— Par Lucile Quillet —
L’historienne Anne-Marie Sohn a décrypté 200 ans de construction de l’identité masculine dans le livre La Fabrique des garçons. Entretien.
Un an après la parution de La Fabrique des filles (1), les éditions Textuel récidivent avec le pendant testostéroné de leur étude des stéréotypes genrés. Dans La Fabrique des garçons (2), l’historienne Anne-Marie Sohn décrypte les mécanismes fondateurs de l’identité masculine dans l’éducation des petits garçons. Car les hommes ne naissent pas hommes, ils le deviennent. Entretien.
Lefigaro.fr/madame. – On entend beaucoup parler des stéréotypes dont souffrent les femmes, mais peu de ceux qui concernent les hommes. Pourquoi ce silence ?
Anne-Marie Sohn. – Même s’ils s’interrogent sur eux-mêmes, les hommes parlent peu de leurs stéréotypes. Seulement une poignée d’hommes, qui se disent féministes, récusent à haute voix les traits de la domination masculine. On remet difficilement ces clichés en question car le masculin fait figure d’universel, son identité semble naturelle. Grammaticalement déjà, on utilise le masculin pour définir l’humanité toute entière. La construction de la masculinité a transformé la culture en nature. Aussi, les processus de fabrication des garçons sont moins visibles que ceux des filles. Les séries d’épreuves par lesquelles ils doivent prouver leur courage, défendre leur honneur sont très intériorisées et difficilement détectables.
Avez vous un exemple de ces épreuves qui font un homme ?
J’ai mis du temps à déceler le « test de la plaisanterie » comme je l’appelle. Les garçons s’envoient des blagues très blessantes auxquelles il faut répondre avec humour, sans avoir l’air ni atteint ni vulnérable. Ils se moquent des uns des autres pour s’endurcir. Le tempérament masculin se doit d’être impassible : l’homme est supposé être fort et ne pas pleurer.
Quelles ont été les évolutions majeures de l’identité masculine ?
Mon livre commence au début du 19e siècle. La masculinité est alors flamboyante, agressive, batailleuse. Les adultes minimisent la chose en disant que les garçons sont « turbulents ». Ils excusent cette violence, la rendent excusable car ils la considèrent propre au masculin. Dans la société de l’époque, la force est valorisée car elle est un atout professionnel. Le développement des machines et la révolution industrielle n’ont pas encore eu lieu, il faut dominer physiquement l’autre pour être un homme. Il y a également beaucoup de solidarité entre hommes : si un ami se bagarre, il faut y aller avec lui. Il faut avoir du courage, rester imperturbable et défendre son honneur.
Cela change-t-il au 20e siècle ?
Au début du 20e siècle, on assiste à un effondrement de la violence en général. La société, de plus en plus évoluée, ne la tolère plus. L’éducation devient fondamentale pour les garçons, elle les civilise…
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(1) La Fabrique des filles, l’éducation des filles de Jules Ferry à la pilule, de Rebecca Rogers et Françoise Thébaud, aux Éd. Textuel, 159 pages, 35 euros.
(2) La Fabrique des garçons, l’éducation des garçons de 1820 à aujourd’hui, d’Anne-Marie Sohn, aux Éd. Textuel, 160 pages, 35 euros, sortie le 7 octobre 201