPAA) dans le texte alors même que celui-ci ne dispose d’aucun critères clairs permettant d’éviter les atteintes à l’environnement et aux droits des populations. Des initiatives telles que la Climate Smart Agriculture ou encore le 4 pour 1000 s’inscrivent dans l’esprit de produire toujours plus et de séquestrer plus de carbone.

Bienvenue aux OGM, au Round up et aux accaparements de terre! Nous le savons, le secteur agricole est un sujet compliqué pour beaucoup, tabou pour certains. A l’inverse de la question des terres, au cœur de nombreuses convoitises, car perçues comme des puits de carbone et donc comme un outil de stockage et de compensation des émissions. Rien dans ce projet d’Accord ne permet d’éviter aux grands pollueurs d’accaparer des terres pour bénéficier de droits à polluer. Non, Messieurs les Ministres, les terres ne sont pas que des calculettes à carbone ! Des gens y vivent, en vivent et vous êtes en train de les oublier.

Sans garanties de protection des droits humains, dont le droit à l’alimentation, ce sont les plus vulnérables qui pâtiront non seulement des effets des dérèglements climatiques mais aussi des actions entreprises pour soi-disant lutter contre.

Il ne reste plus que quelques heures pour faire marche arrière : il faut supprimer la référence à la production alimentaire et remettre au cœur de l’accord les droits humains et la sécurité alimentaire.