—Par Sylvie Morin(*) —
[…] Le problème majeur avec les concours de beauté, c’est l’objectification de la femme. Dans ces compétitions, on juge la femme comme un objet, puisqu’on la juge avant tout selon son apparence physique. On renforce donc cette image de femme-objet déjà trop présente dans la société et dans les médias.
Une étude récente (Bernard et al., 2012), publiée dans Psychological Science, suggère d’ailleurs que les femmes sexualisées sont perçues comme des objets, mais pas les hommes sexualisés, qui eux sont toujours vus comme des personnes.
De plus, de nombreuses études laissent croire que l’objectification de la femme pourrait contribuer à des problèmes qui touchent majoritairement les femmes, tel que les troubles alimentaires (p. ex. anorexie), une faible estime de soi et la violence.
D’autres études ont même démontré que les femmes parlent moins lorsqu’elles sont objectifiées et qu’elles sont en présence d’hommes, alors que ce n’est pas le cas des hommes objectifiés.
Ainsi, le fait de mettre l’accent sur le corps de la femme fait en sorte qu’elle n’ose pas exprimer les autres aspects de son individualité, tels que sa personnalité et ses idées. Lorsque l’attention des autres est fixée sur son physique, la femme se tait, elle participe peu aux échanges sociaux et n’a pas tendance à faire valoir ses idées, à prendre sa place. Globalement, les femmes semblent donc subir davantage les effets de l’objectification que les hommes.
Il faut donc se demander quelles sont les conséquences de ces concours de beauté sur les participantes. Les candidates se sentent peut-être valorisées, du moins les gagnantes, mais le sentiment de valeur qui en découle est instable, puisqu’il est axé sur l’apparence physique, sur le paraître, dimension de la personne qui est elle-même instable et changeante.
On peut aussi se questionner sur l’effet des concours de beauté sur la société. Quel message envoyons-nous aux femmes, aux filles et même aux hommes, aux garçons? Quels modèles offrons-nous aux jeunes filles? Nous leur offrons des modèles qui ont une qualité: la beauté telle que décrite par les normes, qui est d’ailleurs souvent une beauté sexualisée. Certes, elles ont d’autres qualités, mais ces dernières ne sont pas importantes; elles ne leur permettent pas d’être reconnues et appréciées, elles ne donnent pas de pouvoir. Du moins, c’est le message que les jeunes filles reçoivent.
L’idée n’est pas de rendre les concours de beauté responsables de tous les maux de la société et du sexisme qui malheureusement persiste. Le sexisme existait bien avant que ces concours ne voient le jour. Or, ils perpétuent les stéréotypes, l’image de la femme au physique parfait, hypersexualisée, qui est belle et qui se tait. Bien sûr, on ne leur demande pas toujours de se taire, car on évalue aussi la personnalité et le talent dans certains concours de beauté. Mais quel est le critère numéro un pour l’évaluation des candidates? Est-ce qu’une fille qui a toutes les qualités et les talents, mais qui ne correspond pas aux critères de beauté actuels pourrait gagner?
Une réaction commune à la critique selon laquelle ces concours de beauté sont sexistes est de mettre l’accent sur le libre choix des participantes. Mais dans quelle mesure ce choix est-il libre? Après tout, nos préférences, nos attitudes et nos croyances sont le produit d’une multitude d’influences, provenant largement de l’environnement social. Considérant que les médias et la culture de masse nous martèlent d’images où la femme est avant tout sexualisée et objectifiée, on peut se demander où est la liberté dans ce choix de participer à un concours de beauté.
En fait, bien que nous fassions tous et toutes des choix individuels, ces choix s’inscrivent dans les options déterminées par des forces plus grandes que nous, mais auxquelles nous participons (la société, les médias, les grandes entreprises, les gouvernements). Les filles et les femmes qui participent à des concours de beauté font ce choix parce qu’elles s’y trouvent valorisées. Ceci est aussi vrai pour beaucoup de choix, non seulement de toute femme, mais de tout être humain.
Mais, parmi les options disponibles aux femmes pour se sentir valorisées, l’apparence tient une place démesurée. Et il ne faut pas oublier que le message qui est transmis aux filles dès leur plus jeune âge est que leur valeur et leur pouvoir dépendent de leur apparence physique. Pas étonnant que plusieurs femmes se penchent vers cette avenue. Si on valorisait autant la participation des femmes à la vie démocratique, à la gouvernance, aux entreprises ou aux médias, nos problèmes de sous-représentation des femmes dans ces sphères seraient peut-être vite réglés.
Considérant l’image de la femme diffusée par les concours de beauté et les conséquences de l’objectification pour les femmes, on ne peut prétendre que ce genre d’activité est bénéfique pour la société. Quand on voit, chaque jour, les effets négatifs de notre obsession collective relativement à l’apparence des filles et des femmes (anorexie, faible estime de soi, etc.), il est difficile de justifier la tenue d’événements communautaires qui définissent uniquement la valeur des femmes par leur apparence physique.
Si on veut avancer vers une société égalitaire, où les filles et les femmes occupent des postes de responsabilité et font preuve de leadership en politique, en entreprise et dans la communauté, au même titre que les hommes, il faut commencer par leur offrir des modèles et des activités qui vont leur permettre de développer la confiance en soi nécessaire. Nous encourageons donc les organisatrices et organisateurs de tels événements à trouver des moyens plus créatifs d’inciter la participation à leurs événements, des moyens qui renforcent le leadership et le pouvoir d’agir des gens.
En somme, j’espère sincèrement que nos communautés innoveront et offriront aux jeunes des activités qui leur permettront de se valoriser autrement que par leur apparence afin qu’ils développent une estime de soi solide axée sur l’ensemble de leurs qualités; sur l’être plutôt que sur le paraître. Néo-Brunswickoises et Néo-Brunswickois, la balle est dans votre camp.
(*) Présidente du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick
Professeure de psychologie, UMCE
Source Acadie Nouvelle