— Contribution de Robert Saé —
Première partie: Quels avancées et quels obstacles?
En vous proposant d’échanger sur les avancées et les obstacles que nous avons pu observer, pendant ces plus de cinquante années au cours desquelles nous avons milité pour la cause de la libération nationale, notre objectif est que nous tirions collectivement des leçons qui nous permettront d’être plus efficaces dans la poursuite de notre lutte commune.
La première remarque que nous pouvons faire, c’est que l’essentiel de ce qui s’est passé sur ce plan a laissé peu de traces valablement perçues dans la mémoire collective de notre peuple. Bien peu de nos compatriotes connaissent des événements sociaux majeurs qui se sont déroulés pendant cette période. (affaire Pelé, grève de 74, événements de Bochèt, deux mobilisations pour empêcher la venue de Lepen, etc.) La majorité n’a pas conscience des avancées fondamentales qui ont été faites pendant cette période qui est, pourtant, très courte du point de vue historique.
Aujourd’hui, les plus grandes incertitudes planent, que ce soit sur le plan économique, le plan politique ou le plan social. On sent bien que les lignes bougent mais, nombreux sont ceux qui l’expriment : “on ne sait pas où l’on va!”. Eh bien, il y a un sage proverbe africain qui nous l’enseigne : “Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.” C’est pour cela qu’il est indispensable que nous fassions un bilan des actions que nous avons menées dans le cadre de la lutte pour la libération nationale.
Pour mesurer le chemin parcouru pendant le demi-siècle passé, il nous semble important de rappeler quel était le tableau au début des années 70.
Qui aujourd’hui peut s’imaginer qu’à cette époque, tout étudiant, tout syndicaliste, tout militant politique qui arrivait à l’aéroport du Lamentin, après un séjour en France, voyait ses bagages scrupuleusement fouillés et saisir tout document faisant la moindre référence à des idées de gauche, allez voir “séparatistes”? Quel que soit le quartier où un militant allait parler d’autonomie ou d’indépendance, il pouvait être pourchassé et même physiquement agressé. La domination, pour ne pas dire la dictature, des békés, des membres de l’administration française, des élus réactionnaires en place était sans partage. La propagande du régime colonial dans les médias était exclusive et la censure implacable.
Il est donc incontestable que nous avons réalisé des pas de géants dans de nombreux domaines. Nous en retiendrons quatre particulièrement significatifs:
– Premièrement, en ce qui concerne le front syndical : jusqu’en février 1974, toutes les grèves dans le secteur de l’agriculture étaient spontannées et se terminaient avec des assassinat de travailleurs par l’armée coloniale et par des résultats décevants quant aux revendications. A part les ouvriers du bâtiment et les dockers, peu de travailleurs étaient organisés en sections actives. La pratique du syndicalisme consistait principalement à acheter une carte et à descendre “an ba mango-a” quand on avait un problème. A partir des années 70, on a assisté à la création de sections syndicales à la base, particulièrement dans le secteur agricole et cela essentiellement sous l’impulsion des militants qualifiés de “gauchistes”. Des grèves d’un type nouveau, préparées en amont sur le terrain, se sont multipliées (ex: la grève victorieuse de Gravillonord). Plusieurs centrales syndicales ont vu leur orientation évoluer et se sont détachées des organisations françaises dont elles dépendaient. D’autres, comme l’UGTM, se sont créées sur des bases nationales.
-La deuxième illustration concerne le front électoral. Avant les années 70, l’état colonialiste et les forces les plus réactionnaires de la droite exercaient un contrôle totalitaire sur toutes les élections. A l’époque, on voyait avaliser des scrutins dans lesquels le nombre de votants était supérieur au nombre d’inscrits! Les bandes de nervis faisaient la loi et attaquaient physiquement les opposants qui osaient tenir des conférences. Le PPM s’était organisé pour les contrer mais il s’était mis aussi à utiliser les mêmes méthodes contre ses opposants. Le coup d’arrêt à ses pratiques a été donné en 1989 grâce à l’intervention d’une certaine organisation. Au fur et à mesure, la situation s’est assainie et des mouvements, disons d’extrême-gauche pour aller vite, ont commencé à participer aux élections. Des expériences d’alliances ont été faites, par exemple avec l’UPAP (Garcin et moi avions été élus au Conseil Régional dans ce cadre). Avec aussi l’alliance MIM-CNCP qui avait remporté la majorité au CR avec 75.000 voix. Plus récemment, Il y a eu l’expérience de “Nou pèpla” qui, après une très brève existence, avait obtenu un score plus qu’honorable de 7300 voix à la première élection de la CTM. Notons que dans ces trois cas-là, les expériences ont eu des suites décevantes.
