À monsieur Grand Timonier de la caste béké !
Vous César en votre trône siégeant sans faiblesse,
Je m’adresse à l’homme, au mortel, à votre conscience.
Vous puissant, qui êtes prêt à faire tuer et qui le pouvez
D’un seul doigt levé à l’adresse des préfets ou des malfrats,
Vous qui pouvez éliminer quand selon vous la nécessité fait loi,
Vous qui tuez déjà de mille façons nos peuples aux abois,
Vous qui vous regardez toujours comme fils de roi
Et qui nous considérez comme votre peuple de trait,
Ne croyez-vous pas que le temps est déjà venu
De laver votre conscience de cette fierté sanguine ?
Ne sentez-vous pas le poids des cadavres peser sur votre sommeil ?
Mais vous ne dormirez plus, ni vous, ni les vôtres !
Vous apprendrez à entendre les plaintes, les hurlements,
Les bruits d’agonies scellés dans vos fondations.
Vous dormirez satisfaits de vos œuvres d’affairiste séculaire
Mais vous entendrez plus vaste et entêtante
La rumeur des suppliciés sans repos escaladant vos colonnades.
Vous ne connaîtrez pas la paix des innocents, la paix des braves.
Hier vous étiez peut-être jeune, fier et naïf, et excusable.
Mais aujourd’hui vous savez que vos ancêtres ont mal fait.
Vous vous mentirez encore quelque peu, et vous vacillerez,
Car vous savez qu’aujourd’hui, comme une pesante charge,
C’est vous qui tenez les colonnes de la maison de vos pères.
C’est vous le bras puissant, c’est vous la férule, vous l’ordonnateur,
Vous l’étau à nos gorges, vous qui maintenez le joug à nos peuples.
Vous, digne héritier, qui avez pour bouclier la haine des noirs
Et l’arrogance du prince tyran qui ne craint que lui-même,
Vous ne contemplerez plus le soir venu, l’horizon brodé d’or.
Sous les dentelles d’écumes bomberont les ventres des cadavres.
Vous les aurez à pleine vue ces ventres noirs gonflés d’eau.
Vous les verrez ces bouches colonisées d’algues vermoulues.
Vous ne verrez plus le dos luisant des dauphins au crépuscule antillais
Comme une douce récompense pour votre travail bien fait.
Oui, votre cœur, comme tout autre, brûle en votre poitrine ;
Il a envie d’aimer, il a envie d’être aimé, il a envie de paix.
Est-ce même votre faute d’être né les mains maculées ?
Vous portez le forfait de vos pères malgré vous !
Mais ne vous appartient-il pas de déposer la charge et le butin ?
Puisque vous prenez legs, vous êtes donc couronné d’ignominie.
Mais peut-être, par un soudain réveil,
Peut-être aurez-vous l’écœurement de vos crimes,
Et ceux de vos pères ! A votre inespérée rédemption !
Yves UNTEL PASTEL