— Par Roland Sabra —
Les techniques de Võ pour les femmes, un art qui consiste en l’apprentissage des formes de combat traditionnelles auprès de maîtres d’arts martiaux
« Incest ? The game all family can play! » disent avec l’humour qui les caractérise nos amis anglais. Luc Saint-Eloy, parisien d’origine guadeloupéenne aborde le sujet sous un autre angle dans « Combat de Femmes » une pièce qu’il a écrite mise en scène et présentée dans une première version aux foyolais le 08 juillet 2005 dans le cadre du 34 ème Festival de Fort-de-France « Imaginaires Insulaires ». Le texte écrit il y dix ans de cela est resté lettre morte pendant tout ce temps, sans que personne n’accepte d’en financer le montage et il aura fallu la nécessité de trouver quelque chose à montrer dans l’urgence de la préparation du festival pour qu’il soit présenté. Le thème est un peu sulfureux . Deux jeunes femmes entretiennent une liaison amoureuse, ce qui est ici et ailleurs déjà hors norme, mais facteur aggravant elles découvrent qu’elles sont soeurs par leur mère, l’une ayant été abandonnée, peut-être vendue, malgré quelques dénégations, à sa naissance à une famille d’adoption. Cela ne suffit pas à Luc Saint-Eloy qui éprouve la nécessité d’en remettre une couche dans la dramaturgie en faisant du père adoptif un violeur pédophile de sa fille. Le couple lesbien décide de se venger de sa mère (sic) en la séquestrant pour obtenir une (re)co-naissance maternelle tardive à finalité thérapeutique. Il est donc question, on l’aura compris, d’homosexualité, d’inceste, de filiation adoptive, de viol, de pédophilie, de maltraitance maternelle , de prise d’otage, de catharsis. Un tel énoncé, un peu racoleur, a de quoi épouvanté car si l’abondance de bien ne nuit pas on sait aussi que le mieux est l’ennemi du bien, et l’on pouvait craindre une mise en scène psychologisante autour des affres et des tourments de l’ âme féminine livrée aux turpitudes sous la dure loi du désir. On peut être rassuré, de psychologie il n’est point question chez Saint-Eloi, mais alors pas du tout. On verse d’entrée dans le grotesque, le théâtre de boulevard, une cage aux folles dans laquelle ma femme s ‘appelle Maurice! Saint-Eloy qui prétend aimer les femmes,(que Dieu les protège) fait endosser à la mère l’habit de l’hystérique extravagante irresponsable et infantile. Elle crie, elle hurle, elle pleure, elle geint, elle postillonne, elle s’époumone et elle croît jouer.
L’absence de dimension psychologique dans la composition des rôles s’accompagne donc d’une absence de direction d’acteur. La mère emprunte à tous les genres, à tous les accents, de celui de Belleville, à celui du XVIeme en passant par celui de Sidi Bel Abbès et d’Oxford et même par le créole pour ce qui lui en reste.
Les deux jeunes comédiennes qui méritent mieux que ce à quoi elles sont condamnées, se laissent elles aussi, gagner par l’hystérisation, l’excès et le sur-jeu et si elles arrivent à émouvoir dans la scène de narration du viol elles le font malgré la gestuelle grimaçante à la limite de l’obscénité de l’actrice principale.
Pas plus de sens du plateau que de direction d’acteur, seul le devant de la scène est occupé, les trois entrées se font du côté jardin, pourquoi se compliquer la vie? C’est à la fois du sous- théâtre d ‘appartement, pour la scénographie, l’utilisation de l’espace et du sous théâtre de boulevard pour le traitement des thématiques et la trivialité de la présentation.
Ce n’est pas le théâtre antillais, c’est du théâtre d’importation d’invendus que l’on tente de recycler dans les îles. Il existe un théâtre antillais bien vivant , on l’a vu à travers l’intéressant travail d’Exélis autour de Gilbert Laumord dans IAGO, à travers l’admirable tropicalisation de la Cerisaie du talentueux Lemoine, digne fils des Grandes Antilles. Michelle Césaire nous a cette année encore, confirmé la sûreté de ses choix avec l’Andromaque portée par le désir, de Justine Heynemann. Elle nous a prouvé comme elle le fait depuis longtemps qu’il était possible de présenter des oeuvres de très grande qualité au public martiniquais. Ces spectacles se situent aux antipodes de ce Dom José ventripotent, de ce Toréador décati d’une Carmen de troisième zone venue de l’autre côté de l’ancien mur, dans laquelle on utilisait une chorale locale comme faire-valoir. L’immense complaisance dont bénéficie ces spectacles de piètre qualité dans un grand quotidien antillais, cette fâcheuse habitude de servir la soupe, participe de cette aliénation culturelle « désidentifiante » qui nous afflige. Il faut relire les articles parus à propos de « Une tempête » et surtout la dithyrambe hallucinée accompagnant la « Phèdre » badgétisée par P. Adrien pour se rendre compte du travail de dévastation opéré auprès du public. Il faut montrer ces textes qui sont de véritables cas d’école dans les sections « théâtre » des établissements scolaires pour vacciner définitivement les élèves. A force de tout justifier, de tout encenser, des spectacles les plus nuls aux meilleurs, le public finirait par perdre tout repère. Comme il n’est pas plus bête qu’un autre, comme il n’a besoin pas besoin de célébrer la messe au Palais des Papes, pour se rendre compte que l’office est mauvais il proteste par l’absence et on ne retrouve à ces fausses premières que les connaissances, les copains des copains, les coquins et les faquins. Et tous de s’auto-congratuler!
Heureusement il existe de vrais amoureux du théâtre. On les a vu aux rencontres théâtrales académiques en mai dernier. Ils sont jeunes. Ils ont du talent. Ils ont montré leurs attentes, leurs exigences, leur passion vivante pour le plus bel art qui soit. Leur tâche est immense, à commencer par le ménage à faire.
par Roland Sabra