— Par Jean-Marie Nol, économiste et chroniqueur de l’histoire de la Guadeloupe —
L’état désastreux des finances publiques, avec un déficit de 154 milliards d’euros représentant 5,5% du PIB en 2023 et une dette prévue de 3200 milliards d’euros à la fin de l’année selon la Cour des comptes, suscite de graves inquiétudes. Bien que la situation contemporaine ne soit pas une réplique exacte de la crise de la dette publique qui a déclenché la Révolution française en 1789, les parallèles sont frappants. L’incapacité de l’État royal à tenir les comptes publics a provoqué, en 1789, le plus grand cataclysme de l’histoire de France. Et ce passé est riche d’enseignements pour aujourd’hui. Depuis le XVIe siècle, l’État royal français vivait au-dessus de ses moyens, principalement pour financer ses campagnes militaires coûteuses dans l’ensemble de l’Europe et aussi contre les anglais,les espagnols , les hollandais dans ce qu’il est convenu d’appeler abusivement le nouveau monde. Cette pratique a conduit à l’émission d’obligations, connues sous le nom de «rentes», et à l’émergence des «rentiers» prêtant de l’argent à la monarchie. Cependant, à la fin du règne de Louis XIV, la dette publique a commencé à s’envoler, créant des tensions croissantes dans tout le royaume notamment au sein de la petite noblesse de robe et de la bourgeoisie . Ces tensions étaient également ressenties chez les colons dans les colonies françaises, où des événements tels que la révolution anti-esclavagiste menée par Victor Hugues en Guadeloupe témoignaient de l’impact dévastateur de la crise financière sur les territoires lointains. Victor Hugues est nommé, en 1793, accusateur public au tribunal révolutionnaire de Rochefort puis de Brest. Il est désigné par la suite commissaire de la République à la Guadeloupe par la Convention nationale en 1794. Sa tâche n’est pas mince : Victor Hugues est officiellement chargé d’appliquer le décret du 4 février 1794 qui prononce l’abolition de l’esclavage dans tous les territoires français.
Il organise le soulèvement populaire contre les troupes britanniques : utilisant le décret du 4 février 1794 d’abolition de l’esclavage, il enrôle, en plus des soldats blancs, plus de trois mille hommes de couleur que l’on appellera les « sans-culotte noirs» .
Hugues a pris des mesures radicales pour réprimer les soulèvements des colons qui ne voulaient plus s’acquitter des impôts et taxes dûs désormais au régime révolutionnaire, allant jusqu’à exécuter sommairement de nombreux colons sur la place de Sartine, rebaptisée place de la Victoire mais également dans toute la Guadeloupe . Ces événements illustrent la pression croissante exercée sur le système financier et politique en vigueur dans les colonies à la survenance de la Révolution. L’histoire de l’effondrement de la monarchie française sous le poids de la dette reste donc d’une pertinence remarquable aujourd’hui, soulignant les dangers d’une gestion financière imprudente et les conséquences potentiellement désastreuses d’une dette publique incontrôlée.
L’explosion de la dette publique et ses conséquences dévastatrices ont une fois de plus fait le lit de la violence, cette fois-ci avec un récit tragique provenant des lointaines terres de la Guadeloupe. Comment une crise financière a-t-elle pu entre autres facteurs entraîner la mort de tous les colons sans exception , (à part les fugitifs vers la Martinique, Antigua et Montserrat ) dans cette île de la Guadeloupe ?
La détérioration alarmante des finances publiques en France lors de la révolution a semé le doute et la peur au sein des colons qui ne voulaient plus contribuer au financement du redressement des comptes publics d’une France révolutionnaire exangue financièrement . Cette situation économique précaire n’est pas sans rappeler les épisodes de la révolution en Amérique du Nord contre les anglais . Cependant, la fin du règne de Louis XIV a marqué le début d’une escalade de la dette publique, engendrant des tensions croissantes à travers le royaume. La révolution menée par Victor Hugues en Guadeloupe est un exemple frappant de l’impact dévastateur de la crise des finances publiques sur les territoires lointains des colonies françaises . La Révolution française, avec son idéal de liberté, d’égalité et de fraternité, a résonné bien au-delà des frontières de la « métropole », atteignant même les lointaines îles des Caraïbes dont Haïti et la Guadeloupe . Parmi les figures héroïques controversées de cette période tumultueuse se trouve non seulement le colonel Louis Delgres mais également avant lui, Victor Hugues, envoyé par la Convention nationale pour instaurer l’ordre en Guadeloupe.
