Il admet sa « valeur constitutionnelle » et acte la fin de l’exportation de pesticides interdits mais produits en France.
— Par Stéphane Mandard —
Dans le combat acharné qu’ils mènent pour continuer à produire en France des pesticides pourtant interdits en Europe en raison de leur toxicité, les géants de l’agro-chimie viennent de perdre une manche sans doute définitive. Dans une décision rendue vendredi 31 janvier, le Conseil Constitutionnel vient de rejeter la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’Union de l’industrie de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe Bayer, Syngenta, BASF et tous les fabricants de produits phytosanitaires implantés en France.
Par cette décision inédite, le Conseil constitutionnel reconnaît pour la première fois que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » qui peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ».
La QPC visait l’article 83 de la loi sur l’alimentation (Egalim) d’octobre 2018 interdisant, à partir de 2022, la production, le stockage et de la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non autorisées en Europe pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou à la préservation de l’environnement.
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A l’instar de l’atrazine, désherbant utilisé dans les champs de maïs dont l’usage est banni dans l’Union européenne depuis 2003 en raison de son potentiel cancérigène, perturbateur endocrinien et de ses effets délétères sur le développement intra-utérin, de nombreux pesticides interdits sont toujours produits en France dans le but d’être vendus, principalement dans les pays en développement et tout particulièrement en Afrique. L’article 83 vise à mettre un terme à cette activité à risque pour les populations exposées mais très juteuses pour les fabricants.
L’UIPP estimait que ledit article portait une « atteinte excessive à la liberté d’entreprendre protégée par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Pour le syndicat, qui regroupe dix-neuf entreprises, dont certaines sont à la fois productrices de pesticides et de semences, l’interdiction aura « un effet sanitaire nul » dans la mesure où elle est limitée à la France et n’empêchera donc pas les exportations depuis d’autres pays. Elle introduit en revanche une « distorsion de concurrence » en défaveur des entreprises implantées sur le territoire national.
Le Conseil constitutionnel n’a pas été convaincu par les arguments de l’UIPP. Les « Sages » ont estimé que l’article 83 était « conforme » à la Constitution. Ce jugement ouvre la voie à la fin d’une pratique (« exposer la population d’autres pays à des pesticides extrêmement dangereux dont l’utilisation n’est plus permise dans les pays industrialisés ») dénoncée par l’Organisation des Nations unies dans son rapport 2017 sur le droit à l’alimentation comme « une violation des droits de l’homme ».
Surtout, pour la première fois, le Conseil constitutionnel estime qu’« il appartient au législateur d’assurer la conciliation des objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé avec l’exercice de la liberté d’entreprendre. À ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger ».
Ses membres jugent ainsi que par « l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre » via cette interdiction, « le législateur a entendu faire obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l’environnement ».
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