-La troisième avancée importante qu’on peut relever est d’ordre sociétal. A l’échelle du pays, les relations entre les différentes classes et couches sociales ont connu une évolution spectaculaire. Il était jusqu’alors impensable que quelqu’un du peuple puisse remettre en cause la férule de ceux d’en haut. Aujourd’hui, élus, administratifs, professeurs et même religieux sont totalement désacralisés et, du plus bas de l’échelle, on n’hésite plus à “rantré an kô yo”. Quant aux békés, le phénomène est plus récent, mais il est encore plus criant. En cela, le peuple s’est débarrassé d’un véritable carcan mental. Cette mutation s’est accompagnée de la création d’associations et de comités divers portant les contestations populaires dans tous les domaines.
-Enfin, la quatrième avancée, essentielle celle-là, s’est manifestée sur le plan idéologique et identitaire. La dictature de l’idéologie assimilationniste a volé en éclats. Le créole qui était considéré comme une langue de “bitako” s’est installé dans toutes les sphères de la société. Battre le tambour, c’était une affaire de “vié nèg”. Notre musique nationale s’est imposée dans tous les espaces, officiels ou non. La Révolution anti-esclavagiste était totalement méconnue de notre peuple, aujourd’hui, le 22 mai est célébré dans les moindres recoins du pays. Le plus savoureux dans l’histoire, c’est que les pires réactionnaires se sont vus obligés de rentrer dans la danse. Le sentiment d’appartenance à la nation martiniquaise et à l’espace caribéen s’est bien ancré et se manifeste par un rassemblement sans cesse plus large autour de notre drapeau Rouge Vert Noir. Les quatre serpents ont été balayés, emportant avec eux les lambis avortés.
Vous comprenez bien que toutes ces importantes évolutions ne sont pas le résultat de l’opération du Saint-Esprit.
Il s’agit là du résultat d’un travail ininterrompu et acharné mené par des militants politiques au prix de lourds sacrifices et en dépit d’une répression féroce de la part des colonialistes et de la caste béké. Nous parlons de la lutte courageuse menée par les vrais militants communistes d’avant 70, de l’action de l’OJAM, de l’ASSAUPAMAR, des groupes dits “gauchistes” de l’époque, des jeunes de ALCPJ qui, aux côtés des Comités populaires, ont milité autour du slogan “Tout pèp-la sanblé, nou ké fè an péyi-nèf”. Nous parlons de la Communauté Rastafari qui a su résister à l’ostracisme dont elle était victime pour enraciner des pratiques de dissidence économique et culturelle, du MIR et des organisations panafricanistes plus récentes, qui ont imposé dans le débat la question des réparations et le respect de nos racines ancestrales. Nous pensons enfin à ces jeunes militants d’aujourd’hui qui ont secoué le paysage politique et social avec leurs actions de boycott des empoisonneurs et de destruction des symboles colonialistes qui nous insultaient dans l’espace public.
C’est tout cela qui confirme que nous avons bien emprunté la voie de la libération nationale et que rien ne saurait arrêter la dynamique.
Il est tout à fait compréhensible que beaucoup se posent des questions: “Pourquoi n’y a-t-il pas eu une transmission plus conséquente?”; “Pourquoi tant d’organisations prometteuses ont-elles cessé d’exister?” Nous pourrions lister de nombreux autres “pourquoi?” mais ce qui, selon nous, permettra à chacun d’y porter réponse, c’est de mettre en lumière les obstacles qui se sont dressés sur la route des militants politiques martiniquais et martiniquaises. Ces obstacles sont de deux ordres :
a) Le premier, c’est la contre-offensive systématisée de l’ennemi.
