CONTE 14
Il était une fois une mère qui avait promis sa fille en mariage à quatre hommes différents.
A l’approche du mariage, elle ne sut plus que faire. Son cœur se déchira, elle se mit à pleurer et à se lamenter quand un vieux marabout vint lui rendre visite.
Ce dernier lui demanda la cause de son chagrin et elle lui expliqua la situation.
Le marabout lui demanda si elle a un chat, si elle a un chien, si elle a un âne et à chaque fois elle répondit « Oui ». Puis il lui demanda de conduire chacun de ces animaux dans une pièce différente et il transforma chacun d’eux en une copie de la fille, mais dans une quatrième pièce, il installa la fille elle-même.
Dans la première nuit l’un des prétendants entre dans la première pièce, dans la seconde nuit, le second prétendant entre dans la seconde chambre.
Dans la troisième nuit, le troisième entre dans la troisième chambre. Dans la dernière nuit le quatrième entre dans la dernière chambre.
Durant les quatre nuits, la mère ne sait même plus , parmi les quatre, qui est sa vraie fille tellement le marabout les a faites semblables.
Arrivée chez la première fille, la mère demande au prétendant comment il la trouve. Ce dernier répond en criant que cette fille est impossible, qu’elle se dispute toujours avec lui en hurlant et est toujours de mauvaise humeur. Il ne veut pas l’épouser. La mère a compris que c’est le chien que le marabout a transformé en sa fille.
Arrivée chez la seconde, elle demande au prétendant s’il est content. Il répond de mauvaise humeur :«Pas du tout, votre fille a un cœur noir», et en effet, elle comprend que c’est l’âne qui a un cœur noir.
Arrivée chez la troisième, elle demande à nouveau si le prétendant est content. Ce dernier répond en maugréant: «Pas du tout, votre fille est vraiment trop paresseuse». La mère comprend qu’il s’agit du chat que le marabout a transformé en sa fille.
Et enfin, elle arrive dans la quatrième pièce, et là sa fille, souriante, se lève tout de suite, lui donne de l’eau à boire, se lave et prépare un poulet pour le repas. Sans poser de question au prétendant, la mère reconnaît que c’est là sa vraie fille et son futur gendre la félicite d’avoir si bien éduqué sa fille qui est si gentille, joyeuse et travaille comme il faut.
Ainsi, ce fut un beau mariage et les époux vécurent heureux tous les jours que Dieu leur donna.
On dit que dans la vie, il ne faut pas trop vouloir au-delà du raisonnable.
Le conte prend fin et se tait.
Commentaire :
Ce conte peut passer pour une illustration de la condition traditionnelle des femmes au Pays Dogon. La fille ne peut avoir de volonté propre, mais elle doit avoir certaines qualités de caractère pour assurer la vie familiale et satisfaire son mari : « être gentille, joyeuse et travailler comme il faut ». Elle doit éviter la colère ( le chien), la mauvaise humeur(l’âne), la paresse ( le chat). Il n’est bien sûr pas question qu’elle choisisse elle-même son époux, c’est le rôle de la mère ( éventuellement du père) qui va s’enquérir dans un village voisin ( principe de l’exogamie) d’une possible alliance. Traditionnellement, il existait une promesse parentale de mariage entre deux enfants dès le plus jeune âge pour consolider l’alliance entre deux familles. Cette coutume tend aujourd’hui à tomber en désuétude, elle se pratique encore, mais les jeunes n’en tiennent plus compte quand ils sont en âge de se marier et il ne leur en est pas tenu rigueur.
Il est frappant dans ce conte qu’il ne soit question que des qualités requises pour l’épouse et jamais de celles de l’époux. Reste à savoir si d’autres contes parleraient du « bon époux « !
