— Par Patrick Lozès (Fondateur et ancien président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN)) —
Le débat sur les réparations de l’esclavage rebondit sur le terrain judiciaire après la plainte envisagée contre la Caisse des dépôts et consignations. Cette initiative non concertée et juridiquement fragile répond à une stratégie de court-terme : celle du coup médiatique.
Cette action inquiète la société française, elle divise les descendants d’esclaves notamment parce que les nombreuses associations et personnalités qui s’invertissent depuis longtemps sur cette question ont été court-circuitées.
Le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) a vocation à intervenir dans le débat sur les réparations, mais pourquoi le faire d’une manière durablement conflictuelle ? Lorsqu’en 2002, nous avons mené une intense campagne de recrutement pour créer le Capdiv (Cercle d’action pour la promotion de la diversité en France), qui fondera ensuite en 2005 le CRAN, il était évident pour les chercheurs, responsables associatifs et politiques qui avaient accepté de travailler à la mobilisation autour des questions liées aux populations noires de France, que notre action collective devait être exigeante mais responsable envers la République.
SOULEVER DES QUESTIONS TABOUES
Poursuivant la longue quête menée par plusieurs groupes en France avant lui, le CRAN pendant de longues années a contribué à soulever des questions jusque-là taboues. Il a plus souvent qu’à son tour, posé des questions dérangeantes, interrogé le passé de la France et incarné des propositions polémiques. Etre exigeant envers son pays et ses dirigeants, pourvu que ce soit dans le sens de l’intérêt général et le strict cadre des valeurs de la République, nous a toujours semblé de notre responsabilité citoyenne.
Si nos relations avec les gouvernements et les responsables institutionnels ont parfois été tendues, nous avons toujours réussi à trouver une zone d’équilibre, y compris quand les points d’accord étaient improbables. Sur les questions mémorielles, la concorde nous a paru être le meilleur chemin pour parvenir efficacement à la reconnaissance des blessures de l’Histoire.
Nous avions à l’esprit que c’est à l’unanimité que la loi du 10 mai 2001 dite « Taubira », cette loi, essentielle dans notre Histoire collective, a été votée au Sénat. C’est dans le consensus que la République française a reconnu que la traite et l’esclavage » constituent un crime contre l’humanité « .
C’est en hommage à cette avancée historique incontestable, qui s’est déroulée au Parlement, que nous célébrons depuis le 10 mai 2006 les mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, afin qu’elles appartiennent vraiment à l’histoire commune.
Cette tragédie, nous Français l’avons vécue ensemble, des deux côtés de la barrière, le bourreau et l’esclave. Nous devons la comprendre, la conjurer ensemble, pour que nous puissions, un jour, devenir réellement égaux.
La République a besoin que tous les Français, se souviennent et se recueillent ensemble à la mémoire des dizaines de millions de victimes de ces crimes abominables.
RÉPARATIONS INDISPENSABLES
Oui, l’esclavage a été un crime. Et la colonisation, une aventure indigne. Les réparations sont indispensables. Mais elle doit être collective, car identifier précisément les victimes puis leurs descendants n’est pas chose aisée.
La demande de réparations peut aussi déraper comme on le voit aujourd’hui et il faut y prendre garde. Utiliser ce passé comme source de pouvoirs et de privilèges est troublant.
Les avantages collectifs, c’est-à-dire la construction de lieux de mémoire sont préférables car ils permettent aux descendants de victimes de comprendre et faire comprendre, l’horreur. Cela permet aussi que le pays tout entier puisse apprendre du passé, pour s’approprier cette mémoire qui ne peut qu’être une mémoire commune, et non pas une mémoire de quelques-uns contre d’autres.
Des musées, des instituts ou des centres culturels internationaux doivent être construits. Des bourses d’études doivent être attribuées, des chaires universitaires créées, l’enseignement de l’esclavage et de la colonisation doit être renforcé. Aucune piste, aucune voie donnée à l’intelligence, ne doit être négligée.
Le président de la République, lui qui a la charge de la cohésion de notre Nation, doit tout mettre en œuvre pour que le devoir de mémoire apaise, rassemble et jamais n’oppose.
Patrick Lozès (Fondateur et ancien président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN))
Le Monde.fr | 13.05.2013 à 16h22
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/13/conjurer-ensemble-l-esclavage-et-devenir-reellement-egaux_3177079_3232.html