— Introduction au débat présentée par Robert Saé —
Les événements de décembre 59 ne sont pas une simple explosion sociale qui aurait été provoquée par des difficultés conjoncturelles. Ils s’insèrent dans la continuité historique des luttes du Peuple Martiniquais.
Tout comme la révolution anti-esclavagiste de Mai 1848, l’insurrection de 1870, la grève des ouvriers agricoles de 1974 ou encore les mobilisations de 2009, ces événements sont surtout des manifestations des contradictions inhérentes à la société Martiniquaise et, en même temps, des marqueurs de mutations sociales imposées autant par des évolutions économiques que par les luttes populaires.
On peut illustrer cette réalité en établissant un parallèle entre les événements de décembre 59 et ceux de ces derniers mois. ! Comment a-t-on expliqué l’explosion sociale des 20, 21 et 22 décembre 1959 ? Par le chômage et l’exaspération de la jeunesse, par la vie chère, par le comportement raciste des « métropolitains ». 62 ans après, ce sont les mêmes causes qui sont invoquées pour expliquer la présence des jeunes sur les barrages.
Les contradictions inhérentes à la société Martiniquaise, qui la minent et génèrent épisodiquement de telles explosions sociales, sont liées au fait que notre pays vit sous la domination de l’état français et de la caste béké.
L’Etat colonial, détenteur exclusif du pouvoir politique, impose ses diktats dans tous les domaines. En étroite collusion avec la caste qui contrôle l’économie, il paralyse tout développement endogène de l’économie et maintient le pays enferré dans une extraversion mortifère. La survivance du système de plantation et les situations de monopoles sont irrémédiablement responsables de la vie chère. Quant au maintien des inégalités, il est structurellement organisé pour conforter le suprématisme raciste des colonialistes et de la caste dominante.
Mais, notre histoire nous apprend que la permanence des dominations et des exactions s’accompagne sans discontinuer de la permanence de la résistance de notre Peuple.
Aux révoltes incessantes des esclavagisés, ont succédé les grèves des ouvriers agricoles. L’affiche placardée en 1900 sur les murs de St-Pierre en soutien à la grève des ouvriers agricoles de Sainte-Marie, à peu de chose près, aurait pu l’être cette année. Il faut rappeler aussi la résistance à la dictature de l’Amiral Robert et la mutinerie du Commandant Tourtet ou encore toutes les luttes menées pendant la période coloniale départementaliste par les ouvriers des différents secteurs, les fonctionnaires, etc.
La permanence de la résistance populaire ne s’est pas seulement manifestée par les grèves et les insurrections, elle s’est traduite également dans la capacité à développer une économie de subsistance parallèle -de façon particulièrement exemplaire « antan Robè » et à faire vivre une culture réellement martiniquaise, bref à maintenir une vie alternative malgré le poids de l’oppression du pouvoir colonial et de la caste béké.
Maintenant, je voudrais attirer l’attention sur une autre constante que l’on peut vérifier tout au long de notre histoire. Il s’agit des réponses portées par le pouvoir colonial et les classes dominantes locales chaque fois que des luttes populaires venaient troubler leur quiétude. Nous retiendrons quatre aspects :
1- la diabolisation de ceux qui luttent
-Il sont systématiquement présentés comme des trublions minoritaires qui viennent mettre en cause l’ordre public. Puisque notre commémoration se déroule sur les lieux où ont été fusillés les combattants de 1870, nous citerons en exemple les propos du grand « humaniste » Victor Schoelcher. « Il y a trois ans, écrivait-il en 1873, quelques malfaiteurs profitant des désastres de la mère-patrie et favorisés par des circonstances fatales levèrent l’étendard de la révolte. Leur soulèvement a été comprimé en peu de jours… ses chefs au nombre de 8 ont payé leur crime de la peine capitale. Les malheureux qu’ils avaient égarés expient leur complicité au bagne et dans les prisons.»