Les relations homme-femme au Pays Dogon sont assez difficiles à cerner. Dans la vie quotidienne, les femmes ont leurs activités particulières qui sont lourdes : s’occuper de la maison et des jeunes enfants, puiser l’eau au puits, piler le mil, aller en brousse pour chercher du bois etc…, par les chaudes après-midi, elles filent la laine. Beaucoup de ses activités sont menées en groupes dans lesquels règne une ambiance souvent joyeuse. Au moins une fois par semaine, elles vont à pied au marché de la bourgade la plus proche située à 12 km, une charge sur la tête. Si l’on ajoute à ce travail physique les grossesses presque chaque année, on ne s’étonnera pas qu’une femme de 35 ans ait déjà beaucoup vieilli.
Ceci dit, les femmes ont leur autonomie financière, symbolisée par le « grenier de la femme », une petite case où elle met ses bijoux, quelques économies etc… , tandis qu’il n’y a pas de « grenier masculin »,mais le grand grenier familial qui contient essentiellement la réserve de mil de l’année.
Les hommes ont beaucoup de travail au moment des travaux agricoles. Ils ont en charge la rénovation des maisons et quelques uns sont artisans ou commerçants. Enfin d’autres migrent temporairement dans d’autres régions du Mali ou en Côte d’Ivoire, rarement plus loin à l’étranger. Ceci dit, on voit souvent au village des hommes boire le thé ensemble pendant les chaudes après-midi et bavarder longtemps, ce qui n’est jamais le cas des femmes !
Hommes et femmes ont donc chacun leur monde spécifique pendant la journée. Il reste la nuit .. pour les paroles …Un secret. Il ne faut pas oublier les nombreuses et belles statuettes dogon représentant le couple originel qui signifieraient que le couple homme-femme est un idéal qui illustre l’alliance et le jeu du masculin et du féminin au niveau cosmique. Alors, pourquoi la polygamie dans la société dogon? Elle s’expliquerait davantage par les nécessités de la survie du groupe social – maintenir un haut taux de natalité – que par des considérations religieuses. La polygamie dépend de la richesse du mari. Les pauvres ont une seule femme. « Chacun fait comme il peut » comme me disait un chef de village qui avait plusieurs épouses.
Ces coutumes ( séparation des sexes dans la vie quotidienne) sont les mêmes pour les jeunes. Les garçons circulent en bande dans le village, palabrent à longueur de journée, jouent au foot … Les filles aident leur mère. Mais la situation évolue avec la scolarisation depuis une vingtaine d’années. Dans ma cour depuis 2000 ne venaient que les garçons, puis peu à peu quelques filles scolarisées sont venues et il s’établissait alors des relations de camaraderie entre filles et garçons. Avec retenue. Mais le village a ses secrets, ceux de la nuit …
Ce tableau fait de la société dogon une société pudique où chacun a son rôle et cela est parfaitement intériorisé. La tradition dogon a ses règles et ses coutumes intangibles, mais elle n’est pas inquisitrice, elle ne cherche pas à percer les secrets que tout individu peut avoir en lui et en ce sens c’est une tradition tolérante portant une grande sagesse. De mauvais esprits diront certes que c’est aussi une tradition qui incite à l’hypocrisie en fermant les yeux et en ne voulant pas savoir ce qui reste discret ou dissimulé.
Cette division des domaines masculin-féminin, se répète au niveau de la politique locale. Les femmes ne participent pas aux instances de pouvoir local ( réunions des chefs de village) mais elles ont leurs propres associations et peuvent formuler des revendications ou des avis sur des questions les concernant.
PS à propos du « marabout » : Ce personnage représente l’islam. En effet, depuis une soixantaine d’années, certains villages sont islamisés plus ou moins superficiellement. Il n’en reste pas moins que les croyances traditionnelles empreintes de magie subsistent. On a reporté ici les pouvoirs magiques du Hogon ( le chef spirituel de la tradition dogon) sur le marabout.
Lire :« Contes Dogon », recueillis par Malick Guindo à Endé (Pays Dogon) Mali