-Les colonialistes, disposant de leur puissance étatique et financière, fort de leur expertise en matière de propagande, d’espionnage et d’infiltration, se sont appliqués à contrecarrer, pas-à-pas, chacun de nos progès. Comme les militants d’aujourd’hui, nous avons connu la diabolisation dans les médias; nous avons eu droit à notre cortège d’arrestations, de procès, de “boutou” et de lacrymogène. La répression dans le domaine professionnel et les persécutions administratives en ont découragé plus d’un. Les militants ouvriers ont particulièrement souffert de ce qu’ils appelaient la “méchanceté” de maires ou d’employeurs. -Parallèlement, les municipalités dirigées par les partis anti-indépendantistes de gauche comme de droite, mettaient en place une autre tactique plus sournoise mais beaucoup plus efficace : elles ont commencé à faire, en plus grand, ce que nous innovions de façon militante sur le terrain : soutien scolaire, compétitions sportives inter-quartiers, randonnées, activités culturelles, coup de main, etc. Les organisations alternatives s’en sont trouvées affaiblies. -Ajoutons à cela que nous avons subi les effets de l’offensive idéologique menée par les impérialistes au niveau international après la chute du mur de Berlin! Le rouleau compresseur de leur propagande a convaincu la majorité de l’opinion que “le temps des idéologies était révolu” que le “communisme était mort”, que les partis politiques devaient être remplacés par des mouvements “citoyens” appelés à se battre pour “ne pas être récupérés”. L’individualisme, l’élitisme, l’esprit de compétition devraient être désormais le moteur de toute action humaine. Cette propagande a malheureusement aliéné de nombreux militants.
Voici ce qui a brisé la transmission!
Mais plus important encore, le gouvernement colonialiste a développé une stratégie visant à saper les bases sociales sur lesquelles le mouvement nationaliste pouvait s’appuyer pour se développer. Nous disposons d’un document rédigé par le cabinet de Pierre Maurois, premier premier ministre de François Mitterand, qui disait explicitement que “pour endiguer la poussée indépendantiste”, il fallait favoriser l’implantation d’artisans européens avec l’appui des banques dans notre pays et expédier tous les Martiniquais susceptibles de jouer un rôle de cadre dans des pays étrangers pour qu’ils y représentent la France.
b) Le deuxième obstacle qui a nui au progrès de notre lutte de Libération nationale réside dans le fait que, comme c’est le cas dans tous les pays qui ont lutté ou qui luttent encore pour leur souveraineté, nous avons été et sommes encore tributaires des contradictions de classes internes. Les petits et moyens bourgeois qui tirent profit du système prônent des moratoires, ou les mettent en pratique sans le dire, sous prétexte “que le pays aurait besoin des subventions européennes pour se développer”. Même quand ils vivent mal la domination culturelle du colonialisme, ses profiteurs locaux s’en accomodent, parce qu’ils privilégient leurs intérêts égoïstes sur tout le reste. Ils se sont montrés souvent plus virulents contre les indépendantistes que les colonialistes eux-mêmes. Certains se disent indépendantistes ou patriotes, mais leur obsession est d’affaiblir les organisations qui posent les questions du pouvoir des masses populaires et de la justice sociale. Les progrès de la lutte de libération nationale ont largement été freinés par leurs attaques.
Pour conclure cette partie sur les obstacles, je veux dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, ils sont encore sur notre route et que nous devons impérativement les surmonter pour permettre toute nouvelle avancée.
Deuxième partie : Quelles perspectives ?
L’objectif essentiel de notre lutte de libération nationale est de conquérir le pouvoir d’action sur notre vie personnelle et sur celle de notre communauté.
Cela implique évidemment que nous mettions fin à la tutelle coloniale, quelle que soit la forme qui pourrait la masquer. Mais cela consiste aussi à nous décrocher du système capitaliste, de son idéologie, de ses politiques ultralibérales, du consumérisme et des addictions qu’il développe afin d’impulser une économie endogène et autocentrée dans le cadre d’une société promouvant des valeurs d’humanité, de justice sociale et d’équité, une société respectant le vivant, l’environnement et l’intérêt des générations futures.
Quelles sont, alors, les conditions qui nous permettront d’avancer dans cette direction ?
-La première, selon nous, est que nous nous débarrassions de toutes formes d’aliénation car, il est évident que, si ce que nous pensons et ce que nous faisons est dicté par une vision installée en nous par les oppresseurs, nous n’atteindrons jamais nos objectifs d’émancipation. Or, nous subissons toujours massivement le poids de l’aliénation, des divisions, de la culture d’autodénigrement qu’ont inoculé dans les esprits les colonialistes et les classes dominantes. Permettez-moi de vous renvoyer à l’exposé que nous avons présenté sur le fameux “syndrome de Lynch” et qui développe cette problématique. Il faut absolument que nous déconstruisions les conceptions du développement et de l’épanouissement qui dominent dans l’opinion. Il faut impérativement que nous nous débarrassions de ce mimétisme mortifère qui conduit à copier les institutions et le mode de vie conçus par la bourgeoisie occidentale sur la base de sa vision de la civilisation. Pour qu’une véritable émancipation soit possible, il nous faut nous appuyer sur des paradygmes alternatifs: il nous faut repenser le monde et renouer avec les valeur des civilisations précoloniales parce que, précisément, elles sont porteuses de réponses salvatrices en matière de spiritualité, de bien-être mental, d’harmonie sociale, de relation avec l’environnement et en matière d’économie.