Cependant, son règne brutal a été marqué par une décision tragique : l’exécution sommaire de nombreux colons blancs, plongeant l’île dans l’horreur et la terreur.Victor Hugues, un révolutionnaire radical, est arrivé en Guadeloupe en 1794 avec une mission claire : éradiquer toute opposition à la Révolution , obliger les colons à continuer de payer les impôts et taxes coloniales et mettre fin à l’esclavage. La mission économique et financière de Victor Hugues, envoyé par la Convention nationale en Guadeloupe pendant la Révolution française, était principalement axée sur trois objectifs : abolir l’esclavage, réprimer toute opposition à la Révolution et réorganiser l’économie de l’île pour servir les intérêts de la France révolutionnaire.
Premièrement, Victor Hugues avait pour mission de mettre fin à toute résistance contre la Révolution en Guadeloupe. Cela incluait la répression des royalistes, des contre-révolutionnaires et de toute personne s’opposant aux idéaux révolutionnaires de liberté, d’égalité et de fraternité. Hugues a utilisé des méthodes brutales pour atteindre cet objectif, y compris l’exécution sommaire de nombreux colons blancs esclavagistes accusés de soutenir l’ancien régime.
Deuxièmement, Victor Hugues devait réorganiser l’économie de la Guadeloupe pour la rendre plus rentable et alignée sur les intérêts de la France révolutionnaire. Cela comprenait la mise en place de mesures visant à accroître la production agricole, en particulier celle du sucre, du café ,du cacao et du coton, qui étaient des produits d’exportation importants pour la France. Hugues a également entrepris des réformes pour abolir l’esclavage, bien que celles-ci n’aient été mises en œuvre que partiellement et temporairement pendant son règne.
Mais ce qui aurait pu être perçu comme une quête noble pour la liberté s’est rapidement transformé en un bain de sang. Ignorant les appels à la modération, Hugues a choisi une voie impitoyable pour atteindre ses objectifs.Sous son commandement, la Guadeloupe a été plongée dans le chaos. Des colons blancs, accusés de soutenir l’ancien régime et de s’opposer aux idéaux révolutionnaires en refusant l’abolition de l’esclavage et de s’acquitter de l’impôt colonial, ont été traqués sans relâche. La place de Sartine, rebaptisée place de la Victoire par Hugues, est devenue le théâtre de véritables exécutions de masse avec la guillotine . Des hommes, des femmes et même des enfants ont été guillotinés, sans procès équitable ni possibilité de défense.Cette campagne de terreur a laissé un héritage sombre et indélébile dans l’histoire de la Guadeloupe. Les familles des colons blancs ont été décimées, leurs biens confisqués et vendus à l’encan et leur influence économique réduite à néant. Les plantations, autrefois florissantes, ont été laissées à l’abandon, plongeant l’économie de l’île dans le chaos avant que d’être réattribuées à des anciens esclaves irlandais les Irois , dont notamment les ancêtres du poète et prix Nobel de littérature Alexis Léger alias Saint john Perse et certains mulâtres libres de couleurs. Pendant la période révolutionnaire en France, la situation économique et financière était désastreuse. Les caisses de l’État étaient effectivement presque vides, en grande partie à cause des dépenses excessives de l’ancien régime, des guerres coûteuses et de l’inefficacité fiscale. La dette publique était à des niveaux alarmants, et le gouvernement révolutionnaire était confronté à des défis financiers énormes pour financer la guerre contre les puissances royalistes en Europe et maintenir l’ordre intérieur. Les colonies, y compris la Guadeloupe, ont joué un rôle crucial dans la contribution financière à la Révolution française. Les colonies étaient des sources de richesse importante pour la France, principalement grâce à l’exploitation de l’esclavage et des plantations. Les produits coloniaux, tels que le sucre, le café et le coton, étaient exportés vers la métropole et représentaient une part importante des revenus nationaux.
