Jamais la demande n’a été aussi forte qu’en ces temps d’isolement social. Des étudiantes, futurs professionnelles du secteur, appellent à un plan massif de sauvetage.
— Par Un groupe d’étudiantes dans le secteur culturel —
Tribune. Le Covid-19 a frappé de plein fouet le secteur culturel. L’inquiétude était déjà grande avec la fermeture de l’ensemble des lieux culturels, mais l’annonce de l’annulation de l’ensemble des festivals et évènements rassemblant du public jusqu’à mi-juillet est venue porter le coup de grâce. Les tableaux vont s’ennuyer un petit moment dans les couloirs du Louvre, les escalators de Pompidou vont rester un temps à l’arrêt, mais le vrai désastre n’est pas seulement là. Futurs professionnelles de la culture, nous souhaitons exprimer tout notre soutien aux associatifs, intermittent·e·s, créateur·trice·s, auteur·rice·s, précaires, militant·e·s et à tous les acteurs·trices qui mènent par la culture un combat éminemment politique, en se faisant rencontrer et discuter les publics et l’art.
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Samuel Churin, porte-parole de la coordination des précaires et intermittents décrit l’annulation des festivals comme «une véritable déflagration» et appelle «à un grand plan social où l’on assure une continuité de revenus pour tous» (1). L’ensemble du secteur va avoir des difficultés à se relever des pertes gigantesques prévues durant la période de la crise, mais ce sont ces travailleuses et travailleurs, celles qui se battaient déjà pour réaliser leurs cachets et survivre avec un smic qui vont être les plus affectés. Et pourtant, ce sont eux qui font exister la vie sociale sur de nombreux territoires. Nous défendons, au côté de tous ceux et celles qui y participent, les espaces culturels des quartiers populaires et ruraux qui renforcent les solidarités intergénérationnelles, interprofessionnelles et interculturelles. Sans moyens effectifs, ces espaces seront amenés à disparaître, laissant de nombreux habitants coupés d’un accès à la culture et de lieux de sociabilisation.
Il n’y a pas si longtemps, le gouvernement attaquait la culture à coups de coupes budgétaires et de réforme des retraites. Un grand nombre d’artistes, de techniciennes et de techniciens, notamment dans les théâtres et les opéras, se mettaient en grève pour demander des moyens et le retrait de la réforme. Aujourd’hui, ce même gouvernement lance des bouées de sauvetage dispersées à la culture, s’étonnant presque de la fragilité du secteur. Les premières annonces ont mis en place des mesures transversales de soutien qui touchent les institutions culturelles : accompagnement simplifié et renforcé du chômage partiel, délais de paiement des échéances sociales et fiscales, fonds de solidarité pour les petites entreprises, les indépendants et les microentreprises, etc. Inadaptées au statut des intermittents et peu précises comme le rappelle la CGT Spectacle (2) dans ces derniers communiqués, ces mesures ne répondent en rien à l’ampleur des dégâts et aux besoins du secteur culturel.
De l’autre côté de l’Atlantique, 22 fondations américaines créent un fonds de dotation de 10 millions d’euros pour répondre à la crise (3). Pendant ce temps, l’Unesco propose de réunir les ministres de la Culture du monde entier pour discuter de solutions à la crise. En tête de liste des initiatives de cette réunion : la création d’un #PartagerMonPatrimoine (4). Enfin, durant le confinement, les géants Amazon et Netflix ont vu leurs chiffres d’affaires bondir, piétinant les librairies et les cinémas indépendants qui tentent de survivre depuis plusieurs années déjà. Parallèlement, de nombreuses plateformes mises en place par les institutions culturelles connaissent une hausse de leurs visites. En cette période d’isolement social, la culture est un lieu de convivialité privilégié. Entre privatisation à marche forcée et fausses mesures, les espoirs mort-nés d’un réel programme de soutien public à l’échelle nationale, européenne ou mondiale s’envolent. Alors que la demande culturelle n’a jamais été aussi haute, nous apercevons déjà les contours d’un secteur qui retombera au creux des mains du capital.
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Etudiantes, étudiants, jeunes artistes, futurs intermittentes et intermittents, qui rêvons et nous battons pour que les «jours heureux» ne soient pas ceux auxquels Macron pense, nous sommes profondément inquiet·e·s. La solidarité et l’impulsion collective nécessaire à un changement de société se construisent à travers ces moments de rencontres artistiques, joyeux et politiques, portées par les acteurs culturels agissant dans les campagnes, les HLM, les quartiers périurbains des villes moyennes… Qu’en sera-t-il lorsque le profit et les entreprises privés auront la mainmise sur leur droit d’exister ou non ? La culture doit continuer à être un service public car il est l’une des conditions même d’un renouveau démocratique et écologique. C’est pour toutes ces raisons que nous exigeons du gouvernement de prendre position et de proposer un plan de sauvetage massif et de longue durée du secteur culturel et associatif dans toute sa diversité, mobilisant les moyens effectifs nécessaires à sa survie.
Par un groupe d’étudiantes dans le secteur culturel :
Salomé Yhuel, licence médiation culturelle, géopolitique et tourisme, Sorbonne Nouvelle ; Zoé Imbert, Clémence Belonté, Sylvie Hareau, Noemi Biet et Maud Cartron, master politiques publiques spécialité Culture à Sciences-Po ; Armeline Videcoq-Bard, licence histoire de l’art, Sorbonne Université.
(1) Journal Arte du 15/04/2020.
(2) CGT Spectacle, communiqué : «les premières réponses des ministres aux professionnel.le.s et beaucoup de questions en suspens», le 31/04/2020.
(3) «États-Unis : création d’un fonds d’urgence pour les artistes par 22 fondations pour les arts (10 M$)», New Tanks Culture, en ligne,le 9/04/2020.
(4) «Unesco : réunion en ligne des ministres de la Culture du monde entier sur le Covid-19 le 22/04/2020», New Tanks Culture, en ligne, le 10/04/2020.
Un groupe d’étudiantes dans le secteur culturel
Dans Liberation.fr