Contrats aidés et système éducatif

— Par Roland Tell —

Le conflit social martiniquais, à propos des contrats aidés, pose la question essentielle de savoir s’il existe vraiment un système pédagogique français. Cette question se pose d’autant plus que l’Education Nationale est loin de répondre, à l’heure actuelle, aux besoins éducatifs, repérés dans leur généralité.

Le système éducatif oublie-t-il qu’il est lui-même un élément dans un « système », dans un ensemble qui le déborde de toutes parts. Les tâches, qu’il assume, sont le reflet de la société moderne dans laquelle il vit, et dont il est une émanation. C’est pourquoi l’Education Nationale doit tenir compte des réalités sociales, qui peuvent se révéler parfois d’avant-garde pour la rénovation pédagogique. La société globale exerce une influence déterminante sur l’image, que le système éducatif doit se faire de lui-même, de ses propres finalités et de ses propres structures. Ses tâches sont extrèmement diverses. Il lui faut : – dispenser le savoir, c’est sa tâche la plus facile ; – fonder différents niveaux de socialisation, c’est-à-dire amener les gens à vivre ensemble dans une société donnée, où les relations sociales présentent certaines structures. La liberté, la création individuelle, l’image de l’élève, évoluent, et donc l’école doit aussi évoluer !

Le système éducatif français est difficilement un système, parce que ses tâches sont extrèmement diverses, sans qu’il ait, lui-même, la liberté totale de les définir. Ne détermine-t-il pas l’accès à des professions, ou à des statuts économiques et culturels ? La demande d’éducation, dans son ensemble, est liée à la recherche d’un « statut économique ». C’est pourquoi il existe des pressions sur le système éducatif, et ces pressions peuvent être en contradiction avec les exigences de la planification politique. L’inertie considérable, l’autoperpétuation, l’attachement à la catégorisation, empêchent généralement toutes avancées et toutes transformations, dans le sens de la rénovation pédagogique. Ce qui fait que les rapports de socialisation du système éducatif, et ceux des sociétés globales d’Outre Mer, ne sont pas simples, concernant les choix, à la fois philosophiques et rationnels, susceptibles de s’incarner dans les déterminations politiques.

En fait, qu’appelle-t-on « système »? On appelle « système » la résultante d’équilibres et de tensions, qu’entretiennent entre elles les forces èconomiques et sociales, intéressées par le système. Certes, y-a-t-il toujours homogénéité entre, d’une part, les choix politiques et les dominantes sociales et économiques de nos sociétés ultramarines, et, d’autre part, les forces, les valeurs, les attitudes, les moeurs, de la société globale française ? A cette question, il faut bien sûr répondre par la négative ! Les luttes actuelles, les tensions sociales, les équilibres recherchés, les arbitrages administratifs, les marchandages politiques se déroulent Outre Mer avec toujours un temps de retard, s’agissant notamment du système éducatif. C’est ce temps de retard, qui le fait paraître « conservateur », à propos, par exemple, des contrats aidés. Comment faire pour rendre le système immédiatement instituant Outre Mer? Les demandes sociales ne sont-elles pas presque toujours des demandes de restitution aux sociétés ultramarines, comme maintenant pour les contrats aidés ? Ce qui fait qu’il n’y a pas d’adaptation entre l’idéologie que le système a intériorisée à une certaine époque (la suppression des contrats), et ce qu’il est capable de rendre, par exemple, à la société martiniquaise, à l’époque actuelle, bien au-delà d’ailleurs de la rentrée scolaire. C’est toujours, à cause de ce temps de retard, qu’il n’y a pas une harmonie préétablie entre le système éducatif et les Outre Mer !

En conclusion, le conflit social actuel, concernant le maintien de l’ensemble des contrats aidés martiniquais, révèle, au grand jour, que le système éducatif français n’a rien de spécifique au regard des Outre Mer ! Car il présente des contradictions entre l’adaptation aux besoins économiques, et la promotion inconditionnelle des personnels détenteurs des contrats aidés, entre les objectifs de l’enseignement, et les objectifs sociaux, politiques, économiques, des Outre Mer. N’est-ce pas que le système éducatif garde, comme caractéristique paradoxale, la centralisation, héritage de la Révolution française, provoquant, encore aujourd’hui, l’effacement des particularismes d’Outre Mer, en proclamant plus que jamais « La République Une et Indivisible » ? Car la centralisation amène forcément un fonctionnement par crises, puisque étant manifestement faite pour offrir des résistances insurmontables aux changements. Ce qui est confirmé, une fois encore, par l’expérience douloureuse de suppression de centaines de contrats aidés ! C’est pourquoi il faut inlassablement plaider pour une centralisation moindre, une plus grande souplesse aux Collectivités d’Outre Mer, liée à des possibilités d’initiative, permettant l’innovation administrative et pédagogique, et des ouvertures à l’expérimentation.

ROLAND TELL