C’est fort de cette nouvelle vision que nous pourrons satisfaire pleinement la deuxième condition nécessaire à notre émancipation, à savoir le développement d’une dynamique de construction de contre-pouvoirs. Il s’agit pour nous de constituer graduellement une force qui soit capable de s’opposer significativement au pouvoir des colonialistes et de la caste dominante. Jusqu’à aujourd’hui, notre peuple a fait preuve d’une extraordinaire capacité à s’adapter aux pires situations (La construction des quartiers populaires à la périphérie de Fort-de-France en est une illustration significative.) Mais, dans le contexte actuel, les colonialistes accélèrent la politique de génocide par substitution, de contrôle sur les terres et sur tous les secteurs de l’économie qui leur échappaient. Actuellement, de Basse-pointe à Sainte-Anne, des Européens sillonnent les moindres quartiers pour rafler les chantiers que réalisaient les artisans Martiniquais. Il y a donc urgence à passer des pratiques individuelles de survie ou de résistance à l’élaboration de contre-pouvoirs conquérants. Cela concerne les domaines de la relance de l’économie populaire, d’une autosuffisance alimentaire conséquente, de la construction de réseaux privilégiant les circuits courts, nous préparant à affronter les catastrophes environnementales, sanitaires ou autres mais, aussi nous préparant à la confrontation décisive avec le pouvoir colonial.
Aujourd’hui, nous le constatons tous et toutes, les initiatives allant dans cette direction sont de plus en plus nombreuses. Pensons, par exemple, aux récentes journées de promotion de la production locale à Rivière Pilote, au réseau VIV et aux multiples marchés agricoles qui sont organisés tout au long de l’année. Mais, il s’agit d’aller beaucoup plus loin et, pour cela, les acteurs de la lutte de libération nationale doivent se donner pour objectif d’aider à la convergence de toutes les initiatives, de sorte qu’elles se constituent en contre-pouvoir. Cela vaut aussi pour ce qui relève de la culture et de l’éducation. Ce front là est essentiel. Car, si nous ne vivons pas sainement notre culture, sans la connaissance de notre histoire, sans la capacité d’analyser les questions économiques et sociales, les questions internationales, notre peuple ne sera pas en mesure de remporter la victoire sur le système. A cet égard, les associations culturelles, existant dans pratiquement tous les quartiers de Martinique, peuvent être un espace privilégié pour que notre peuple prenne la situation en mains. De très nombreuses initiatives se développent déjà sur le terrain et il existe aussi énormément d’outils pédagogiques valables. Bod kannal, l’AM4, Jala sont particulièrement connus. Mais il y en a tant d’autres ! Cela constitue un socle pour la construction d’un solide contre-pouvoir.
Nous tenons à l’affirmer avec force : La construction des contre-pouvoirs est l’escalier qui mène à la conquête du pouvoir politique et à la souveraineté. C’est en militant sur la base de nos propres priorités que nous briserons le cercle vicieux dans lequel on nous contient. Il s’agit pour nous, acteurs de la lutte de libération nationale, de refuser que ce soit l’ennemi qui nous impose son tempo. Ce sont ses échéances électorales qui réveillent cycliquement les uns et les autres ou qui détournent les militants des taches principales. Ce sont les exactions du pouvoir qui déclenchent des mobilisations parfois massives mais généralement éphémères.
L’autre avait pris l’image du poisson qui tourne en rond dans un bocal, c’est de cela qu’il s’agit !
Justement, nous sommes actuellement dans une période de frétillement électoral, il nous semble important que les militants de la cause de libération nationale aient une claire vision de ce que peut signifier la participation aux élections et plus généralement la lutte au sein des institutions contrôlées par le régime colonial. Pour les classes et les peuples dominés, lutter sur chacun de ces deux fronts ne peut avoir de sens que dans le cadre d’une stratégie globale, s’appuyant principalement sur l’organisation et la mobilisation des masses populaires.
