— Par Selim Lander —
Compartiment fumeuses : 100% féminine
Une pièce de Joëlle Fossier, M.E.S. Anne Bouvier, avec Bérengère Dautun, Sylvia Roux et Nathalie Mann.
Les indications précédentes indiquent déjà que nous sommes en présence d’une pièce à 100% par les femmes : écrite par une femme, mise en scène par une autre femme et interprétée par trois comédiennes. Compartiment fumeuses – qui se déroule en outre dans une prison de femmes – est-elle aussi une pièce pour les femmes ? Un homme que la pièce ennuie est en droit de se poser la question : peut-être n’a-t-il tout simplement pas la sensibilité requise, qu’elle soit innée ou acquise – ne prenons pas partie ici pour ou contre la théorie des genres – pour apprécier à sa juste valeur les subtilités de l’histoire qui lui est contée.
D’un rapide sondage, il s’avère que la déception produite par Compartiment fumeuses dépasse les différences de genre. Pour ma part, j’incriminerai en premier un texte qui ne quitte jamais le premier degré. Les deux personnages principaux, présents de bout en bout sur le plateau sont deux prisonnières partageant la même cellule : l’une, Blandine, après quelques minauderies, avoue qu’elle est inculpée du meurtre sur son père non sans préciser aussitôt qu’elle a droit à toutes les circonstances atténuantes, puisque ce dernier n’a cessé de la violer depuis l’âge de huit ans. A l’en croire l’inceste est donc caractérisé. Partant de là le spectateur – particulièrement martiniquais, abreuvé qu’il est de ce genre de situations au théâtre – se demande sur quoi cette indication va déboucher ? Serait-ce par exemple que Blandine a inventé cet inceste pour se disculper ? – mais non : il a bien eu lieu, Blandine n’a pas triché en mimant l’assassinat du père représenté par un oreiller, et la fin nous apprendra l’acquittement de la parricide. Enfin, pour s’en tenir à ce seul aspect du texte, l’auteure ne manque pas d’employer le mot « inceste », comme s’il ne suffisait pas de suggérer sans nommer.
Juste un mot sur la codétenue, Suzanne, emprisonnée pour un chèque sans provision. L’incrédulité du spectateur sera calmée lorsqu’il apprendra, plus tard, que la sympathique Suzanne est récidiviste. Précision heureuse pour qui connaît un tout petit peu le système judicaire français : dans notre système carcéral surencombré, jamais personne n’a été condamné à de la prison ferme pour un chèque en bois ! Ainsi l’auteure résiste parfois à la tentation de tout dire tout de suite, mais il y a tant d’exemples où elle ne résiste pas ! Ainsi lorsque Suzanne explique à Blandine le sens du verbe « cantiner » : c’est peut-être utile pour certains spectateurs, mais de là à nous fournir une définition de dictionnaire !
Compartiment fumeuses est une pièce sentimentale et en même temps une pièce pleine de bons sentiments. Ainsi Suzanne – qui accueille Blandine dans la cellule – un tout petit peu brutale au début, ne tarde pas à de laisser émouvoir par la tendre Blandine. Happy end en perspective… Même la « matonne » ne réussit pas à faire la méchante jusqu’au bout. Si tout cela est très sympathique, on se répète in petto l’aphorisme gidien : « pas de bonne littérature avec de bons sentiments » …
Que dire de l’interprétation ? Bérengère Dautun, ex-pensionnaire de la Comédie Française a un jeu émouvant, en accord avec son personnage. Elle a malheureusement passé l’âge du rôle. Sylvia Roux campe une Suzanne un peu brut de décoffrage mais sensible et généreuse. On n’en dira pas autant de Nathalie Man, dans le rôle ingrat de la gardienne de prison, qui ne parvient pas à endosser la défroque d’un personnage que l’auteur peine à situer, il est vrai, entre bienveillance et cruauté (Arthaud ou est-tu ?).
En tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France les 20 et 21 mars 2019.
Choisir de vivre de Mathilde Daudet
La personne responsable de la plaquette présentant le programme du Théâtre municipal a eu la bonne idée de donner un copieux extrait de l’autobiographie de Mathilde Daudet dans laquelle elle raconte son expérience d’homme qui « se sentait femme depuis l’âge de cinq ans » et qui finalement, après avoir surmonté toutes sortes d’obstacles, a franchi le pas pour devenir une femme. Ces deux pages serrées de la plaquette sont passionnantes. On comprend qu’un metteur en scène ait voulu adapter le livre et qu’il ait trouvé une comédienne passionnée par le rôle.
Alors pourquoi restons-nous réticent face à cette adaptation ? Ce n’est pas à cause de la comédienne, Nathalie Mann, la même qui interprétait la « matonne » avec un bonheur inégal dans Compartiment fumeuse et qui trouve ici un rôle à sa mesure. Pas non plus à cause de la mise en scène de Franck Berthier (directeur de la compagnie Ankinéa Théâtre) qui démontre une certaine virtuosité. L’écran posé devant le fond de scène, les sacs de plastique blanc sur le plateau, les projections sur l’écran, le jeu de la comédienne avec les sacs, tout cela fonctionne bien. Disons tout de suite que la diction de Nathalie Mann est particulière, qu’on n’entend pas nécessairement tous ses mots, mais que sa voix un peu rauque et son tempérament révolté sont en adéquation avec le drame dont elle se fait la porte-parole.
Non, le problème de cette pièce tient selon nous à l’adaptation elle-même qui semble avoir choisi exprès les formules destinées à faire mouche mais qui se révèlent trop souvent des pétitions de principe sans fondement. « La lumière est plus forte que les ténèbres » : c’est faire bon marché du principe du mal qui se montre largement aussi fort que le principe du bien. « La seule normalité des humains c’est qu’ils sont tous différents » : vaste débat ! C’est négliger les phénomènes de mode, les foules qui communient dans l’adoration du leader charismatique, etc. « J’ai choisi de vivre pour ne plus avoir peur de la mort » : paradoxe ! Si tu as peur de la mort, plus tu vivras et plus tu auras d’occasions d’avoir peur. Choisir de mourir serait dans ce cas une solution plus pertinente quoiqu’également paradoxale. Contrairement à l’extrait reproduit dans la plaquette du théâtre, le texte de la pièce abonde ainsi de formules ronflantes et creuses qui rendent difficile de s’intéresser à l’histoire pourtant émouvante de Mathilde Daudet. Cela étant, la pièce finit mieux qu’elle n’a commencé ; elle se fait moins verbeuse, plus émouvante. Et, pour une fois, la formule sur laquelle s’achève Choisir de vivre – « Mieux vaut ne pas être qu’être ce qu’on n’est pas » – tombe à pic pour décrire les désillusions de celle qui espérait tant de sa nouvelle vie, et son courage.
Et puis, Dieu merci, grâce aux interruptions en voix off, non dépourvues d’humour, l’adaptation quitte de temps en temps le premier degré et le registre de la déploration et du pathétique.
En tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France les 22 et 23 mars 2019.