— par Roland Sabra —
En cette période de crise financière l’État n’a pas besoin qu’on lui tende des perches pour faire des économies, notamment dans le domaine de la culture. De ce point de vue la crise de gouvernance du CMAC est pour lui une aubaine.
Les difficultés relationnelles entre le personnel de la structure et sa directrice aggravées par des comportements irresponsables ont abouti à une situation inédite : la suspension du label « Scène nationale » et des avantages, financiers, entre autres, qui vont avec. L’État semble bien se diriger vers une suspension définitive, un retrait donc du label. Comment en est-on arrivé là ?
Bon nombre de cadres du CMAC sont dans la maison depuis des décennies, la moyenne d’âge est élevée. C’est un personnel qui a traversé bien des crises de gouvernance, qui s’est aguerri lors de passages de témoin difficiles entre directrice, directeur et autre directrice et qui a acquis de ce fait une marge d’autonomie suffisamment grande et confortable pour ne pas avoir envie de la restituer à un quelconque dirigeant, surtout pas venu « d’ailleurs ». Et encore moins quand cette dirigeante commet des maladresses et omet de les caresser dans le sens du poil, en confondant autorité et autoritarisme. Pour qu’il y ait conflit social il faut toujours qu’il y ait au moins deux acteurs participants. La mayonnaise ne prend pas toute seule. A cet égard on peut légitimement se poser quelques questions à propos d’arguments développés par l’un des protagonistes et relayés sur les ondes d’ une radio d’État, en l’absence de tout esprit critique.
La nature du contrat de travail de la directrice
L’antienne que l’on nous chante est celle d’un CDD de 18 mois, qui donc aurait pris fin le 31 juillet 2012. Et l’on va de studio de radio en interview complaisante exhiber soit un double dudit contrat de travail soit une lettre de
confirmation d’embauche temporaire envoyée à la directrice. Si ce contrat existe c’est un non sens à la fois sur la forme et sur le fond. Réglons le problème de la forme. Le droit du travail et la convention collective qui régit de statut des Directeurs de scènes nationales interdisent la signature de tels contrats. Si ce contrat existe il est donc nul et non avenu. Le plus incroyable dans l’affaire est que ce contrat illégal à été rédigé par le précédent président du CMAC un ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Fort-de-France et que les services juridiques du Conseil Général et du Ministère de la Culture n’y ont vu que du feu, car quand bien même s’agissait-il d’un contrat de droit privé, il y avait nécessité d’une supervision. La preuve par l’absurde en est faite et David Zobda, Vice-président du Conseil Général, déclare comme une litote « Le service juridique du Conseil général a été, pour le moins défaillant ». En conséquence de quoi il se déclarait favorable à une requalification du CDD en CDI, tout en envisageant une rupture unilatérale du contrat.
Sur le fond l’absurdité d’un tel contrat saute aux yeux de quiconque s’intéresse un peu au fonctionnement d’ un établissement comme le CMAC. Comment prendre la mesure d’un tel vaisseau en si peu de temps ? Comment imprimer une ligne directrice, comment concrétiser un projet en un laps de temps aussi court quand on sait que la programmation se dessine un an avant sa mise en œuvre ? Le législateur en interdisant la précarisation de ce type d’ emploi fait tout simplement preuve de bons sens.
L’ineptie de l’argument de l’existence d’un CDD qui aurait pris fin est telle que personne n’avait envisagé la suite ! Car enfin s’il s’agissait d’un tel contrat pourquoi le Conseil d’Administration du CMAC, pourquoi le Conseil Général, pourquoi le Ministère de la Culture n’ont-ils pas anticipé la succession ? Pourquoi le CMAC se retrouverait-il aujourd’hui sans Direction ?
On peut supposer que la signature d’un contrat précaire était une façon de fragiliser une Direction dont on voulait d’emblée limiter les possibilités d’action. Pour préserver un pré carré ? Une interview du personnel dans F-A du 22/09/2012 confirme cette hypothèse. D. Douge, Directeur technique, déclare en effet à propos de la nomination de la Directrice : »Là, le CA [ Conseil d’Administration du CMAC] s’est vu proposer des candidatures, et il a choisi sur papier celle qui lui paraissait la moins pire (sic!), et surtout, pas une qui était catapultée par le ministère. Aucun administrateur ne pourrait accepter qu’on lui envoie quelqu’un alors qu’il n’a pas la possibilité de recadrer cette personne. »
« Recadrer » c’est le terme qu’emploie un supérieur à l’égard d’un subordonné !
