Plongée rigoureuse dans l’histoire de cette abolition.
— Par Derwell Queffelec sur Fance-Culture —
Victor Shœlcher et l’esclave Romain, la République française et la population antillaise y ont œuvré… Voici comment l’esclavage a été aboli en Martinique en 1848.
27 avril 1848.
Sous l’impulsion de Victor Schœlcher, homme politique français, un décret pour l’abolition de l’esclavage est signé par le gouvernement de la IIe République. Il doit être appliqué d’ici juillet.
Un décret et un embrasement
Dans les tiroirs depuis le 4 mars, l’information du décret se répand rapidement jusqu’aux Antilles Françaises.
En Martinique, l’attente est insoutenable, en partie due au souvenir du 1er décret d’abolition de l’esclavage en 1794 qui avait été annulé quelques années plus tard. Les esclaves craignent que le décret soit une parole en l’air et le 21 mai un événement embrase la ville de Saint-Pierre.
« Il faut savoir qu’on est vraiment sur le fil du rasoir. C’est-à-dire qu’on est train d’attendre l’abolition. Le conseil municipal de Saint-Pierre, la ville la plus importante de la Martinique, va déjà se prononcer pour une abolition de l’esclavage sans attendre le décret. Et une étincelle va mettre le feu aux poudres, c’est l’arrestation d’un esclavisé qui s’appelle Romain et qui bat le tambour. Le tambour, c’est un symbole fort par lequel les esclavisés transmettaient des informations. Ça a été interprété comme une sorte de contestation de l’autorité du propriétaire. Ce qui fait que cet esclave Romain va être mis en prison. Ce déclenchement par l’arrestation de Romain fait qu’il y a un soulèvement général et ça va se répandre dans toute la colonie de la Martinique« , développe Myriam Cottias, directrice du Centre International de Recherches sur les esclavages et post-esclavages.
L’esclave Romain est libéré le matin du 22 mai mais les esclaves restent dans les rues, se heurtent aux militaires, à des maîtres blancs.
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L’esclave Romain est libéré le matin du 22 mai mais les esclaves restent dans les rues, se heurtent aux militaires, à des maîtres blancs.
Cette flambée de violence embrase la ville de Saint-Pierre et la foule se concentre vers une maison où sont réfugiées des familles de colons parmi les plus honnis. On y met le feu, l’émeute est à son comble. Les accrochages font plusieurs blessés et morts, dans les deux camps.
Le 23 mai, le conseil municipal soumet une motion d’abolition immédiate par peur d’une escalade des violences. Elle est prononcée dans l’après-midi. La Guadeloupe suit quelques jours plus tard, puis la Guyane.
Un passé significatif
Depuis son soulèvement en 1791 sous le nom de Saint-Domingue et son indépendance en 1804, l’île voisine d’Haïti nourrit depuis 1804 les espoirs des esclaves de la région.
« Tout d’un coup il y a cette lueur d’espoir qui brille sur la mer des Antilles. Et puis, du côté des esclavagistes il y a cet aussi équilibre de la peur qui se met en place. Tout à coup, on s’aperçoit que des personnes qui étaient considérées comme hébétées, qui étaient totalement inconsidérées, peuvent mener une politique d’éradication d’un système esclavagiste et ça fait peur, bien évidemment. On reconsidère cette question des équilibres dans les sociétés esclavagistes« , analyse Myriam Cottias.
C’est cet espoir qui va pousser les esclaves à prendre la rue le 22 mai 1848.
La ferveur populaire se fait sentir aux Antilles, des révoltes éclatent tout au long du début du XIXe siècle jusqu’à cette fameuse année de 1848. C’est la combinaison du passé de l’île, du décret de Victor Schœlcher et de l’attente de son application qui va embraser Saint-Pierre.
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Le rôle de Victor Schœlcher
Victor Schœlcher, humaniste engagé dans les droits civiques est abolitionniste depuis un voyage à Cuba. C’est lui qui, en France, milite auprès du gouvernement pour une abolition immédiate de l’esclavage et ce, le plus rapidement possible.
« Et le gouvernement n’est pas tout à fait convaincu qu’il faut le faire tout de suite… C’est Victor Schoelcher qui va les convaincre de le faire, c’est lui qui va, vraiment, chercher chaque signature nécessaire au bas du décret et à tel point qu’il va dire : “Mais je n’aurais jamais cru qu’il était aussi difficile de tuer l’esclavage par la République.” Il s’investit et ce rôle d’investissement est nécessaire et indispensable pour l’abolition de l’esclavage, c’est évident« , rajoute Myriam Cottias.
Victor Schœlcher sort en héros de cette abolition tandis que le soulèvement des esclaves est mis de côté.
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Une version institutionnelle qui va être contestée lors du centenaire de l’abolition. Aimé Césaire, écrivain martiniquais et fondateur de la “négritude” mentionne l’émeute du 22 mai 1848 lors de la cérémonie. Il est l’un des premiers à souligner l’importance du rôle des esclaves dans l’abolition aux Antilles.
Une reconnaissance du rôle joué par les esclaves eux-mêmes, pour laquelle se battent encore des militants aujourd’hui.