A ce sujet, deux déviations, également nuisibles, doivent être combattues : la première est celle de l’électoralisme et de « l’entrisme ». Elle appelle les masses populaires à remettre leur sort entre les mains de « zorros » chargés de les défendre. Elle prétend que ceux-ci, en « tapant du poing sur la table » dans une collectivité locale ou en allant, comme ils disent, « défendre nos spécificités la-bas», ils pourraient faire entendre raison au gouvernement français où aux impérialistes de l’Union Européenne. Ils sèment l’illusion que, sans une mobilisation préalable et déterminée des masses, en faisant le dos rond, nous pourrions obtenir des autorités coloniales qu’elles coopérent loyalement avec nous et satisfassent nos revendications.
Cela relève de l’opportunisme et ne peut déboucher que sur des désillusions.
A l’inverse, certains radicaux du verbe nous appellent à considérer comme des pestiférés toute personne élue ou envisageant la possibilité d’intervenir sur le front électoral. Suivant la même logique, des révolutionnaires de salon et des anti-indépendantistes ont pu ancrer dans l’opinion que c’est une contradiction de lutter pour la souveraineté et d’être fonctionnaire dans l’administration. Au cours du débat, nous pourrons expliquer en quoi ces positions sont nuisibles. Contentons-nous de dire pour l’instant que, tant notre propre expérience que celle de tous les mouvements de libération de par le monde nous enseignent que l’intervention sur tous les fronts, sans exception, et l’action au sein des institutions officielles peuvent s’avérer nécessaires. L’essentiel étant que chaque intervention soit pensée dans le cadre d’une stratégie globale établissant clairement
-d’une part, que la lutte menée par les masses populaires organisées, hors élection et hors institutions, reste le socle fondamental et principal,
-et d’autre part, que les personnes appelées à représenter le Peuple émanent vraiment du mouvement populaire organisé, que celles-ci soient en situation de connaître et de relayer ses propres revendications et, surtout, qu’elles se positionnent clairement contre la prédation capitaliste et la domination coloniale.
Voila qui nous amène à aborder à la troisième condition à remplir pour une avancée de la lutte de Libération Nationale : Il s’agit du renforcement de l’unité de notre peuple.
L’action de minorités conscientes ne suffira jamais à inquiéter le pouvoir colonial. Nous ne devons pas sous-estimer la puissance de frappe dont celui-ci dispose avec son armée, ses forces de répression, sa justice aux ordres et son expérience multiséculaire de domination. Nous ne réaliserons nos objectifs de libération nationale qu’à condition de dépasser les contradictions secondaires qui nous divisent pour construire la plus large unité au sein de notre peuple. C’est seulement ainsi que nous pourrons inverser le rapport entre les forces.
Bien sur, il ne s’agit pas de se bercer d’illusions en faisant fi de la lutte des classes, en se laissant mener en bateau par des opportunistes qui appellent démagogiquement à l’unité pour cacher leur jeu et qui pronent des rassemblements pour les saboter de l’intérieur quand ils n’arrivent pas à les instrumentaliser en faveur de leurs intérêts individuels ou de chapelle. Il s’agit surtout d’impulser l’unité au sein des masses populaires autour d’objectifs politiques clairs. Les anciens militants se souviennent certainement de cette formule qui disait: Unité au sommet, jamais; unité à la base et au sommet, parfois; unité à la base, toujours!”
A ce sujet, je reprends les propos que j’avais tenu à l’occasion de l’African Liberation day: “ l’unité ne signifie pas l’uniformité, pas plus que l’embrigadement dans une même chapelle. L’important est que nous soyons tous guidés par la même boussole: Celle qui nous indique le chemin de l’intérêt collectif. Que nous soyons membres d’une organisation ou pas, quel que soit le front où nous intervenons, nous faisons partie du même peuple et nos intérêts fondamentaux sont les mêmes. Nous serons dans la bonne direction si nous nous appuyons sur la force de la pensée collective, si nous refusons la posture de “détenteur exclusif du savoir” ou de donneur de leçon, si nous avons l’humilité d’admettre la nécessité des complémentarités. Si nous savons soutenir les initiatives positives prises par les autres.”
