« Toutes les filles de Galilée sont programmées pour accueillir en leur sein le messie ».
—Par Jean Rouaud —
L’impossible équation que pose Dieu Lui-même en créant l’Homme à son image : Dieu, hors sol, hors temps = l’Homme, la terre et le temps. Pour tout le monde, ça fait deux poids deux mesures, pot de fer contre pot de terre. Et pourtant, pour ce qui est de la question de la représentation, tout va se jouer dans cet entre-deux. Comment passer de l’un à l’autre, de l’invisible au visible. Comment donner forme humaine à un principe créateur, comment faire tenir l’infini dans une mangeoire et l’éternité dans le cours d’une vie, comment blottir la toute-puissance divine dans les bras d’un nourrisson ?
Mais quand même on y parviendrait, comment identifier ce Dieu fait homme ressemblant à s’y méprendre au charpentier du coin ? Et d’abord, comment va-t-on le concevoir ? À la grecque. Pardon ? En s’inspirant du vieux fonds mythologique méditerranéen. Un dieu s’accouple avec une terrienne en se déguisant, par exemple, en cygne, et de leurs amours zoophiles naissent deux enfants d’un même œuf, Castor et Hélène (Pollux n’est que le demi-frère de Castor, et Hélène est celle dont la beauté va enflammer Troie). Soit, mais sans discuter de l’aspect moral du procédé, ça ne fait pas un peu païen ? Tout est question de foi. On remplace le cygne par une colombe, on raconte que la colombe, c’est un esprit parfaitement saint, et ni vu ni connu, il est né le divin enfant. Autre avantage de la colombe, elle est celle qu’on sacrifie sur l’esplanade du Temple au moment de la Pâque juive. Autant dire qu’une colombe-père, génétiquement, c’est s’assurer d’une fin martyre. Et comme on sacrifie aussi des agneaux, à l’enfant, la nuit de sa naissance, des bergers offriront ces petites peluches moutonnées qui ne sont pas non plus de bon augure.
Voici l’agneau de Dieu ; en clair, voici celui qu’on va sacrifier. Le bébé né d’une colombe qui échappe au massacre des innocents est rattrapé par son destin trente-trois ans plus tard sous la figure symbolique de l’agneau pascal. Autrement dit, le Fils de Dieu, born to be killed, né pour être tué. La mort de Dieu est dans le texte. Et maintenant, reste à chercher la femme, la future maman. Or, toutes les filles de Galilée sont programmées pour accueillir en leur sein le messie. C’est leur karma, en somme. Elles ne s’étonneront donc pas de ce qu’il leur arrive.
Prenons celle-ci, Marie. Le mari, un brave homme qui travaille le bois (le vrai bois de la vraie croix, ainsi le programme s’accomplira à la lettre), comprendra qu’il doit s’effacer devant la puissance divine. Et pour l’annonce ? À la grecque, une sirène. Une sirène ? En quelque sorte. On y revient.
Mardi, 7 Avril, 2015
L’Humanité