23 Mai : Journée Nationale en Hommage aux Victimes de l’Esclavage
— Par Pierre Laurent, sénateur, président du Conseil National du PCF —
Le 23 mai est un jour que nous consacrons toutes et tous à l’hommage national aux victimes de l’esclavage colonial et à leur mémoire. Je m’associe avec tous les communistes à cette journée nationale, aux côtés des descendants d’esclaves qui se mobilisent pour rendre hommage à leurs aïeux. Cette reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’Humanité et des souffrances infligées à des populations et des pays entiers fut l’objet d’un grand combat, un combat légitime et humaniste. Ce combat se poursuit aujourd’hui, il est essentiel, pour que rien de ce que fut, dans le passé, le système colonial-esclavagiste ne reste dans l’ombre : ni la plus-value des capitalistes, (l’accumulation primitive qui a permis l’essor du capitalisme) et de leurs États qui se sont honteusement enrichis, ni les traumatismes profonds des descendants d’esclaves : (marchandisation, destruction des familles), qui ont mis si longtemps à être reconnus. Ce système ne pouvait fonctionner que sur le racisme en légitimant le sort fait à des « sous hommes ». Il existe encore un esclavage « moderne » de par le monde (pays du golfe, mais pas seulement) et les femmes sont les premières victimes de l’esclavage domestique et de la traite des êtres humains.
Frantz Fanon avait ses mots : « Je ne veux pas chanter le passé aux dépens de mon présent et de mon avenir ». Plus que jamais, le devoir de mémoire doit donc s’accompagner de la nécessité de construire un monde qui se débarrasse de toutes les dominations, de toutes les exploitations, qui s’attaque résolument à toutes les inégalités entre les individus et tous les peuples, qui éradique de l’avenir de l’Humanité le poison du racisme et du rejet de l’autre.
Quand Mr Salvini, chef d’état italien instaure dans son pays une amende à l’encontre de ceux qui viendraient en aide aux migrant.e.s perdu.e .s en mer et que l’Union Européenne ne dit rien et laisse faire, nous affirmons aujourd’hui qu’il est urgent de remettre l’humain et ses valeurs au cœur des politiques publiques, notamment en Europe. Quand des millions d’enfants, des millions d’être humains à travers le monde sont mis en état d’esclavage, nous sommes encore trop peu à en remettre en cause les mécanismes, et le système capitaliste qui a modernisé son système d’exploitation.
« Chaque fois qu’un homme (une femme) a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme (une femme) a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. » (Frantz Fanon). Nous sommes conscients de l’immensité du défi à relever : en cooperation étroite avec quiconque ressent la même exigence, nous nous donnons le projet de nourrir d’idées progressistes l’indispensable débat citoyen sur les valeurs qui doivent fonder une vision alternative, humaniste, de l’avenir de l’humanité et de la coopération entre les peuples.
Ces valeurs sont d’abord celles de la solidarité: les interdépendances sont devenues telles que les problèmes qui touchent des sociétés à l’autre bout du monde nous concernent par ricochet. La question des migrations en est une illustration flagrante. L’avenir de la planète appelle la solidarité, entendue au sens le plus fort : non la simple charité, mais la conscience d’une « responsabilité commune », que ce soit pour le climat, la justice sociale, la paix, les droits des peuples, la démocratie.
Ces valeurs sont ensuite celles du multilatéralisme qui n’est finalement rien d’autre à mes yeux que cet esprit de « responsabilité commune » concrétisé sur le plan des institutions. En particulier les Nations-Unies qu’il convient de réformer profondément dans l’esprit de leur Charte de 1945 – afin d’en faire l’institution authentiquement universelle et axée sur les grands enjeux sociaux internationaux, dont le monde a besoin. A bien plus forte raison, les institutions européennes demandent-elles à être franchement refondées pour pouvoir prétendre s’inscrire dans cette logique ! Notamment, en s’émancipant de toute tutelle des Etats-Unis, y compris militaire avec l’OTAN, et en traitant d’égal à égal avec tous les partenaires des autres régions du monde.
Ces valeurs sont enfin celles de l’altérité et de l’échange culturel : face aux « monstres » qui envahissent progressivement tous les secteurs de la vie, nous devons promouvoir la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Notre but doit être de dépasser tout ce que la notion « d’étranger » peut charrier de méfiance, voire d’hostilité. « L’européocentrisme », ou « l’occidentalocentrisme », cette propension à se sentir appartenir à la civilisation-étalon applicable au monde entier, n’est plus tolérable aujourd’hui. Accepter et construire du commun dans un échange permanent et respectueux non du bout des lèvres mais en y voyant le reflet de la richesse de l’humanité, voilà la condition d’une vraie égalité des peuples et d’une lutte efficace contre le choc des civilisations auquel les réactionnaires de tout poil veulent nous amener.
Je fais mienne la notion de « transculturation » qui ne cantonne pas les individus dans des catégories sociales, culturelles ou ethniques, mais fonde les rapports humains sur le commun de l’humanité, le respect de l’autre, l’échange culturel jusqu’à contribuer à une nouvelle ambition de civilisation, à un progrès de l’Humanité tout entière. Le développement des échanges personnels, de la connaissance des autres sociétés et des autres civilisations, de la réalisation de projets communs, sont et seront les meilleurs antidotes contre l’intolérance, le racisme, le nationalisme et un puissant facteur de paix.
Je ressens le besoin urgent de s’approprier et de débattre le concept du « Tout-Monde » d’Edouard Glissant et de Patrick Chamoiseau pour une République dont nous contribuerons ensemble à bâtir les évolutions dans le 21ème siècle.
C’est donc dans un nouveau récit pour l’Humanité que nous nous inscrivons, dans cette période de notre histoire humaine où, comme le disait Gramsci, « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître » et si « dans ce clair-obscur surgissent les monstres », la journée du 23 mai, en hommage aux victimes de l’esclavage et du colonialisme, est un beau jour pour les combattre et engager l’Humanité sur un autre chemin, celui de l’épanouissement de chacun-e.
Pierre Laurent
Source : L’Humanité.fr