Le boutefeu
Le Conseil d’administration du 27 juin confronté à l’imbroglio juridique du contrat et à l’hostilité du personnel à l’égard de la Directrice avait décidé de prendre le temps nécessaire pour trouver un accord entre les tutelles et d’attendre le résultat d’une mission d’enquête du Ministère de la Culture sur les dysfonctionnements de la structure. C’était sans compter sur le Président du CMAC, Georges-Louis Lebon qui de sa propre initiative et contre les délibérations du CA décidait d’interdire l’accès à son bureau à la Directrice en procédant à un changement des serrures et d’aller clamer à tout vent que la Directrice avait déserté son poste, qu’elle avait quitté le navire sans instruction aucune, que le personnel était livré à lui-même etc. Argument repris sournoisement par certains qui font le choix de se présenter comme victimes de ce à quoi ils ont largement contribué. On est ici à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. Informé de ce coup de force le Ministère de la Culture réitère en août une demande déjà formulée en juillet à M. Lebon de convocation d’un CA. Le silence radio de l’intéressé qui fait la sourde oreille à toutes les demandes de prises de contact, son refus de prendre en compte les demandes légitimes de l’État, sa désinvolture –sollicité par le Directeur des Affaires culturelles de
la Ministre il répondra qu’il est « en vacances et [qu’il] souhaite qu’on le laisse tranquille« — vont conduire le Ministère à suspendre, bon gré mal gré, au mois de septembre le label « Scène nationale » ( Cf. ci-après l’extrait du courrier adressé à G-L Lebon).
Le rapport d’inspection sera remis plus tard et le label attendra…
Un Conseil d’Administration est enfin convoqué pour le 16 octobre avec pour ordre du jour le budget et la programmation concoctée dans l’incertitude la plus grande. Le minimum de morale voudrait que les agissements du président de l’association CMAC fassent l’objet d’un débat si ce n’est plus! En matière de « recadrage » il y a beaucoup à faire pour que « chak bef konnet pitjet-yo« . Quant à la programmation est elle dépendante des ressources attribuées. En l’état actuel, face à une situation qui réunit tous les germes d’une conflictualité pathogène présente et future, le Ministère ne peut que maintenir sa suspension de financement d’un montant de 900 000 euros. Le rapport de la mission d’inspection a peu de chance d’être publié d’ici là, le délai habituel est de l’ordre de deux mois. Tout au plus peut-on espérer une lettre de fin de mission ? Les cadres du CMAC ont selon les termes du responsable de la communication « abondé la programmation prévue par l’ancienne Directrice » et proposent, conformément aux vieilles habitudes, une programmation trimestrielle et non pas annuelle ce qui dans le cas présent peut se justifier au vu des incertitudes de financements futurs.
Il semblerait que le Ministère envisage un retrait définitif du label « Scène nationale », se contentant de financer des formations réservées… aux artistes ! C’est dire si le gâchis de la crise de gouvernance du CMAC est immense !
La revendication par les signataires d’une pétition « Un CLIC pour le CMAC » d’un maintien du label n’est en rien le signe d’un assujettissement à un ordre culturel venu de l’hexagone, c’est simplement l’exigence de critères de sélection qui échappent aux « petits arrangements » entre amis, qui assurent aux artistes la possibilité d’une diffusion hors de Martinique dans un réseau de qualité de spectacles de qualité. Aussi endogène soit-elle une culture définit toujours son identité par une confrontation, que nous n’avons pas lieu de préciser ici, à l’altérité.
Et puis dut-on le répéter mille et une fois sans espoir, notamment d’être entendu, on ne dira jamais assez que ce qui choque dans cette affaire ce n’est pas l’existence d’un conflit lui-même mais les méthodes mises en œuvre pour arriver à des fins que l’on qualifiera, par euphémisme de, pas très glorieuses et de dommageables pour le public.
Fort-de-France, le 06 octobre 2012
Roland Sabra
P.S. Extrait de la lettre envoyée à Georges-Louis Lebon par le Ministère de la Culture et de la Communication le 13/09/2012 et lue sur une radio par l’intéressé (!) :
» Sans réponse de votre part aux différentes saisines par mon prédécesseur afin que puisse se tenir dès la rentrée un nouveau Conseil d’administration face aux diverses actions que vous avez engagées à l’encontre de Josianne Cueff en contradiction avec les dispositions adoptées lors de la réunion du 27 juin 2012 et sans tenir compte des recommandations de l’État, je me vois dans l’obligation de suspendre, en plein accord avec la Ministre de la Culture et de la Communication, le label de « Scène nationale » à l’association de gestion que vous
présidez. »