— par Janine Bailly —
Quatre comédiennes, appartenant à la compagnie Les Buv’Art, maintenant bien connue des scènes martiniquaises, ont eu la judicieuse idée, pour marquer de leur pierre cette semaine où l’on célèbre la Femme, de s’attaquer à un monument du théâtre dit populaire, Et pendant ce temps, Simone veille, qui tient la scène à Paris depuis de longs mois, et qui s’apparenterait plutôt au genre cabaret-théâtre, par ses jeux de mots, ses calembours, ses chansons, qu’elles soient dans leur forme originelle ou réécrites en version humoristique sur des airs célèbres, comme par une certaine volonté caricaturale dans la composition de ses personnages. On n’oubliera pas la parodie de “Bambino”, mimée et chantée, extrêmement drôle, où il est parlé de la libido des femmes, et des transformations qui se sont opérées grâce à la contraception.
Idée généreuse aussi, la première s’étant donnée gratuitement au restaurant Les Arômes du Carbet, dans la salle transformée pour accueillir un public venu nombreux, et qui s’est montré enthousiaste devant la prestation enlevée de la petite troupe. Troupe féminine à l’exception de Rachid, habituellement acteur mais préposé à la technique, qui accomplit, dans ces circonstances improvisées, la performance d’illustrer le propos à l’aide d’une bande-son originale et de projections vidéo d’époque particulièrement parlantes. Inénarrables, la publicité “Moulinex libère la femme” devenue emblématique, ou le reportage “Aujourd’hui Madame” sur les tâches — oh pardon —, sur les activités ménagères !
S’il est commun de dire que sous le rire voulu par Molière se cachait la critique de la société et de l’être humain, le rire ici a pour fonction de soutenir la visée pédagogique du propos. C’est à la conférencière, Simone, qu’est dévolue la tâche de conter par le menu ce que furent ces décennies de luttes des femmes à la lente conquête de leurs droits et libertés les plus élémentaires, du droit à posséder son propre carnet de chèques à celui de disposer librement de son propre corps. Mais encore lui faut-il de temps à autre rappeler à l’ordre ses trois congénères qui s’égarent — à retomber sous la coupe d’un homme, à se soumettre de nouveau aux diktats de la société, à se battre comme des chiffonnières au moment des soldes… Hélène assume ce rôle avec une assurance qui va croissant au fil de la représentation, et c’est un exploit que de dire un texte si long, ossature de la pièce, émaillé de dates et de lois, certes allégé par des traits d’humour, par ailleurs plus ou moins heureux.
L’ensemble me paraît à ce sujet inégal, et s’il est des morceaux de bravoure parfaitement réussis, il est des moments où le texte et ses calembours ne tiennent pas la longueur. Cela n’est pas imputable au trio de comédiennes qui, dans une belle énergie, interprètent ces scènes de la vie quotidienne, changeant d’allure, de posture, voire de visage en changeant d’époque, puisque l’histoire se déroule sur quatre générations, de 1950 à 2010, de la femme d’aujourd’hui à son arrière-grand-mère. Des comédiennes qui ont particulièrement soigné les costumes, du chapeau de la bourgeoise accrochée à ses bonnes manières au bandana de la hippie accrochée à son joint, des robes strictes d’autrefois aux toilettes chamarrées et mini, sans omettre les paillettes pour la boîte de nuit à Chippendales, ni le pantalon dont le port fut conquis de haute lutte !
Certes, il y eut bien çà et là quelques petites défaillances, que les comédiennes furent d’ailleurs les premières à regretter, trac qui noue la voix et fait achopper sur certaines répliques, fatigue qui se fait sentir sur la fin, passages oubliés de l’une ou de l’autre : mais qu’elles se rassurent, on les a aimées ! Et cela est bien normal pour une première, qui s’avérait être plutôt une générale, sans compter que, la disposition improvisée mettant le premier rang des spectateurs à effleurer l’espace scénique, il leur fallut jouer dans une proximité obligée, une intimité à assumer !
Ce quatuor de voix différentes, chacune avec sa sensibilité propre, nous a convaincus, partagés que nous fûmes entre rire et émotion — comment ne pas avoir envie d’entonner encore avec elles, des frissons sur la peau, ce refrain du Mouvement de Libération des Femmes, qui bien que vieux d’une cinquantaine d’années reste, hélas, pour beaucoup d’actualité : « Levons-nous femmes esclaves / Et brisons nos entraves / Debout, debout, debout ! » Spectacle-découverte pour les plus jeunes, spectacle-réminiscences d’un passé pas si lointain pour les plus âgées, dont je suis, et qui peut-être ont apporté leur petite contribution à l’édifice. Simone de Beauvoir, elle qui affirma que « on ne naît pas femme, on le devient », ne manque pas à l’appel, présente entre autre sous la forme de son plus célèbre essai, ce qui fit demander à la plus naïve, celle qui dit ne pas savoir lire, celle que l’on violente et que l’on engrosse impunément, « où il est », ce “Deuxième sexe” ?
C’est sur un vibrant hommage chanté à Simone, la vraie, la battante « qui a fait de la femme une personne », “la” Simone Veil, celle qui sut tenir tête et nous montrer le chemin, que prend fin ce moment chaleureux et convivial de bonheur partagé : merci et bon vent à celles et celui qui nous l’ont offert, pour que les représentations à venir soient plus belles encore !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 8 mars 2018
Photos Paul Chéneau