— Par Camille Sellier —
INTERVIEW – Nicolas Dubourg, directeur du théâtre de la Vignette de Montpellier et président du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), analyse pour le JDD les pistes à étudier pour répondre à la problématique de la transition écologique dans le monde du spectacle vivant.
Pour le Syndeac, la préoccupation de la transition écologique fait partie des enjeux que les acteurs culturels doivent prendre à bras le corps.
Face au changement climatique, la question de l’écologie se pose aux professionnels du spectacle vivant. Réutilisation des décors, transformation des parcs de lumière, mobilité du public… Plusieurs pistes sont à l’étude afin de répondre à la problématique de la transition écologique dans le monde de la culture . Pour le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), la préoccupation de la transition écologique fait partie des enjeux que les acteurs culturels doivent prendre à bras le corps. « Si nous voulons de la neutralité carbone, il faut que l’on se transforme en profondeur », explique au JDD, Nicolas Dubourg, directeur du théâtre de la Vignette de Montpellier, et président du Syndeac.
La transition écologique dans le spectacle vivant est l’une des actions prioritaires inscrites dans la feuille de route du Syndeac. Quels sont les questionnements communs au monde du spectacle ?
Quand on parle de mutation écologique , on parle de se réinterroger sur un modèle de société qui été construit sur l’utilisation des ressources fossiles, la déforestation et la prédation des ressources naturelles. Par rapport au monde du spectacle et à la culture en général, nous avons deux enjeux. Le premier, il est de nous décarboner. Nous pensons notamment à la manière dont nos lieux de spectacle vont attirer un public nombreux qui se déplace parfois d’assez loin en utilisant un véhicule etc. Cela a un impact carbone très important. Il est aussi question de la mobilité des artistes eux-mêmes mais aussi des fluides pour chauffer les salles ou les climatiser en été etc. Ce sont tous les points sur lesquels, nous avons la capacité d’agir. Nous sommes dans un secteur économique à part entière, il faut que nos actions soient coordonnées pour être efficace. Nous devons arriver à réfléchir à l’échelle d’une filière économique, à l’échelle nationale, voir à l’échelle européenne pour faire face à l’urgence. C’est le plan carbone, avec un objectif de moins 30 % en 2030 et la question de la neutralité carbone à l’échelle 2040. Nous sommes en 2022, il faut que nous accélérons car nous sommes très loin de la neutralité carbone. Nous devons mettre en place dans les prochaines années des réformes drastiques qui soient coordonnées et financées.
Le modèle du spectacle vivant doit-il se réinventer ?
Évidemment. Comme l’ensemble de l’économie. Si nous voulons de la neutralité carbone, il faut que l’on se transforme en profondeur.
A partir du moment où nous avons identifié un prototype qui est intéressant, la question est de savoir à quelle échelle nous pouvons le développer
Des solutions concrètes ont-elles déjà été mises en place dans certains théâtres ?
De l’exemplarité, il y en a de plus en plus. Les théâtres n’ont pas attendu les syndicats pour commencer à faire des choses. C’est le cas de la réutilisation des décors, ou de la transformation des lampes incandescentes pour utiliser des lampes à LED par exemple. Concernant la question des mobilités, des choses commencent à se mettre en place. Par exemple, avoir une programmation dans des horaires qui permettent aux gens de se déplacer en transport en commun ; mettre en place des systèmes de covoiturage qui sont gérés par les lieux eux-mêmes ou encore proposer aux personnes qui viennent seules d’organiser des retours accompagnés de manière à ce que ce frein à la mobilité soit levé par des mesures d’accompagnements. A partir du moment où nous avons identifié un prototype qui est intéressant, la question est de savoir à quelle échelle nous pouvons le développer.
Où en est-on sur la réutilisation des décors et des costumes ?
Certains théâtres le font déjà. Il y a des ressourceries qui permettent à des compagnies de venir se servir dans des décors, dans des stocks de costumes et ainsi de réutiliser ces éléments qui ont souvent une durée de vie très courte. Il est aussi question des matériaux utilisés dans les décors eux-mêmes. Sont-ils des éléments recyclables ou sont-ils issus de matières non fossiles ?
Le festival d’Avignon remplace progressivement des éclairages halogènes par des LED. Cette initiative pourrait-elle être proposée, par exemple, par la suite aux créateurs mais aussi aux lieux de diffusion ?
Certaines régions le font déjà. Des financements européens ont été mis en place et permettent dans certains cas de financer des conversions de parc lumière. Aujourd’hui, si vous avez un projecteur qui fait 2 000 ou 5 000 watts et que vous le transformez en un projecteur qui fait 100 ou 200 Watts, l’économie est massive. Le problème, c’est ce que ce sont des outils qui s’amortissent en général sur des durées assez longues. Transformer un parc lumière dans un théâtre représente des centaines de milliers d’euros. Si nous le faisons pour l’ensemble d’une profession, ça ne va pas se lancer du jour au lendemain. Par ailleurs, ces LED sont-elles produites en France ou ailleurs ? Il ne faut pas déplacer le problème.
Nous devons inventer ce qui va arriver d’un point de vue culturel et sociétal
Des objectifs ont-ils été définis au sein du Syndeac ?
Nous allons sortir un premier document au mois de décembre. Notre modèle repose sur des objectifs de progression dans les années à venir et ensuite de regarder entreprise par entreprise quelles sont celles qui peuvent aller plus loin et quelles sont celles qui sont en difficulté, qui vont mettre un peu plus de temps.
Quel rôle doit jouer la culture dans la transition écologique ?
Il y a une réalité de la mutation écologique de la société. Le secteur culturel peut avoir un rôle fondamental sur le récit. Quel est le récit qu’on fait de cette grande transformation qui va s’opérer dans les quinze prochaines années ? Comment retrouve-t-on un récit porteur face à une telle complexité ? Ça doit être construit avec les jeunes ces questions là. Nous pensons que l’école, la science, les centres de recherche s’occupent de bâtir les faits avec le Giec et les experts. Mais une fois que nous savons ce qui va arriver d’un point de vue scientifique, nous devons inventer ce qui va arriver d’un point de vue culturel et sociétal. Le monde de la littérature, du cinéma… La culture au sens large peut permettre de sortir d’une fragmentation de la société et d’un repli communautaire. La seule manière d’avoir un projet inclusif, fédérateur et un peu optimiste, c’est de s’appuyer sur le monde de la culture.
Source : Le JDD.fr