CONTE 13
Il était une fois un coq et un chat qui étaient des amis intimes. Ils causaient ensemble, l’un accompagnait l’autre et ils se disaient leurs secrets.
Chaque soir, le chat avait faim et il avait bien envie de manger le coq, mais il se retenait car il croyait que la crête du coq était une corne.
Mais un jour, comme ils causaient et rigolaient, le chat a profité d’un moment d’inattention de son ami pour toucher sa crête et il put constater qu’elle était en chair.
Un autre jour alors qu’ils se promenaient ensemble, le chat se jeta sur le coq et le dévora.
C’est pour cela qu’il ne faut jamais montrer son point faible à ses amis.
Le conte prend fin et se tait.
Commentaire : Au Pays Dogon, la solitude est inconnue. C’est une société « chaude » où chacun(e) est en permanence en relation avec les autres par de multiples attaches familiales, économiques et d’entraide ou d’expériences ( celle de la migration par exemple) Il se constitue bien sûr divers groupes par âge, par activité, par intérêts, par affinité, par le vécu commun. Il peut y avoir des jalousies, des médisances, du mépris mais cela est régulé par l éthique sociale qui maintient les équilibres et l’esprit de communauté. L’amitié en Pays Dogon n’a pas besoin d’être prônée, elle est une évidence quotidienne. Le conte justement met en garde contre une amitié mal comprise, en quelque sorte contre un risque de l’amitié qui consisterait à trop se dévoiler et à livrer tout son être à ses amis. Il se peut que l’ami soit trop différent, ici le coq par rapport au chat ( et dans le fond tout sujet est différent et incommensurable à l’autre). Le coq est un personnage ridicule qui porte ses secrets sur sa tête ! Donc il lui en coûtera. Le conte appelle ainsi à la mesure et à la lucidité : « Ne livre pas tous tes secrets, garde ton for intérieur, le noyau de ton être ». C’est là un conseil inattendu dans une société qui fusionne tellement les uns avec les autres, par les fêtes, par la danse et la musique, par le sens du commun, par la parole, si bien que l’on est allé jusqu’à dire que l’être humain dans les sociétés traditionnelles n’a pas de « Moi », mais un « Nous ». Eh bien ici, le conteur prend conscience et fait prendre conscience de ce risque . « Je me prête aux autres, mais ne me donne pas » disait Montaigne qui avait par ailleurs un sens profond de l’amitié. Ce conte tout simple présente une grande finesse psychologique !
Lire :« Contes Dogon », recueillis par Malick Guindo à Endé (Pays Dogon) Mali