De l’inventions des hymnes aux expressions du deuil national, de l’histoire de la censure et de la propagande aux effervescences de la mobilisation, des vociférations de la terreur aux chants de résistance et aux rythmes de la liberté… il existe une étonnante solidarité entre la musique et la politique – entre les puissances de la musique et la multiplicité des enjeux de la vie politique. Comme si la musique était, plus que tout autre art, bonne conductrice de collectivité, de soulèvement, de révolte, mais aussi bien de violence, d’oublis coupables et d’assujettissements. Comme si surtout, avec la musique, l’Histoire n’en avait jamais fini de gronder en nous.
Cette solidarité, d’où vient-elle ? De la musique elle-même, ou de ce que l’on en fait ? Vient-elle des appropriations, des instrumentalisations (c’est le mot), voire des confiscations du musical par le politique – par la symbolique nationale, notamment ? Vient-elle d’une volonté, dans tel ou tel dispositif musical, d’imiter (ou d’inquiéter) les rapports de pouvoir, de hiérarchie et d’autorité ? Vient-elle au contraire d’une « disponibilité » complète, qui va de pair avec une absence supposée de signification (puisque la musique est réputée ne rien signifier, ne rien « vouloir dire » et donc pouvoir tout accompagner, prêtant apparemment son intensité à toutes les causes) ? Vient-elle encore d’une puissance propre aux œuvres musicales (car il y va dans la musique d’une intensité émotionnelle hors pair, lorsque s’ouvre, dans un océan de pathos, une gamme affective infinie, avec son énergie incomparable d’insinuation, d’occupation subjective, et bien sûr d’érotisation) ? De tout cela évidemment, et tout cela révèle une économie de forces contradictoires, mêlées au cœur de nos espaces publics et de nos territoires les plus intimes.
Ce sont ces liens entre musique et politique, liens insistants mais d’une ambivalence extrême, que Critique a souhaité mettre en valeur.
Numéro conçu et dirigé par Marielle Macé.
Comment la musique engage-t-elle vers l’émancipation ?
Musique, violence, politique, Revue Critique numéro 829-830. Éditions de Minuit, 144 pages, 13 euros.
Comment mesurer la puissance de la musique ? Ses effets physiques, l’impression qu’elle exerce, qu’elle laisse au cœur ? Écoutez, par exemple, les premières notes à la guitare, par Rolando Alarcon, du chant révolutionnaire El Quinto Regimiento, le cinquième régiment, le nom du Parti communiste espagnol dans sa lutte contre le fascisme, dont le premier couplet évoque sa fondation en juillet 1936 dans le jardin d’un couvent. Cette musique ne peut s’oublier. Dès la première mesure, douceur et mélancolie vous envahissent. Comme aussi un chant de résistance ou de liberté peut vous pousser à l’ardeur de la mobilisation. Quel est le lien entre musique et politique ? Par quel biais deviennent-elles solidaires ? La musique, motrice parce qu’affective ? Comment engage-t-elle des collectivités vers le soulèvement ou l’émancipation ? Dans ce numéro de la revue Critique, Marielle Macé réunit Esteban Buch, Nicolas Donin, Bastien Gallet ou encore Peter Szendy.