-Tous ceux qui se battent pour l’amélioration de leur sort sont inévitablement accusés de mettre à mal l’économie ! Du sucre qui se vend mal aux difficultés dues à la crise sanitaire, en passant par la férocité de la compétition internationale, le fil conducteur reste le même : ceux d’en-bas sont sommés d’accepter la surexploitation et les sacrifices au nom de l’intérêt (soi-disant) commun.
2 – la répression
Au nom de la loi venant de France, les pires exactions ont été commises contre tous ceux qui ont osé se dresser contre la domination. Au nom du Code noir, le rebelle pouvait être amputé ou tué. Au nom de la loi, en 1870, les populations pouvaient être décimées, les récoltes détruites et le bétail abattu. Au nom de la loi de la République, l’ordonnance d’octobre 1960 permettait au préfet-gouverneur de muter ou de radier tout fonctionnaire qui troublerait l’ordre colonial. Aujourd’hui, le concert des profiteurs aliénés clame qu’il faudrait que s’agenouillent ceux qui refusent d’être des cobaye pour le compte des multinationales et qu’ils acceptent qu’on leur ôte le pain de la bouche, parce que « la loi de la République ne peut souffrir d’exception ! La répression judiciaire, quant à elle, n’a jamais chômé, emplissant régulièrement ses charrettes de grévistes et de militants anticolonialistes. Vous aurez noté que la présente commémoration est, d’une part, placée sous la Présidence d’honneur de Guy DUFOND, ancien prisonnier politique membre de l’OJAM et, d’autre part, qu’elle est dédiée aux 4 militants antichlordécone actuellement emprisonnés : Edwin, Dalsim, Lulu et Volcan.
3- la capacité du pouvoir colonial à réadapter sa domination après chaque tempête sociale
Par exemple, immédiatement après les émeutes de Décembre 59, alors qu’une « union sacrée » de façade se réalisait en Martinique pour réclamer plus d’autonomie, le pouvoir colonial organisait sa riposte, d’une part, en planifiant l’exil des forces vives, en particulier celui de la jeunesse (on pense au Plan Némo et au Bumidom), et, d’autre part, en renforçant la surveillance et la répression contre tous les opposants. Ces dernières décennies, il est passé maître dans l’art d’étouffer les mouvements sociaux en les engouffrant dans les voies de garage que sont les Etats Généraux où autres ateliers sans lendemains.
4 -le pouvoir colonial a toujours bénéficié du soutien d’une frange de la petite-bourgeoisie et d’une mal-nommée élite locale dans son entreprise de domination.
Pour illustrer cet aspect, nous nous contenterons de faire parler Bissette qui, pour se défendre des accusations de subversion portées contre lui, déclarait : « Nous avons donné des témoignages non-équivoques de notre fidélité lors de l’insurrection des esclaves en 1821 et 1822 ». Et, concernant une brochure qu’il avait publiée, il défendait sa fidélité au système : « je n’ai jamais eu l’idée de faire soulever les hommes de couleur libres contre les blancs ; ceux auxquels je l’ai lue ont tout intérêt autant que moi, étant propriétaire, à maintenir l’ordre et la tranquillité dans la colonie et n’aurait qu’à perdre si elle venait à être troublée.» Aujourd’hui encore, cette collaboration – le mot n’est pas choisi au hasard – s’affiche sans complexe.
Nous constaterons, pour finir que toutes les avancées réalisées dans notre pays en ce qui concerne les conditions de vie et le respect des droits humains n’ont été possibles que grâce aux luttes menées par notre peuple. Inversement les colonialistes, la caste béké et leurs supplétifs locaux se sont toujours comportés en prédateurs impitoyables. Eh bien c’est ce constat qui devrait inspirer les objectifs de notre combat d’aujourd’hui.
Nou ja pijé asé, fok nou maté kat-la ! Fok nou kasé kod !