— Par Maurice Ulrich —
L’exposition que le Louvre consacre au Sphinx de Delft et à ses contemporains est exemplaire de sa singularité et de son génie dès lors que l’on se livre avec raison au jeu de la comparaison.
Dès les premiers pas que l’on fait dans la nouvelle grande exposition du Louvre, « Vermeer et les maîtres d e la peinture de genre », on sait que son principal intérêt, outre les 12 tableaux du maître de Delft (1632-1675) qui y sont réunis, sera la comparaison qui s’impose avec les autres peintres de son temps, y compris les plus talentueux comme Pieter de Hooch, Gabriel Metsu, Jan Steen pour ne citer qu’eux. Les peintres de ce 17ème siècle hollandais, appelé le siècle d’or furent tous des techniciens exceptionnels, excellant dans ces scènes d’intérieur qui reflètent la vie quotidienne. Des centaines de milliers de tableaux ont été peints durant cette période et de ce point de vue, la production de Vermeer est bien réduite. On lui connaît 37 tableaux identifiés en tout et pour tout. Cette production expliquant peut-être pourquoi il fut longtemps méconnu et redécouvert au milieu du 19ème siècle seulement par le critique Théophile Thoré-Bürger. Pourquoi aussi on crut longtemps que Vermeer avait été un peintre isolé, construisant presque en dilettante une œuvre intime quoique géniale, ce qui lui avait valu le surnom de Sphinx de Delft. En fait le propos de l’expo est aussi d e montrer qu’il n’en est rien, que sans doute il avait voyagé et connaissait les artistes de son temps, au moins le travail de certains d’entre eux.
Le rapport entre les formes et les couleurs
Mais passé ce bref rappel historique, la vraie question posée par Vermeer est celle-ci. En quoi est-il, pour le dire trivialement, au dessus du lot, car il l’est et il n’est pas vraiment besoin d’être un spécialiste de son œuvre et cette période pour reconnaître un Vermeer parmi d’autres tableaux. Il y bien sûr cette lumière qui entre toujours dans par le côté gauche, au travers d’une fenêtre comme avec La Laitière que l’on évitera de confondre avec la pub trop connue. Il y a ces accords de bleu et de jaune que plus tard Van Gogh poussera au paroxysme, il y a cette paix et cette sérénité des visages, mais il y a bien plus encore, que permet la comparaison par exemple entre deux tableaux placés l’un près de l’autre et venant du musée des Beaux-arts de Dublin. La Lettre de Vermeer, donc, et Jeune femme lisant une lettre de Gabriel Metsu. Le sujet est sensiblement le même, anecdotique. Mais chez Vermeer le pan de rideau, à gauche va ordonner tout le rythme de la composition, dont la robe de la servante, construite avec une rigueur que l’on pourrait dire pré-cézanienne, le tableau dans le tableau, au fond reproduit comme en écho la scène du premier plan dans ses grandes lignes, les manches de la jeune femme écrivant y sont sculptées comme par un ciseau dans la lumière… Chez Gabriel Metsu, rien de tout cela. Son naturalisme qui se veut conforme à la vérité intime de la scène ne lui permet pas de sortir de l’anecdote. Gabriel Metsu raconte une histoire en illustrateur, Vermeer peint un tableau, et comme tous les grands peintres il a compris que la peinture, selon la formule de Braque, est dans les rapports entre les formes et les couleurs et que sa force, figuration ou pas, est dans l’abstraction. Ce qui est dit ici, pourrait être étendu à tous les Vermeer à divers degrés mais particulièrement à cet autre chef d’œuvre qu’est La dentellière. Et paradoxalement c’est cette capacité de géométrisation des formes, la rigueur de la composition qui vont créer la vérité de ses tableaux, parce qu’ils ne s’en tiennent pas au particulier…
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Jusqu’au 22 mai. Catalogue édité par Le Louvre et Somogy. 448 pages. 39 euros.