CONTE 15
Un jour, un homme était parti à la chasse, mais sans rien trouver. A son retour, il rencontra un serpent et il voulut le tuer.
Mais le serpent s’enfuit et alla se réfugier chez un griot. Quand le chasseur à la poursuite du serpent, arriva chez ce griot, celui-ci lui dit qu’il n’a rien vu. Après le départ du chasseur, le serpent voulut mordre le griot qui se mit à hurler de terreur.
C’est alors qu’un oiseau tout blanc vint se poser dans la cour du griot et l’oiseau lui demanda : « Que se passe-t-il? Pourquoi pleures-tu ? », et le griot lui expliqua que le serpent lui faisait très peur. L’oiseau lui dit : « Je peux t’aider, mais tu sais, les hommes d’aujourd’hui sont très ingrats, j’ai peur que tu ne le sois comme les autres». Et le griot de répondre : « Non, moi, je ne suis pas comme les autres ». Alors, l’oiseau a pris le serpent dans son bec et l’a jeté très loin puis il s’apprêta à partir en ouvrant largement ses ailes. C’est alors que le griot le saisit par ses deux pattes en disant : « Je dois faire aujourd’hui un sacrifice avec un coq blanc, mais comme je n’en ai pas trouvé, tu feras bien l’affaire ! »
Comme ils étaient en train de se disputer et de se battre, le Hogon passa par là et leur demanda la raison de leur dispute. L’oiseau lui expliqua sa peine et le Hogon dit au griot : « Laisse donc partir ce pauvre oiseau, j’ai chez moi un beau coq blanc que je vais t’offrir « . Et l’oiseau tout content s’envola, mais au préalable en arrachant et emportant dans son bec l’oeil du Hogon
Alors, parmi tous ceux-là, quel est le plus ingrat ?
Commentaire : Ce conte met en scène plusieurs personnages typiques d’un village dogon : le chasseur, le griot et le Hogon. Le chasseur n’est pas seulement celui qui pourvoit la famille en gibier ( aujourd’hui ce n’est plus guère le cas), il est le membre d’une association très ancienne d’autodéfense du village avec ses rites, ses secrets, ses codes, son éthique. Le griot est la mémoire du village, il connaît et raconte l’histoire de la communauté, il est poète, maître de la Parole si valorisée par les Dogon. Le Hogon est le chef spirituel de la religion dogon, personnage sacré le plus important dans la société, il vit à part du village, dans une caverne de la falaise où on vient le consulter et lui apporter à manger Son corps doit être sans blessure, ni handicap. C’est pourquoi l’oiseau qui l’éborgne commet un crime blasphématoire particulièrement grave.
Les personnages à figure humaine, le chasseur et le griot sont des personnages dignes et respectés de la communauté villageoise. Il est donc particulièrement troublant que le conte indique qu’ils peuvent être suspectés d’ingratitude, sauf le chasseur par lequel commence le conte, mais c’est un bien piètre et ridicule chasseur qui revient bredouille et a peur d’un serpent ! Les animaux sont aussi des humains comme dans tous les contes et représentent des traits de caractère : le serpent, on le sait, est méchant et fourbe, on ne peut s’étonner de son ingratitude, mais pour l’oiseau blanc ( on peut penser à une colombe) c’est plus surprenant et décevant d’autant plus que son crime est odieux et impardonnable. Méfiez vous donc autant et plus des humains-colombes que des humains-serpents! Ce qui complique les choses est qu’un individu qui fait preuve de générosité en une circonstance , peut très bien devenir méchant à un autre moment: le griot sauve le serpent puis veut sacrifier l’oiseau, l’oiseau sauve le griot puis éborgne le Hogon Le pessimisme – ou la lucidité ! – de ce conte est sans limite. Seul le Hogon est victime innocente et ne peut être suspecté d’ingratitude … puisque le conte s’arrête là !
Dans la mesure où ces personnages respectables et respectés de la tradition dogon sont soit ridiculisés ( le chasseur) soit stigmatisés et dénoncés (le griot et tous ceux et celles qui se font passer pour de « blanches colombes » ) le conte a un certain aspect socialement subversif.
Lire :« Contes Dogon », recueillis par Malick Guindo à Endé (Pays Dogon) Mali