Nous savons bien que la vivacité des oppositions entre différents groupes ou individus qui disent militer pour la cause, s’explique par le fait que beaucoup sont aveuglés par la conviction qu’ils ont de détenir la vérité à eux seuls et que des problèmes d’égo, imprégnés qu’ils sont par d’idéologie individualiste et élitiste occidentale, empêchent qu’ils acceptent la discussion, Tôt ou tard, tous comprendront que ce sont des obstacles à l’indispensable unité du peuple. Nous exhortons tous ceux qui sont sincères à se remettre en question. Un autre des écueils que nous avons à surmonter pour construire l’unité la plus large de notre peuple réside dans le fait que les propagandistes des classes dominantes sont parvenus à semer la division en son sein, en diabolisant tous ceux qui luttent, quelle que soit la méthode employée. Pensez au blocage des centres commerciaux et à la récente grève dans les transports ! Les profiteurs du système ont pu faire oublier à beaucoup que la moindre satisfaction dont jouissent les travailleurs dans le quotidien est le fruit de sacrifices, de grèves, d’insurrections et de révolutions ! Aujourd’hui, tous ceux et toutes celles qui luttent sont accusés de« prendre la population en otage » ! Vouloir surmonter cet écueil là, appelle à abandonner les attitudes concernant à vilippender la population pour, plutôt, nous questionner sur les formes de lutte, dont d’ailleurs beaucoup viennent de pays dits développés et sont en déphasage avec notre réalité. C’est aussi en renforçant le travail de conscientisation au sein des masses populaires, en prenant davantage en compte leurs préoccupations, en expliquant en amont le pourquoi des mobilisations, qu’il sera possible de déjouer les manœuvres de division menées par nos ennemis communs.
La quatriéme condition pour la victoire de la lutte de libération nationale est que nous nous préparions à la confrontation : Penser que l’impérialisme français, dont la puissance est plus que bousculée sur le plan international, hésitera à faire usage des pires méthodes pour s’aggriper à ses dernières colonies, ce serait faire preuve de la plus grande naïveté. Nous avons le devoir de nous préparer à faire valoir notre droit à la légitime défense. Nous reviendrons sur cet aspect au cours du débat. Mais ce contexte nous commande aussi de travailler à l’internationalisation de notre lutte de libération nationale. Plusieurs des organisations qui animent le mouvement populaire disposent de réseaux de relations au niveau international. C’est, par exemple, le cas de notre organisation qui participe à la dynamique de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe, au Forum de Sao Paulo et à d’autres convergences révolutionnaires. Notre Peuple a aussi la chance de disposer d’un nombre inimaginable de jeunes, universitaires, acteurs économiques et autres, experts en matière de communication et qui animent déjà des réseaux alternatifs et solidaires au niveau international. Ils sont particulièrement actifs dans le domaine de l’écologie décoloniale. L’intérêt supérieur de notre cause exige que tous ceux et toutes celles qui luttent sincèrement pour la libération nationale, s’accordent sur une démarche commune pour populariser notre combat à l’échelle internationale et lui gagner des soutiens. Cela implique évidemment que nous nous démarquions de toutes les théories qui visent à diviser les peuples sur des bases chauvines ou racistes. La solidarité entre toutes les forces populaires qui luttent de par le monde est une condition indispensable pour éradiquer le système capitaliste, colonialiste et impérialiste.
Nous en arrivons à notre conclusion: Nous avons la profonde conviction que notre lutte de libération nationale sera couronnée de succès, dés lors que chacun et chacune d’entre nous répondra à l’appel à la mobilisation générale que la situation impose. Nous sommes à l’heure d’un affrontement global et décisif entre les peuples et les prédateurs impérialistes. C’est tout notre peuple qui doit monter au front, tant ceux et celles qui vivent sur le territoire national, que ceux et celles qui vivent sur les autres continents, particulièrement nos 150.000 compatriotes résidant en France.
Nous devons tous et toutes porter notre contribution au combat pour la souveraineté et l’émancipation. Que ce soit dans un cadre organisé ou pas, en se formant et en s’informant, en modifiant ses pratiques de consommation, en agissant au niveau de sa famille, de son quartier ou de sa commune, chacun et chacune doit se sentir appelé à rejoindre son poste dans la bataille commune, bien sur, au niveau où cela lui est possible. Il nous faut faire revivre l’esprit des “Lakou” où se réunissaient les familles et les voisins, pour parler de la vie et pour organiser celle-ci. C’est là que nous devons apprendre à nous unir, à tracer les perspectives, à organiser nos luttes, à résoudre nos problèmes économiques, sociaux, sanitaires et éducatifs. C’est là que se développeront les germes d’une société alternative portée par la démocratie directe. C’est ainsi que nous garantirons le succès de notre lutte pour la libération nationale et l’émancipation.
Sa ki vayan, réponn prézan !