— Par Roland Sabra —
L’argument est d’une grande simplicité. Deux hommes, qui se connaissent depuis l’enfance, auteurs de mauvais coups sont en prison pour meurtre. Est-ce toujours le même qui comme d’habitude va endosser la responsabilité du crime? Et si oui à quel prix? Quand un malfrat a tout perdu que lui reste-t-il à offrir en échange pour échapper à l’enfer de la prison? Sa virilité?. Le texte de Maryse Condé ne le dit pas clairement mais le suggère avec insistance. Sur un fond de critique sociale sans concession l’auteure récite son credo, à savoir qu’il faut rompre avec l’idéologie victimaire à laquelle les victimes elles-mêmes font semblant de croire. Elle appelle à la responsabilité des individus pour les sortir de leur condition de sujet et pour qu’ils adviennent à la position d’acteur de leur propre destin. Si l’intention est louable son mode d’expression, le texte théâtral l’est beaucoup moins. Il faudra bien que Maryse Condé y consente, n’est pas auteure de théâtre qui veut et le travail d’élagage de José Plya, de coupe dans un texte à l’origine injouable parce bien trop « littéraire » allège le propos au risque de le vider de sens. Reste que ce travail d’élision n’a pas permis de faire surgir, de mettre en évidence ce qui de toute évidence n’y était pas à savoir une intention dramaturgique.
Que pouvait faire José Exélis face à une telle gageure? Donner le meilleur de lui-même! Ce qu’il fait à l’aide de deux comédiens de talent Gilbert Laumord et Ruddy Sylaire. Le premier sur le registre de la cérébralité et le second sur celui de la motricité. S’il y a quelques approximations sur le placement et s’ils buttent encore par moment sur le texte, ils occupent l’espace de façon massive et font montre de la solidité de leur métier. Comment figurer un univers carcéral sur scène en évitant les clichés du genre? Certainement pas en hésitant entre espace intime et espace ouvert. Peut-être pas en utilisant des treillages fussent-ils souples, noirs et mobiles. Peut-être sans décor tout simplement, le vide comme métaphore de l’enferment. A propos de métaphores, on connaît le penchant de José Exélis pour ce qu’il appelle joliment, les « métaphores corporelles » ( Voir l’entretien qu’il nous a accordé). Le prologue et l’épilogue de la pièce sont prétextes à deux « métaphores corporels » parmi d’autres, sans que l’on sache de quelle substitution analogique elles relèvent.
La première celle début du spectacle gagnerait à une « érotisation » dansée et ambiguë, mise en place par un chorégraphe de métier. De même la fin de sa scène 4 scène au cours de laquelle Jeff fait le récit d’une liaison homosexuelle qu’il a eu à Magwada et qui a duré trois mois, méritait un traitement qui suscite autre chose que l’indifférence polie qu’elle suscite chez Grégoire. Cette scène est le point de bascule autour duquel va s’ordonner le pacte en cours d’élaboration. Ce moment est important car il permet de comprendre comment Jeff, jusqu’alors présenté comme dominé, souffre-douleur de Grégoire va devenir l’élément moteur du binôme. Tout comme dans les couples sado-maso où c’est le masochiste qui mène le jeu. L’escamotage de cette scène explique la fin choisie par José Exélis qui élude la dimension homosexuelle du « deal » conclu et pourtant on ne peut plus clair dans le texte de Maryse Condé. José Exélis semble avoir reculé d’effroi devant l’homosexualité, affichée de Jeff et refoulée chez Grégoire. Il opte donc pour une fin « poétique , non dramatique » et non conforme aux didascalies de l’auteur.
Les lumières sont signées Dominique Guesdon et sont sans reproches. Cet habitué des contrastes marqués, des bascules violentes a su créer un univers mi-jour mi-nuit, assez fidèle à ce que l’on peut imaginer être celui d’un univers carcéral. Ce travail de lumière donne une unité, un continuum que l’on ne retrouve pas dans la bande sonore, petite faiblesse de la pièce. Les raccords ne sont pas toujours très nets, les coupes manquent de franchise et les transitions de fluidité. L’accompagnement musical des toutes premières scènes semblent par exemple, mais ce n’est qu’une impression, en déphasage avec le texte.
L’enchaînement des scènes se fait sur un tempo unique du début à la fin de la pièce. L’articulation des scènes devrait s’arranger en fonction de leurs contenus respectifs et de leur place dans la progression du récit. Un même temps de transition, même s’il est accompagné d’un univers sonore différent, ne se justifie sans doute pas.
José Exélis aurait peut-être pu demander à ses comédiens d’accentuer leur rôles en flirtant avec les archétypes sous-sous-jacents aux personnages de la pièce. La complexité et l’ambivalence résidant davantage dans la situation créée que dans les personnages eux-mêmes. La durée de la pièce quarante cinq minutes permet difficilement de présenter une étude psychologique subtile des protagonistes. José Exélis a lu la pièce c’est indéniable. Il s’est posé la question du sens de chaque réplique mais cela semble s’être fait au détriment de la cohérence de l’ensemble de la lecture comme s’il semblait avoir perdu l’économie générale du texte. Mais le reproche est injuste car on ne peut perdre que ce qui existe au préalable.
Un texte un peu faible, un travail de mise en scène perfectible, deux excellents comédiens pour une soirée, qui nous laisse un peu sur la faim..
Roland Sabra