A PROPOS DES HOMMAGES A AIME CÉSAIRE :
— par Georges MAUVOIS (junior) —
De nombreux hommages sont rendus à Aimé Césaire depuis l’annonce de son décès, le 16 avril 2008. Ces hommages nous paraissent légitimes. dans la mesure où ils manifestent toute la gratitude qu’éprouve notre peuple à l’égard d’un de ses fils les plus dévoués et les plus brillants. Car il s’agit de saluer le départ d’un fils. S’il est vrai qu’il fut un père aux yeux de nombreux compatriotes, il fut d’abord un fils, héritier d’une longue résistance dont les prémisses doivent être recherchés bien en amont de sa propre existence, à commencer par les cales puantes où se constituèrent les premiers éléments de notre devenir collectif.
. A Fort-de-France notamment, des propositions multiples sont en train d’apparaître. Elles vont de l’érection de monuments multiples aux plus invraisemblables projets (sur ce dernier point, on relira les dernières parutions de France-Antilles, où sont parfois mentionnés des projets pharaoniques contre lesquels Césaire eût été le premier à s’insurger) Toutes ces propositions prétendent honorer et célébrer la mémoire du défunt. Il convient toutefois de les accueillir avec la même placidité qu’observe un médecin lorsqu’il se trouve face à un patient quelque peu agité. Délirium tremens, diagnostique-il sur un ton impassible, tandis que son client se cabre sans se soucier de comprendre ce qui lui arrive. Dans le cas qui nous préoccupe, on ne se trouve pas loin d’une crise où l’émotion semble dicter sa loi dans tous les compartiments du possible. Dans un tel climat, toute analyse dissonante sera identifiée comme mal venue. Quand l’ancien pèse de tout son poids sur le neuf, quand l’émotion s’impose à toutes et à tous, sachons donc retrouver les voies de choix mesurés et rationnels.
Dans le climat de fièvre commémorative que nous connaissons, certaines propositions récentes doivent être clairement récusées. Pourquoi débaptiser l’Atrium pour le transformer en centre Aimé Césaire ? Cette proposition ne pourra avoir l’accord d’aucun latiniste. Césaire lui- même, grand amoureux des langues dites mortes, aurait probablement refusé un tel projet. Car pourquoi vouloir effacer cette trace de nos humanités latines en plein cœur du centre-ville foyalais ? Beaucoup de nos contemporains demeurent attachés à l’enseignement que leur prodiguèrent leurs maîtres en lettres classiques. Non, l’enseignement du latin, n’a pas produit aux Antilles que des êtres décérébrés, honteux de leur racine nègres. N’en déplaise à certains contempteurs du latin et du grec
Quelles traces durables Césaire laissera-t-il dans notre paysage martiniquais? A l’évidence, celles-ci seront nombreuses. Rappelons qu’avant même son décès, le nom d’Aimé Césaire fut naguère conféré à l’aéroport du Lamentin, dans un concert d’éloges justifiés et unanimes ;. Faut-il souligner que cette initiative locale, promptement relayée par l’Etat, avait le mérite de mettre le nom du poète en connexion avec la grande planète des voyageurs et des visiteurs. A ce premier joyau mémoriel, il faudra bientôt ajouter la transformation en musée de la vénérable mairie où l’homme déambula tout au long de sa vie publique, le parc floral dont le poète appréciait les splendeurs, la fondation Césaire (dont les contours restent à préciser,) .En somme, on ne peut nier que l’écrivain et l’homme politique seront convenablement honorés. Mais gare à l’ « overdose » mémorielle qui aurait comme principal effet d’inhiber les capacités créatrices de notre peuple Si le Nègre génial et fondamental a tout dit , tout projeté et tout fait, à quoi bon –en effet-agir et se battre par soi-même ! Notre conviction est que nous courons le risque de voir s’instaurer un culte entaché d’irréalisme et d’outrance .Célébrer la mémoire de Césaire ne doit pas aboutir à mettre sous le boisseau le sens critique de tout un chacun, et –tout particulièrement- l’indispensable vigueur intellectuelle de notre jeunesse.
Sachons donc garder distance et mesure. Saurons- nous finalement préserver ces précieuses qualités qu’incarnent parmi nous de grands ainés comme Maryse Condé, Edouard Glissant ou Roland Suvélor. Saurons-nous finalement maîtriser nos excès commémoratifs ? Avançons et construisons patiemment, comme nous y invite Césaire dans chacune de ses pages, Car toute culture murée dans son psittacisme, incapable de créer et de se renouveler, est vouée à la mort. Aussi faudrait-il éviter d’instaurer un culte qui s’attacherait aux faits et gestes d’un seul homme ; ce dernier se voyant érigé en démiurge omniscient, détaché de tout contexte historique pertinent.Aux cotés de Césaire, n’y eut-il pas des générations successives d’hommes engagés dans la Cité ? N’y eut-il pas l’intransigeant Pierre Aliker, et avant lui André, martyrisé. ? Et que dire de Suzanne, de Jane et Thélus Léro, de Georges Gratiant, de Léopold Bissol, de René Ménil, d’Aristide Maugée, de Félix Cordémy et tant d’autres? Aux cotés du grand homme, il y eut d’abord l’Etudiant noir, puis l’équipe inquiète de Tropiques, puis la jeunesse ardente de Port-au-Prince, puis l’année 1945 où le peuple vota en masse pour le changement,, puis le départ à Paris comme porte-parole des miséreux des Antilles. Qui a dit que ce parcours fut simplement individuel ? IL fut surtout collectif, irrémédiablement collectif .Et comment rendre. Compte de cette grande aventure si l’on se contente de multiplier les statues et les monuments voués à célébrer les mérites d’un seul homme. ? La phrase qu’il convient de méditer est celle-ci : « il n’y a pas de sauveur suprême ». Ni Césaire, ni de Gaulle, ni tant d’autres figures éminentes ne peuvent remplacer l’indispensable maturité des peuples.
Pour aller de l’avant, que faudra-t-il donc faire ? Que nous, peuple de Martinique, nous prenions à nouveau la parole. Là réside, sans aucun doute, le meilleur des hommages à rendre à Aimé Césaire.
Parole due. Parole sue. Parole indomptable. Parole maillon pour faire chaîne à l’heure de nous-mêmes.