Cependant, pendant la Révolution, les colonies ont été confrontées à des troubles internes, des soulèvements et des révoltes d’esclaves notamment en réaction aux idéaux révolutionnaires de liberté et d’égalité. Les événements comme la révolte menée par Victor Hugues en Guadeloupe ont exacerbé les tensions et perturbé les flux économiques entre la métropole et ses colonies.Malgré ces défis, les colonies ont continué à contribuer à l’effort de guerre et à l’économie française dans une certaine mesure. Cependant, la période révolutionnaire a marqué le début de changements significatifs dans la relation entre la France et ses colonies, avec des conséquences économiques, politiques et sociales durables pour les années à venir. C’est ce pan de l’histoire économique et géopolitique qui a été déterminant plus tard dans l’érection de la Guadeloupe à la voie institutionnelle de la départementalisation en 1946 .
Pourtant, malgré la violence et l’injustice qui ont caractérisé le règne de Victor Hugues, son nom reste controversé. Certains le voient comme un héros de la Révolution, un homme qui a osé défier l’ordre établi et l’esclavage. Pour d’autres, il demeure un tyran impitoyable, responsable de la mort de milliers de colons blancs royalistes et pour avoir rétabli l’esclavage en Guyane .À l’heure actuelle, l’héritage de Victor Hugues divise toujours l’opinion en Guadeloupe. Alors que certains cherchent à commémorer son rôle dans la lutte pour la liberté, d’autres très minoritaires réclament justice pour les victimes oubliées de sa tyrannie. Quoi qu’il en soit, son passage dans l’histoire de l’île restera à jamais entaché par le sang des colons esclavagistes et les cicatrices d’une répression brutale.Ces événements témoignent de la pression croissante exercée sur le système financier et politique français à la Révolution. L’histoire de l’effondrement de la monarchie française sous le poids de la dette demeure donc d’une pertinence remarquable aujourd’hui. Elle met en lumière les éléments qui ont conduit à la disparition des colons blancs esclavagiste en Guadeloupe et non en Martinique. J’en veux pour preuve l’événement du 19 février 1793 , avec le traité de Whitehall, signé à Londres entre la Couronne britannique et les grands planteurs de l’île de la Martinique et de Saint-Domingue, et qui leur permet d’échapper à la Révolution française. En conséquence, l’on peut noter les ascendants des blancs créoles de la Guadeloupe d’aujourd’hui , n’ayant selon toute vraisemblance aucun lien avec l’esclavage, n’étant au surplus que de petites extractions et de fraîche date promus du lieu de la métropole pour remplacer les anciens colons exécutés par Victor Hugues, à la direction des usines et de l’administration coloniale ( médecins, avoués, notaires, militaires ,fonctionnaires , contremaîtres d’habitations, etc…). L’exemple emblématique de ces familles blanches d’ascendance d’esclaves blancs irlandais n’est autre que Saint john Perse qui est le premier contemporain à avoir levé un coin du voile de l’histoire familiale des esclaves blancs irlandais de Guadeloupe non seulement du fait de ses recherches dans les archives nationales en raison de ses fonctions prestigieuses de secrétaire général numéro 1 du ministère des affaires étrangères de la France après le ministre, mais également au travers de ses œuvres poétiques empreintes d’un épais mystère. On constate donc au fil de l’histoire, les dangers inhérents à une gestion financière imprudente et les conséquences désastreuses d’une dette publique incontrôlée. Si les leçons du passé ne sont pas retenues, l’avenir pourrait réserver des tragédies similaires, rappelant ainsi l’importance cruciale de la responsabilité locale et de la stabilité économique pour garantir la sécurité et le bien-être des citoyens, aussi bien en France métropolitaine qu’outre-mer.
« Tout’ manjé bon pou manjé, tout’ palé pa bon pou di. »
Traduction : Toute nourriture est bonne à manger, toute parole n’est pas bonne à dire.
Moralité : Parfois, il vaut mieux garder le silence pour mieux s’exprimer en temps voulu ou jamais …!
Jean-Marie Nol, économiste et chroniqueur de l’histoire de la Guadeloupe